L’armada d’avocats d’élite qui a fait exploser le procès EADS

L’affaire EADS a vécu. La décision du Conseil constitutionnel publiée le 18 mars, qui a jugé non conforme le cumul des sanctions administratives et pénale pour les délits boursiers, rend impossible la tenue du procès de l’affaire des délits d’initiés, l’AMF ayant déjà blanchi tous les protagonistes en 2009.

Les Sages ont ainsi confirmé le principe dit du « non bis in idem », qui veut qu’une personne ne puisse être jugée deux fois pour les mêmes faits. Exit, donc, les poursuites contre l’ancien patron d’EADS Noël Forgeard, l’ex-numéro deux Jean-Paul Gut, le supervendeur d’Airbus John Leahy, l’ancien directeur de la stratégie d’Airbus Olivier Andriès ou les anciens actionnaires du groupe aéronautique Daimler et Lagardère.

« Un énorme gâchis du système français »

Ce coup de théâtre est une victoire éclatante pour les avocats de la défense, une armada redoutable de stars du barreau donc certains avaient déjà obtenu la mise hors de cause de leurs clients par l’AMF il y a six ans. Avec cette décision du Conseil constitutionnel, ils ont désossé le peu qu’il restait d’une des affaires financières les plus emblématiques de ces dernières années. « Il va désormais falloir aiguiller les affaires entre l’AMF et la justice pénale, comme le prévoit la directive européenne d’avril 2014 sur les abus de marché », assure Frédéric Peltier, conseil d’Alain Flourens, un des prévenus. « Cette décision met fin à un énorme gâchis du système français, qui se permettait des doublons de procédure, une hérésie totale », assure Aurélien Hamelle, conseil de Daimler.

Qui sont ces redoutables techniciens du droit qui ont eu la peau de la procédure EADS? Il y a bien sûr des ténors du barreau, comme Jean Veil, conseil de Lagardère qui avait déploré lors des audiences que le système français « décapite deux fois les gens », ou Jean-Yves Le Borgne, avocat du directeur commercial d’Airbus John Leahy, qui fulminait contre un « acharnement judiciaire ».

Des profils plus ou moins connus

Il y a aussi des profils moins connus du grand public, mais tout aussi redoutables, comme Thomas Baudesson (Clifford Chance) ou Frédéric Peltier, du cabinet Dethomas Peltier Kopf Juvigny, un spécialiste reconnu des affaires financières.

Cet ancien du cabinet Darrois, 53 ans, était déjà à la manœuvre dans l’affaire de délits d’initiés chez Altran, qui avait été renvoyée à l’instruction en raison d’irrégularités et d’insuffisances de l’ordonnance de renvoi en juin 2014. Il a aussi conseillé la société luxembourgeoise Cira dans son litige contre CS, la société informatique de Yazid Sabeg. Eclectique, ce passionné de montagne a aussi investi dans un hôtel cinq étoiles à Val Thorens, le Koh-I Nor (la montagne de lumière, en persan), le plus haut établissement d’Europe.

Aurélien Hamelle, 36 ans, est un autre grand gagnant de l’affaire EADS. Associé au cabinet Allen & Overy, cet ancien du cabinet Metzner avait déjà plaidé dans l’affaire Clearstream, mais aussi le dossier pétrole contre nourriture ou celui des transferts douteux du PSG. Conseil de Daimler et à l’origine de la question prioritaire de constitutionnalité (QPC) sur le « non bis in idem », il s’était emporté lors du premier jour de l’audience du procès EADS contre l’acharnement de la justice contre son client, arguant que l’AMF « est un peu plus qu’un Canada Dry de justice ! ». Olivier Gutkès, conseil de l’ancien président d’EADS Noël Forgeard, s’était aussi illustré, en critiquant vertement l’ordonnance de renvoi du juge d’instruction Serge Tournaire, « hallucinante d’imprécision ».

En 2009 déjà, lors des audiences de la procédure AMF, le casting des avocats de la défense tenait de l’invincible armada, avec les Olivier Metzner, Eric Dezeuze, Diane Pasturel et autres Jean-Alain Michel. La promotion 2015 a été au moins aussi efficace, décortiquant ligne par ligne l’ordonnance de renvoi du juge Tournaire, épluchant la jurisprudence sur le « non bis in idem », et réussissant à obtenir le renvoi des QPC vers la Cour de cassation, puis le Conseil constitutionnel. La décision de ce dernier va bien au-delà de la seule affaire EADS : les dossiers Altran, Pechiney ou Oberthur sont également concernés.

Mais ne dites pas à ces fines lames des prétoires qu’ils se limitent à de simples questions de procédure pour sauver leurs clients: « Cette décision du Conseil constitutionnel est à la fois un soulagement et une petite frustration, car nous aurions gagné de toute façon ce procès sur le fond », assure l’un d’entre eux sous couvert d’anonymat.


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