La vérité sur…la deuxième crise pétrolière

 » Nous avons survécu aux tempêtes de 2015, nous survivrons aux tempêtes de 2020.  » C’est avec des accents churchilliens que Patrick Pouyanné s’est adressé aux salariés de Total le 23 mars. Le PDG a expliqué par vidéoconférence que le pétrolier français se trouvait face  » à un trou de 9 milliards de dollars  » et que, pour y faire face, il allait devoir réduire ses investissements de 20 %, doubler son plan d’économies à 800 millions, suspendre le plan de rachat d’actions (1,5 milliard) et geler la plupart des recrutements. Exxon-Mobil, Shell, BP, Chevron, ENI… ont annoncé des mesures équivalentes, voire plus rigoureuses.

Gros surplus

Les temps sont durs pour les majors de l’or noir. Depuis le début de l’année, leur cours de Bourse a dévissé (- 30 % pour Total). Les compagnies sont pénalisées doublement par un choc de la demande et un choc de l’offre. Le premier est la conséquence du Covid-19. Avec la moitié de la population mondiale confinée et les avions cloués au sol, l’économie est à terre. En quelques mois, le prix du baril de Brent a perdu les deux tiers de sa valeur. Cette année, le monde va consommer moins de pétrole. Une première depuis 2009.

Dans le même temps, le marché est confronté à un choc de l’offre, consécutif à la rupture en mars de l’alliance entre la Russie et l’Arabie saoudite. Depuis fin 2016, les deux pays diminuaient leur production pour soutenir les cours. Mais Moscou a mis fin à cette politique des quotas, qui a surtout profité aux producteurs américains de pétrole de schiste (lire ci-dessous). Le 6 mars, lors du sommet de l’Opep, la Russie a indiqué qu’elle augmenterait sa production de 500 000 barils/jour. Mais, coup de théâtre, l’Arabie saoudite décide de faire de même. Depuis le 1er avril, le royaume wahhabite a augmenté sa production de 25 %, à 13 millions de barils/jour.  » La demande mondiale a diminué de 6 millions de barils/jour et l’offre a augmenté de 3 à 4 millions, commente Patrick Pouyanné. On se retrouve avec 10 millions de barils sur le marché sans demande. C’est énorme !  » Depuis sa prise de parole, la situation s’est encore aggravée. Les experts parlent maintenant d’un surplus de 20 millions de barils au deuxième trimestre. Sous la pression des marchés, les pays de l’Opep ont monté en catastrophe une réunion par visioconférence le 9 avril. Le lendemain, le cartel, à l’exception du Mexique, décidait de réduire sa production de 10 millions de barils en mai et juin.

Economies drastiques

Face à ces injonctions contradictoires, les marchés ne savent plus où donner de la tête. Les compagnies, qui vivent leur deuxième crise en moins de six ans, sont déboussolées. La première résultait de l’afflux de l’offre de pétrole de schiste américain. Le baril, qui cotait à 110 dollars en 2014 avait plongé à 28 dollars début 2016. Les majors, qui dépensaient sans compter, avaient dû resserrer drastiquement leurs coûts. « Aujourd’hui, elles sont mieux positionnées pour absorber le nouveau choc car elles n’ont pas eu le temps de reprendre les mauvaises habitudes », observe Francis Perrin, directeur de recherche à l’Iris (Institut de relations internationales et stratégiques).

Exemple avec Total : depuis fin 2014, son point mort est passé de 100 dollars le baril à 25, les coûts de l’exploration-production de 10 dollars à 5, les investissements de 26 milliards à 14 milliards. Tout n’est pas réglé pour autant. Son budget 2020 a été réalisé sur la base d’un baril à 60 dollars, alors qu’il évolue maintenant autour de 30. Les mesures d’austérité annoncées par Patrick Pouyanné permettront d’économiser 5 milliards de dollars. Mais le trou s’élève à 9 milliards. Pour les 4 milliards restants, le pétrolier français devra emprunter. Nanti de 10 milliards de liquidités et d’un taux d’endettement représentant 16 % des fonds propres, contre plus de 30 % il y a cinq ans, il est en mesure de le faire.

Mais toutes les compagnies n’ont pas cette marge de manœuvre. Les plus fragiles sont les parapétrolières, qui dépendent des commandes des majors. Le secteur, qui avait subi une saignée il y a cinq ans, pourrait supprimer un poste sur cinq dans le monde en 2020, estime Rystad Energy, soit 1 million d’emplois. Rien que, en Europe, le cabinet prévoit plus de 200 faillites. Début avril, le fabricant de tubes Vallourec annonçait la suppression de 900 postes en Amérique du Nord et un nouveau plan d’économies de 200 millions d’euros sur 2021 et 2022, s’ajoutant au programme de 200 millions en cours sur 2019-2020.

Risque de pénurie

L’industrie pétrolière vit une situation paradoxale. Suite à l’afflux de l’offre, les capacités de stockage sont au bord de la saturation. Toutes les infrastructures de transport – oléoducs, supertankers, wagons de chemin de fer – sont réquisitionnées pour entreposer la précieuse matière. L’or noir s’est même vendu sur des marchés à des prix négatifs. Mais, à moyen terme, pointe le spectre de la pénurie de pétrole consécutive à la baisse des investissements et à l’épuisement des puits. L’Agence internationale de l’énergie évoque ce danger autour de 2025. « Le point négatif du prix du baril bas, c’est que les compagnies développent durablement une aversion au risque et n’investissent plus », note Francis Perrin.

Pour les compagnies pétrolières, le risque le plus immédiat est ailleurs, dans la remise en cause de leur modèle une fois passée la crise du Covid-19. Le trafic aérien et les échanges internationaux ne reprendront pas de sitôt. Fin 2015, les Etats avaient pris des engagements environnementaux à l’occasion des Accords de Paris. Mais n’étaient pas passés à l’acte. Cette fois, sous la pression de l’opinion, ils vont peut-être devoir s’y résoudre. Si les pouvoirs publics veulent vraiment se désintoxiquer du tout-pétrole, le changement sera douloureux pour les majors. En 2015, Total avait annoncé sa volonté de diminuer ses émissions de CO2 de 46 millions de tonnes à 40 millions en 2025. « Ce n’est pas suffisant, a dit Patrick Pouyanné le 23 mars. Il faut aller vers 20 millions de tonnes. » Avec ce nouvel objectif, le PDG donne des gages aux écologistes. Mais pas sûr qu’ils s’en contentent. Comme l’a dit Bruno Le Maire, le coronavirus est « un game changer ». Qui peut tout emporter.

 

Le pétrole de schiste américain peut résister

Fin 2016, la Russie s’était alliée à l’Arabie saoudite pour casser la dynamique du pétrole de schiste américain. Mais Moscou a sous-estimé la résilience des compagnies du Texas et du Dakota du Nord, et l’opération a échoué. En dix ans, grâce aux hydrocarbures non conventionnels, les Etats-Unis ont doublé leur part de marché mondiale, à 17 %, devenant le premier producteur d’or noir. Avec la nouvelle chute du cours du Brent, les Russes peuvent affaiblir le pétrole de schiste. Mais certainement pas le détruire. « Pour les nouveaux puits, les producteurs américains ont besoin d’un baril à 50 dollars, indique Gérard Vespierre, expert des hydrocarbures. Mais, pour les puits existants, ils ont réalisé des gains de productivité et peuvent tenir en mode survie à 30 dollars. Lors de la première semaine d’avril, ils ont fermé 5 % de leurs puits et leur production est restée quasi stable, à 13 millions de barils/ jour. » Dans le paysage énergétique, le pétrole de schiste est aujourd’hui une puissance incontournable.

SOURCE : BOURSIER.COMLes cours du pétrole s’effondrent sous l’effet de deux facteurs : la chute de la demande due au confinement de la plupart des économies ; et la hausse de l’offre en raison des décisions russe et saoudienne d’augmenter la production.

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