L’Arabie saoudite met en garde l’Iran sur le Yemen, sous fond de guerre de prix du pétrole

Nouvelles tensions à prévoir entre Arabie saoudite et Iran. Si, officiellement, Ryad s’alarme de la teneur des relations entre Iran (son rival dans la région) et Yemen, il se pourrait fort bien que l’enjeu final du dossier ait une forte odeur de pétrole et de guerre de prix du baril …

En tout état de cause, dans une allusion à peine voilée à l’Iran et au Hezbollah libanais, le roi Salmane d’Arabie saoudite a prévenu mercredi que son pays n’accepterait « aucune ingérence dans les affaires intérieures du Yémen ou que ce pays devienne une base ou un point de passage pour un quelconque Etat ou partie menaçant la sécurité et la stabilité du royaume et de la région du Golfe. »
Pour rappel, Ryad a rompu ses relations diplomatiques avec Téhéran en janvier 2016 après des attaques contre des représentations saoudiennes en Iran par des manifestants en colère après l’exécution du dissident chiite saoudien Nimr al-Nimr, condamné à mort pour « terrorisme ».

Si certes, mercredi, le souverain n’a fait aucune référence explicite à l’Iran ou au Hezbollah, il n’en demeure pas moins que des responsables saoudiens et du Golfe accusent régulièrement Téhéran et la milice libanaise d’aider militairement les rebelles yéménites Houthis qui contrôlent la capitale Sanaa et le nord du Yémen, frontalier de l’Arabie saoudite.

« La sécurité du Yémen est intrinsèquement liée à celle du royaume », a rappelé le souverain saoudien, alors que l’Arabie saoudite a été régulièrement la cible de tirs de roquettes et de missiles depuis les régions du Yémen contrôlées par les rebelles.

Pour rappel, en mars 2015, le royaume saoudien a pris la tête d’une coalition militaire arabe en vue de chasser les Houthis des territoires qu’ils ont conquis et rétablir l’autorité du gouvernement. Ces derniers sont issus de l’importante minorité zaïdite concentrée dans le nord du Yémen. Selon l’ONU, la guerre au Yémen a fait plus de 7.000 morts et près de 37.000 blessés depuis l’intervention de la coalition sous commandement saoudien.

Le roi Salmane a par ailleurs souligné que Ryad oeuvrait pour une solution politique du dossier yeménite sur la base notamment de la résolution 2216 du Conseil de sécurité de l’ONU. Texte sur lequel s’appuie également le gouvernement du président Abd Rabbo Mansour Hadi et qui prévoit le retrait des rebelles des territoires conquis depuis 2014 et la restitution des armes lourdes. Les Houthis réclament quant à eux comme préalable la formation d’un gouvernement d’union nationale, lequel se chargerait du volet militaire d’un règlement.

Simple hasard ? S’exprimant à l’ouverture d’une nouvelle session du Conseil consultatif, après avoir abordé le dossier des relations entre Iran et Yemen, le souverain saoudien a tenu à mettre avant l’ambitieux programme Vision 2030, lancé en avril pour diversifier l’économie saoudienne, trop dépendante du pétrole. Il a tenu à cet égard à rappeler que le gouvernement avait du se résoudre à prendre « des mesures parfois douloureuses » en vue de faire face à la chute des prix du pétrole, ajoutant que Ryad coordonnait ses efforts avec les pays producteurs pour stabiliser le marché pétrolier.

Tandis que l’Arabie saoudite a dû accepter que son grand rival régional augmente sa production tout en baissant la sienne, l’Iran sort gagnant de l’accord de l’Organisation des pays exportateurs de pétrole (Opep) pour baisser la production du cartel.. « Victoire pétrolière de l’Iran à l’Opep », « Echec de la diplomatie pétrolière de Ryad« , titraient même les journaux iraniens après cet accord.

L’Iran a même « été autorisé à augmenter sa production de 90.000 barils par jour au cours des six premiers mois de l’année 2017. Il y a encore neuf mois, des pays de l’Opep voulaient que l’Iran gèle sa production à un niveau de 3,6 mb/j, mais ils ont finalement accepté (…) un niveau de production de 3,9 mb/j », se réjouissait  le quotidien gouvernemental Iran. Loin d’apaiser les tensions entre les deux pays.

Le 6 décembre dernier, l’Iran avait démenti les accusations d’espionnage de l’Arabie saoudite, alors qu’n tribunal saoudien venait de condamner à mort 15 membres – pour la plupart chiites – d’un groupe de 32 personnes pour espionnage au profit de l’Iran.

« L’Arabie saoudite ne doit pas chercher à lancer des accusations infondées contre l’Iran avec l’intention d’obtenir des gains politiques et d’accroître les tensions dans la région », avait alors indiqué le porte-parole des Affaires étrangères à Téhéran, Bahram Ghasemi. Ajoutant : « la politique de l’Iran envers ses voisins du Golfe persique est basée sur le respect mutuel, les relations de bon voisinage et la non ingérence dans les affaires intérieures d’autrui ».

Les condamnés à mort ont été reconnus coupables notamment de « haute trahison ». Ils étaient poursuivis pour collaboration avec les services de renseignement de l’Iran, pour avoir divulgué des secrets de défense, planifié des actes de sabotage, tenté de recruter des agents au sein de l’administration et encouragé des « violences » à Qatif, ville de l’est saoudien où se concentre la minorité chiite.

Rappelons enfin que le Yemen détient une position géographique on ne peut plus stratégique pour le transit du pétrole du Moyen-Orient, situation qui pourrait inciter  quelques grandes puissances – tant russes  que américaines – à affaiblir le pays d’une manière ou d’une autre pour justifier une arrivée en force … et contrôler une des routes maritimes majeures pour le commerce de l’or noir.
Le site de Bab el-Mandeb, le détroit séparant Djibouti et le Yémen, et au delà la péninsule arabique et l’Afrique et qui relie la mer Rouge au golfe d’Aden, est l’un de ceux que le gouvernement US considère comme les sept goulets d’étranglement stratégiques sur les voies mondiales d’acheminement de l’or noir.

L’US Government Energy Information Agency déclare ainsi que «  la fermeture de Bab el-Mandeb empêcherait les pétroliers venant du Golfe Persique d’atteindre le Canal de Suez et le complexe du pipeline de Sumed, les forçant à contourner la pointe sud de l’Afrique. Le détroit de Bab el-Mandeb est un goulet d’étranglement entre la Corne de l’Afrique et le Moyen-Orient et un lien stratégique entre la Mer Méditerranée et l’Océan Indien.  »

Toute raison invoquée par les Etats-Unis ou l’OTAN pour militariser les eaux autour de Bab el-Mandeb permettrait à Washington d’opérer une avancée de taille dans sa volonté de contrôle des routes de transit de l’or noir. Mieux encore, une occupation militaire – qui pourrait être justifiée officiellement  par  des raisons sécuritaires – permettrait aux Etats-Unis de maîtriser le flux pétrolier à destination de la Chine, de l’Union Européenne ou de tout autre région ou pays s’opposant à sa politique. Un contrôle militaire US pourrait également décourager l’Arabie saoudite de réaliser des transactions pétrolières avec la Chine ou d’autres pays souhaitant s’affranchir du dollar. Une telle suprématie américaine offrirait également à Washington la possibilité de menacer le principal lien vital de la Chine pour satisfaire ses besoins énergétiques.

Sources : AFP, Le Figaro, Presse iranienne, Belga

Elisabeth Studer – 14 décembre 2016 – www.leblogfinance.com

A lire également :

L’Arabie saoudite projette une IPO d’Aramco pour 2018

Arabie saoudite : l’Etat soutient la stabilité financière en perfusant les banques

Arabie saoudite / Ali al-Nouaïmi, ministre du pétrole limogé : effet boomerang de la guerre du baril ?

Le Blog Finance