Laurence Tubiana croit à la démocratie participative

3Vous me cueillez dans un moment de très grand bonheur. Le dernier jour de la Convention fut inoubliable. » Ce lundi 22 juin, au lendemain de la fin de la Con­vention citoyenne pour le climat (CCC), Laurence Tubiana est encore sur son petit nuage. Coprésidente du comité de gouvernance, cette experte en environnement a accom­pagné pendant neuf mois les débats des 150 citoyens du panel – 150 Français tirés au sort, de tous âges, issus de toutes les régions, de tous milieux socio-économiques et n’ayant aucune connaissance en matière climatique. Perdus dans la transition écologique, les novices ont bénéficié de l’aide et du soutien de Laurence Tubiana. « Mais je me suis toujours gardé de donner mon avis », précise-t-elle.

Pragmatisme et bon sens

Drôle d’idée que cette Convention citoyenne. Au départ, les organisations syndicales, les ONG, les par­lementaires sont dubitatifs. Mais la défiance sera de courte durée. Les citoyens travaillent – plus de 130 experts sont auditionnés, dont les patrons d’Engie et de Danone – et le ton vis-à-vis d’eux change très vite. Après avoir remis leurs 150 propositions pour diminuer les gaz à effets de serre, les  » conventionnels  » ont rendez-vous lundi 29 juin avec Emmanuel Macron. On verra alors si le président décide ou non de soumettre leurs propositions à référendum. En attendant, leur rapport est scruté, commenté, critiqué. Certaines mesures comme l’obligation faite aux propriétaires de rénover leurs habitations suscitent des crispations. Les citoyens feraient-ils la part trop belle à la sobriété énergétique : consommer moins, produire moins, travailler moins ?

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Laurence Tubiana réfute l’argument : « La plupart du temps, les citoyens ont repris des textes de loi existants sur la mobilité, l’alimentation, la transition énergétique. Voyant que les émissions de CO2 ne baissaient pas assez vite, ils ont poussé le curseur plus loin. Sur l’écologie, la société civile est en avance sur les gouvernants. » Une seule boussole pour les 150 Français : le pragmatisme et le bon sens.  » On ne peut pas dire : c’est bien la voiture électrique quand la moitié des gens ne peuvent se l’offrir, poursuit Laurence Tubiana. Pour les ménages modestes, les citoyens ont eu l’idée ingénieuse de proposer des locations longue durée, ce qui réduit l’apport de départ. »

Dans la même veine, les citoyens prônent la hausse du malus sur les grosses voitures, sauf pour les familles nombreuses. Pas d’exemption, en revanche, pour ce qui concerne la vitesse maximum sur autoroute qui passerait à 110 kilomètres/heure. Cette mesure est l’une des plus clivantes. Ne risque-t-elle pas de relancer le mouvement des « gilets jaunes », qui avait commencé après la baisse de 90 à 80 kilomètres/heures de la vitesse sur route ? « Cela n’a rien à voir, objecte Laurence Tubiana. Les gens à faibles revenus n’ont pas les moyens d’emprunter l’autoroute. Le passage à 110 ferait diminuer les émissions de CO2 de 14 %. »

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La proposition d’interdire à partir de 2025 les ventes de voitures émettant plus de 110 grammes de CO2 va dans le même sens. « Bien sûr, les constructeurs vont hurler, poursuit-elle. Mais cette mesure est conforme aux nouvelles régulations européennes. Elle correspond aussi à un objectif de santé publique. Les zones urbaines liées à la pollution automobile sont celles où on a dénombré le plus de personnes malades du Covid-19. La voiture thermique, c’est terminé. »

Parler fort et sans tabous

Agée de 69 ans, professeure à Science-Po et à l’Université Columbia, directrice de la Fondation européenne pour le Climat, Laurence Tubiana s’exprime d’une petite voix fluette. Ce qui n’empêche pas l’ancienne militante de la Ligue communiste révolutionnaire, pro­che de Lionel Jospin et de Daniel Cohn-Bendit, de parler fort et sans tabous. Sur la semaine de travail de 28 heures par exemple, mesure qui n’a pas été retenue par les citoyens. Doit-elle pour autant être écartée ? « Ceux qui défendent cette idée font l’analyse qu’un grand nombre d’emplois vont être supprimés par la numérisation et la robotique, dit-elle. Toutes les professions sont concernées, les caissières, les chauffeurs routiers, les profs, les médecins, les traders… Que va-t-il rester comme emplois ? Comment en créer de nouveaux ? Au cours des prochaines années, on va subir en même temps le changement climatique et un bouleversement technologique majeur. Il ne faut pas en avoir peur. Il faut réfléchir, bâtir une politique et cesser de prendre les gens pour des enfants. »

A quand une convention citoyenne sur l’avenir du travail ? Laurence Tubiana croit beaucoup au format de la démocratie participative et à « l’intelligence collective ». Une technique qu’elle a utilisée il y a cinq ans à l’occasion de la COP 21 de Paris, lorsqu’elle organisait les négociations pour le climat. « Quand vous mettez les gens dans de bonnes conditions de débat et dans un esprit transparent, ils vont plus loin et sortent de leur posture. »

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