Lafarge en Syrie: la cour d’appel de Paris se prononce sur la validité des mises en examen

Près d’un an et demi après avoir été mis en examen pour « financement du terrorisme » et « complicité de crimes contre l’humanité » en Syrie, le cimentier Lafarge saura ce jeudi si la cour d’appel de Paris valide ces poursuites qu’il conteste.

La chambre de l’instruction a examiné le 20 juin les requêtes déposées par le groupe ainsi que celles de trois dirigeants -L’ex-PDG Bruno Lafont, son ancien directeur Sûreté Jean-Claude Veillard et l’un des ex-directeurs de la filiale syrienne, Frédéric Jolibois- pour obtenir la nullité de leur mise en examen.

Dans ce dossier, huit cadres ou dirigeants au total ont été mis en examen pour « financement du terrorisme » et/ou « mise en danger » dans cette information judiciaire ouverte en juin 2017, un an après des révélations du journal Le Monde. Fin 2016, Bercy puis les ONG Sherpa et le Centre européen pour les droits constitutionnels et les droits de l’Homme (ECCHR) avaient saisi la justice.

En juin 2018, Lafarge était à son tour poursuivi pour « complicité de crimes contre l’humanité », « financement du terrorisme », « violation d’un embargo » et « mise en danger de la vie » d’anciens salariés de son usine de Jalabiya (nord).

Dans cette affaire hors norme, Lafarge SA, propriétaire de Lafarge Cement Syria (LCS), est soupçonné d’avoir versé en 2013 et 2014, via cette filiale, près de 13 millions d’euros à des groupes jihadistes, dont l’organisation Etat islamique (EI), et à des intermédiaires afin de maintenir l’activité de son site en Syrie, alors que le pays s’enfonçait dans la guerre.

Le groupe est également suspecté d’avoir vendu du ciment de l’usine au profit de l’EI et d’avoir payé des intermédiaires pour s’approvisionner en matières premières auprès de factions jihadistes.

Si l’existence de remise de fonds à des « groupes armés » est ressortie d’un rapport d’enquête interne, Lafarge SA conteste toute responsabilité dans la destination de ces versements à des organisations terroristes et rejette les accusations de « complicité de crimes contre l’humanité ».

– Fiabilité de l’enquête –

Devant la chambre de l’instruction, la défense du cimentier a notamment attaqué la fiabilité des investigations, effectuées à partir de sources ouvertes, notamment des rapports de l’ONU, estimant qu’une telle mise en examen devait résulter d’une enquête « approfondie ».

L’avocat général a appuyé ces arguments. Dans ses réquisitions écrites, que l’AFP a pu consulter, il estimait qu’il n’existait « aucun indice grave et concordant » que les anciens salariés parties civiles « auraient été victimes » de la « complicité des crimes contre l’humanité » reprochée à Lafarge.

Selon Sherpa, cette incrimination se fondait aussi sur des « preuves directes », fournies par les témoignages d’anciens employés du site syrien de Lafarge. Certains crimes dont ces derniers ont été victimes ont été commis « dans le cadre du plan concerté appliqué par l’EI pour les attaques systématiques » de civils, « caractérisant ainsi le crime contre l’humanité », estime l’ONG.

L’avocat général a en revanche demandé de confirmer les mises en examen de Lafarge et des trois dirigeants pour « financement du terrorisme » et de valider la présence au dossier de plusieurs parties civiles, dont celles de Sherpa.

Depuis l’audience de juin, les juges d’instruction chargés de l’enquête ont mis en examen pour « financement du terrorisme » une personne supplémentaire, le Syro-Canadien Amro Taleb, soupçonné d’avoir servi d’intermédiaire entre le cimentier Lafarge et des groupes terroristes en Syrie. Auparavant visé par un mandat d’arrêt, il est désormais sous contrôle judiciaire.

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