L’ancien patron du Louvre mis en examen dans une affaire de trafic d’antiquités

Un ancien président-directeur du musée du Louvre, Jean-Luc Martinez, a été mis en examen à Paris pour « blanchiment et complicité d’escroquerie en bande organisée » et placé sous contrôle judiciaire dans une enquête sur un trafic d’antiquités du Proche et Moyen-Orient. L’homme a dirigé le plus grand musée du monde pendant huit ans entre 2013 et 2021.

Quel rôle a joué Jean-Luc Martinez dans le vaste trafic d’antiquités pillées au Proche et au Moyen-Orient qui intéresse aujourd’hui la justice ?

Après avoir été placé en garde à vue lundi dans les locaux de l’Office central de lutte contre le trafic des biens culturels, il a été mis en examen mercredi pour « complicité d’escroquerie en bande organisée et blanchiment par facilitation mensongère de l’origine de biens provenant d’un crime ou d’un délit« . Jean-Luc Martinez , 58 ans, « conteste avec la plus grande fermeté sa mise en cause dans ce dossier« , expliquent ses avocats. « Il réserve pour l’heure ses déclarations à la justice et ne doute pas que sa bonne foi sera établie« , ajoutent-ils.

Deux éminents égyptologues français, qui avaient également été placés en garde à vue lundi 23 mai, ont quant à eux été libérés sans poursuites à ce stade, a précisé la source judiciaire.

Un objet exceptionnel

Selon l’hebdomadaire français Le Canard enchaîné, qui avait annoncé les gardes à vue, les enquêteurs cherchent à savoir si Jean-Luc Martinez aurait « fermé les yeux » sur de faux certificats d’origine de cinq pièces d’antiquité égyptiennes acquises « pour plusieurs dizaines de millions d’euros » par le Louvre Abu Dhabi, l’antenne du musée parisien dans la capitale des Émirats arabes unis.

Parmi ces pièces figure une stèle en granit rose gravé au nom du roi Toutankhamon, « un objet exceptionnel« , selon l’égyptologue Marc Gabolde cité par le quotidien français Le Monde. C’est lui, Marc Gabolde, qui avait alerté les deux autres égyptologues sur la provenance douteuse de la stèle, dans une note début 2019, selon le journal. Les deux spécialistes auraient ensuite transmis le document à Jean-Luc Martinez.

Une figure du milieu de l’art international

Jean-Luc Martinez est chargé depuis 2021 d’expertises en matière de musées, de restitutions d’oeuvres d’art et de lutte contre les trafics. Auparavant, il a dirigé le plus grand musée du monde (dix millions de visiteurs par an avant le Covid-19) de 2013 à l’été 2021, après avoir été à la tête du département des antiquités grecques et conservateur en chef du patrimoine pendant une quinzaine d’années.

D’origine modeste, il est devenu une figure du milieu de l’art international à la suite d’un parcours sans faute qui lui a permis de prendre les commandes du musée du Louvre, « ma vie, mon rêve d’enfant, ma passion d’adolescent« , disait-il à l’AFP au moment de sa prise de fonction en 2013.
Après un double cursus en histoire à la Sorbonne et en histoire de l’art et d’archéologie à l’Ecole du Louvre, il est devenu agrégé d’histoire en 1989. Professeur d’histoire et de géographie dans différentes villes de banlieue pendant deux ans, il a intégré par concours l’Ecole française d’Athènes en 1993. Après des fouilles à Délos et à Delphes, où il a travaillé à la rénovation du musée archéologique, il est recruté en 1997 par Alain Pasquier, qui dirige les antiquités grecques, étrusques et romaines au Louvre. Conservateur en chef de la sculpture grecque pendant dix ans, il lui succède en 2007 à la tête du département.
C’est sous sa présidence qu’a été inauguré en 2017 le Louvre Abou Dhabi, pharaonique projet qui a vu le jour avec plusieurs années de retard et deuxième déclinaison du musée après celle de Lens (nord), ouverte fin 2012.

Une longue enquête discrète

Une enquête préliminaire portant sur des soupçons de trafic d’antiquités provenant du Proche et Moyen-Orient avait été discrètement ouverte en juillet 2018 par le parquet de Paris.

Depuis février 2020, un juge d’instruction est chargé d’une information judiciaire ouverte pour recel de vol en bande organisée, association de malfaiteurs, blanchiment et escroquerie en bande organisée, faux et usage de faux ainsi qu’omission de mention par le vendeur sur le registre des objets mobiliers. Ce trafic concernerait des centaines de pièces et porterait sur plusieurs dizaines de millions d’euros, selon des sources proches à l’époque.

Les faits avaient été révélés lors d’un coup de filet retentissant dans le milieu feutré du marché de l’art et des antiquaires parisiens en juin 2020.

Un expert en archéologie méditerranéenne, Christophe Kunicki, et son mari Richard Semper, marchand, avaient été inculpés et placés sous contrôle judiciaire.
Ces deux figures respectées du monde des antiquités de la capitale française sont soupçonnées d’avoir « blanchi » des objets archéologiques pillés dans plusieurs pays en proie à l’instabilité depuis le début des années 2010: Égypte, Libye, Yémen ou Syrie.

En mars dernier, Roben Dib, propriétaire d’une galerie à Hambourg (Allemagne), a également été mis en examen et placé en détention provisoire.

L’Office central de lutte contre le trafic des biens culturels cherche à déterminer les conditions d’acquisition par le Louvre Abu Dhabi, par l’intermédiaire de ce galeriste germano-libanais, des cinq antiquités sorties illégalement d’Égypte, d’après le Canard enchaîné.

Les noms de M. Kunicki et M. Semper avaient déjà été cités dans l’affaire du sarcophage du prêtre Nedjemankh, vendu au « Met » de New York (Metropolitan Museum) en 2017 pour 3,5 millions d’euros par M. Kunicki.

Une enquête avait établi que l’objet avait été volé en 2011, année du soulèvement contre le président Hosni Moubarak. Ce sarcophage a finalement été rendu solennellement à l’Égypte en 2019.