L'armée de terre teste le combat robotisé du futur

En cette splendide matinée de mars, la forêt de Brocéliande a mis ses plus beaux atours. Ajoncs en fleur, pinède odorante, ciel bleu azur: la scène serait idyllique si un mystérieux intrus ne s’était invité dans le tableau champêtre. Merlin l’Enchanteur? Pas vraiment. L’intrus en question est un engin chenillé aux faux airs de char de combat miniature. Doté d’un impressionnant canon de 20 mm capable de tirer 750 coups à la minutes, ce robot d’1,7 tonne, baptisé Optio-X20, attend sagement sur la place du village de Ville-Bizard, un village factice dédié aux exercices de l’armée de terre, au cœur de l’immense camp des écoles militaires de Saint-Cyr Coëtquidan. Autour de lui, une demi-douzaine d’autres robots, à chenilles, à roues ou à quatre pattes, patientent tranquillement en attendant d’entrer en action. Leur mission: épauler des futurs officiers en formation à l’Ecole militaire interarmes (EMIA) de Saint-Cyr dans divers scénarios (combat urbain, prise d’un carrefour stratégique, évacuation de blessés)…

Le robot Optio-X20, armé d’un canon de 200mm, et le petit robot de reconnaissance Nerva (photo Keraval/ESCC/MINARM)

Pourquoi ce grand raffut robotisé? Appuyé sur un bâton de marche à quelques mètres des manoeuvres, Gérard de Boisboissel, chercheur au CREC (Centre de recherche des écoles de Saint-Cyr Coëtquidan), ne rate pas une

miette de l’exercice. « L’objectif est de cerner les usages possibles des différentes plateformes robotiques, explique ce spécialiste de la robotique militaire. Nous mesurons la valeur ajoutée de ces robots en menant le même exercice tactique, sans eux puis avec eux. » 80 sous-officiers, de 27 ans d’âge moyen, participent à l’exercice, qui est en quelque sorte l’épreuve finale de leur cursus de deux ans à Saint-Cyr. Gérard de Boisboissel, lui, publiera un article sur les résultats de l’exercice.

Nouveau robot Ultro

Pour cette opération inédite, la crème des robots a fait le déplacement. Il y a le robot mule Barakuda, conçu par la pépite rochelaise Shark Robotics, qui avait défilé le 14 juillet 2019 sur les Champs-Elysées. Les petits robots de reconnaissance Nerva, aussi discrets qu’efficaces. Le tout nouveau robot mule Ultro de Nexter, de 600 kg de charge utile. Le redoutable robot armé Optio 20, issu d’une collaboration entre Nexter et l’estonien Milrem Robotics, dévoilé en 2018 au salon Eurosatory. Et une guest star impressionnante, apportée par Shark Robotics: le robot-chien Spot de l’américain Boston Dynamics, que le groupe français distribue en Europe. « Il a notamment été testé pour des missions de décontamination anti-Covid ou de police, mais ses capacités de franchissement peuvent être très intéressantes pour un usage militaire », assure Clément Levilly, commercial chez Shark Robotics.

Le nouveau robot mule Ultro de Nexter (photo Keraval/ESCC/MINARM)

Sur l’asphalte surchauffé de Ville-Bizard, les exercices s’enchaînent, les salves d’armes automatiques aussi. Les élèves officiers connaissent la musique: avant d’entrer à l’EMIA, beaucoup ont déjà été projetés en OPEX au Sahel. « Ils connaissent la réalité du feu, ils n’ont donc aucun mal à imaginer les utilisations possibles des robots, souligne le lieutenant-colonel Laurent, qui dirige l’Ecole militaire interarmes. Ils sont nés avec la technologie au bout des doigts, on les sent très à l’aise pour prendre en main les engins. » De fait, la prise en main ne prend que quelques minutes, le temps d’apprivoiser les manettes. « On sent que l’ergonomie a été travaillée », apprécie un élève officier.

Exercice nocturne avec le robot Optio-X20 (photo Keraval/ESCC/MINARM)

Les manœuvres continueront à la nuit tombée et le lendemain. Les petits robots Nerva et leurs caméras thermiques, déjà en dotation dans les forces, font forte impression. « Ils ont permis une détection de l’ennemi bien plus tôt, notamment lors de l’exercice nocturne », indique Gérard de Boisboissel. Le Barakuda de Shark Robotics montre aussi ses multiples talents: il est d’abord testé pour évacuer un blessé puis, équipé d’une plaque de protection blindée, pour protéger un groupe, et enfin pour bloquer une sortie de bâtiment. L’autre robot Mule, l’Ultro de Nexter, est testé pour des missions de ravitaillement. Le robot armé Optio-X20 séduit aussi les sous-officiers. « En fournissant un appui feu, le robot a permis une vraie plus-value, il nous a permis d’économiser un groupe de combat et d’éviter des blessés », indique le sous-lieutenant Sven, chef de section de l’exercice.

Un robot Barakuda équipé d’une plaque blindée protège un groupe de combat (photo Keraval/ESCC/MINARM)

Spot entre en scène

Quant au robot chien Spot, il est testé en engin de reconnaissance dans des scénarios de combat urbain. « Ce genre de robots est très intéressant par ses capacités de franchissement dans des environnements déstructurés: bâtiments effondrés, gravats, indique Gérard de Boisboissel. Il permet de monter les escaliers pour aller voir aux étages des édifices, ce qui est une des situations les plus risquées et les plus stressantes pour un soldat car il s’expose directement. » L’exercice a aussi connu quelques bugs. Les sous-officiers ont cru à une panne de l’engin lorsque Spot s’est brusquement arrêté en pleine action… avant de rendre compte qu’il n’avait été chargé qu’à 38%. Même frayeur quand l’Optio-X20 a refusé de démarrer avant un exercice. Une vérification plus tard, le robot armé prenait sa place dans le dispositif. Lors d’une attaque du village par l’ennemi, un panache de fumée s’élève de la pinède: un départ d’incendie dû à un fumigène. L’exercice est interrompu quelques minutes, le temps pour les pompiers de la base d’intervenir.

Evacuation de blessé sur un robot mule Barakuda (Keraval/ESCC/MINARM)

Malgré ces inévitables bugs, le retour d’expérience (RETEX) de l’exercice est très positif, estiment les sous-officiers. « Les zooms des caméras permettent un renseignement beaucoup plus complet que les yeux humains sur les armements de l’ennemi et les forces en présence », souligne le sous-lieutenant Sven. « Les robots ralentissent un peu la manoeuvre, mais ils permettent une plus grande sérénité et moins de pertes« , assure un sous-officier. Les robots mules en configuration évacuation sanitaire ont aussi permis de libérer des forces: là où il fallait 8 militaires pour une évacuation classique, une « Evasan » avec appui d’un robot peut se faire à trois, voire à deux soldats en plus du blessé.

Le robot chien Spot a été utilisé pour des missions de reconnaissance en zone urbaine (photo Keraval/ESCC/MINARM)

Cet exercice augure-t-il du futur du combat terrestre? La Russie a déjà déployé en Syrie des unités de combat robotisées, intégrant notamment un robot char doté d’un canon de 30 mm et de missiles anti-tanks (Uran-9), un robot doté de lance-roquettes (Platform-M) et des robots chars plus petits (Nehreta). Le ministère russe de la Défense a même annoncé le 9 avril la création de sa première unité entièrement robotisée, intégrant une vingtaine d’Uran-9. « La robotisation du champ de bataille est inéluctable, avec des robots qui prendront le risque à la place des humains, estime Gérard de Boisboissel. Je crois beaucoup dans des robots polyvalents, avec une plateforme qui soit configurable selon les missions: surveillance, transport de matériel, évacuation sanitaire, appui feu, déminage… » L’un des grands défis sera de contrer le possible brouillage des communications sur les théâtres d’opérations. Une menace qui devrait pousser au développement de robots de plus en plus autonomes.

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