L’autoconsommation électrique va-t-elle bouleverser le marché de l'électricité?

Produire et consommer sa propre électricité grâce à des panneaux photovoltaïques. Aujourd’hui, à peine 15 000 Français recourent à cette pratique appelée autoconsommation, soit 0,04 % des 37 millions d’abonnés raccordés au réseau de distribution Enedis (ex-ERDF). Un épiphénomène. Mais, avec la baisse continue des prix des panneaux solaires, le boom du digital et des systèmes décentralisés et le désir de consommer de manière plus vertueuse, l’autoconsommation va s’accélérer. En 2016, environ 30 % des clients photovoltaïques qui se raccordaient au réseau demandaient à pouvoir consommer leur propre électricité.  » Maintenant, c’est plus de la moitié « , indique Hervé Lextrait, chef du département producteurs d’Enedis.

Nouvelle législation

Cette soudaine appétence pour l’autoconsommation est la conséquence de la loi du 24 février 2017. Désormais les  » auto-consommateurs individuels  » sont exemptés de taxes et de CSPE (contribution au service public de l’électricité), ce qui, selon la Commission de régulation de l’énergie (CRE), représente une économie de près de 10 % sur une facture annuelle de 1 400 euros. Pour le cabinet Sia Partners, la réduction peut même atteindre 19 %.  » En 2030, environ 4 millions de foyers français devraient produire et consommer leur propre électricité « , estime Xavier Piechaczyk, membre du directoire de RTE, le gestionnaire du réseau de transport d’électricité.

Face à ce nouvel eldorado, les industriels comme Schneider Electric sont chauds bouillants. Idem pour les électriciens : EDF et Engie ont lancé pour quelques milliers d’euros leurs solutions  » Mon soleil et moi  » et  » My Power « . L’administration et Enedis sont en revanche plus réservées, car l’autoconsommation remet en cause les grands équilibres électriques (production, transport, distribution). Si les autoconsommateurs ne vont pas se désolidariser du réseau – le solaire est une énergie intermittente et la problématique du stockage n’est pas résolue -, ils soutireront moins d’électricité, ce qui fera diminuer d’autant leur facture. Le sacro-saint principe de la péréquation tarifaire stipulant que deux clients ayant le même profil de consommation paient le même montant est menacé.

Nouvel intérêt économique

Au coeur du sujet, le Turpe (tarif d’utilisation des réseaux publics d’électricité). Le prix de l’acheminement est aujourd’hui le même pour tous, à l’instar du timbre-poste. Qu’en sera-t-il demain ? Les autoconsommateurs continueront-ils à payer le Turpe en étant solidaires des clients  » classiques  » ? S’ils en étaient dispensés, le manque à gagner d’Enedis serait compensé par une hausse des tarifs car la loi stipule que le Turpe doit couvrir les coûts du réseau. Certains utilisateurs seraient donc amenés à en subventionner d’autres. Cette question d’équité vaut aussi pour l’autoconsommation collective, où le client n’utilise qu’un petit bout du réseau pour bénéficier des électrons des panneaux situés sur le toit de son immeuble (lire ci-dessous).

 » La fin de la péréquation signifierait le retour aux années 1930, quand il y avait des milliers d’entreprises de distribution d’électricité avec des cahiers des charges différents, estime Alain Beltran, historien de l’électricité, directeur de recherche au CNRS. Le modèle des trois entreprises publiques d’électricité, EDF, RTE et Enedis, perdrait alors de sa pertinence. « 

Pour éviter une bataille entre les anciens et les modernes, la CRE a pris les devants. En septembre dernier, elle a organisé un colloque sur l’autoconsommation, suivi de cinq ateliers thématiques. Dans quelques semaines, elle fournira ses recommandations au gouvernement, qui édictera le 1er août le nouveau cadre du Turpe.

Consommer l’électricité solaire que l’on produit n’est pas un phénomène nouveau. Mais, ces dernières années, il n’y avait simplement pas d’intérêt économique à le faire.  » Il valait mieux vendre la totalité de sa production au tarif subventionné de 600 euros le mégawattheure que de consommer à 140 euros « , indique Hervé Lextrait. Cet écart de prix explique l’apathie en matière d’autoconsommation. La percée fut plus significative dans les pays où le prix des électrons est plus élevé (on relève 750 000 foyers équipés en Italie, 2 millions en Allemagne). Reste qu’aujourd’hui les tarifs d’achat du photovoltaïque chutent alors que la facture d’électricité augmente. Les courbes sont sur le point de se croiser. Notamment dans les régions les plus ensoleillées. Autre changement susceptible de favoriser l’autoconsommation, l’arrêté du 9 mai 2017.

Désormais les clients qui injectent leurs surplus d’électricité dans le réseau sont indemnisés.

L’autoconsommation est sur les rails. Pour autant pas question de se précipiter.  » Attention aux effets d’aubaine qui peuvent faire exploser le système « , prévient Michèle Pappalardo, directrice de cabinet du ministre de la Transition écologique et solidaire Nicolas Hulot. Jean- François Carenco, président de la CRE, craint, lui, la montée de nouveaux communautarismes.  » Sous le prétexte de transition énergétique et de promotions de valeurs environnementales, ne détricotons pas le maillage de nos réseaux d’électricité qui garantissent la sécurité d’approvisionnement à un prix unique sur tout le territoire. « 

Nouveau tarif

Ce discours jacobin n’est pas du goût de tous. Les promoteurs de solutions renouvelables l’estiment trop frileux, téléguidé par les opérateurs historiques et pas assez incitatif pour permettre un développement massif de l’autoconsommation.  » La filière du photovoltaïque est à deux doigts de mettre la clé sous la porte, il faut donc miser sur l’autoconsommation, où il y a des milliers d’emplois à pourvoir « , dit David-Eric Ensellem, expert du secteur au cabinet Apex.  » Le monde change, l’intérêt général n’est pas nécessairement celui d’EDF « , indique Richard Loyen, délégué général d’Enerplan, le syndicat des professionnels de l’énergie solaire.

Pour ne pas brider le boom annoncé, les experts de la CRE vont définir un tarif ad hoc avec un nouveau mode de calcul. La partie fixe du Turpe qui comprend les frais de gestion afférant à la puissance souscrite pourrait augmenter, alors que la part variable correspondant aux kilowattheures soutirés du réseau pourrait diminuer.  » Cessons de nous accrocher au totem de la péréquation, poursuit Richard Loyen. Pour développer l’autoconsommation, il faut un tarif d’utilisation spécial, diminué de 30 ou 40 %. « 

Electrons en partage

Inaugurée à Bordeaux le 1er décembre par Enedis et le bailleur social Gironde Habitat, la résidence Les Souffleurs est la première installation d’autoconsommation collective en France.

Ce bâtiment basse consommation dispose sur son toit de panneaux solaires d’une puissance de 39 kilowattheures. La loi du 24 février 2017 va permettre aux 60 locataires, via une personne morale, de pouvoir consommer collectivement l’électricité photovoltaïque en se fondant sur une clé de répartition qui reste à définir.  » Selon leurs profils, les ménages devraient réaliser entre 50 et 70 euros d’économies annuelles sur leurs factures « , estime Fabienne Gonzalez, qui pilote le projet au sein de Gironde Habitat. Les surplus d’électricité seront distribués à des tiers, comme le supermarché voisin.

SOURCE : CRE

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