Le nouveau porte-avions français n'est pas pour tout de suite

Nom de code : PANG, pour porte-avions nouvelle génération. En ouverture du salon Euronaval, le salon du naval de défense qui vient d’ouvrir ses portes au Bourget, la ministre des Armées Florence Parly a annoncé mardi 23 octobre le lancement des études préliminaires sur le futur porte-avions français. Ces travaux de 18 mois sont destinés à faire le point sur les menaces futures et les différentes options d’architecture et de propulsion du futur navire, successeur du Charles de Gaulle, seul et unique porte-avions actuel de la Marine nationale. Ils seront séparés en trois contrats distincts, d’un montant total de 40 millions d’euros, et confiés à Naval Group, Thales, MBDA, Technicatome et les Chantiers de l’Atlantique de Saint-Nazaire.

L’objectif est clair : pouvoir prendre les grandes décisions structurantes en 2020, en tranchant notamment sur le type de propulsion du bâtiment (nucléaire, conventionnelle), sa taille, son design. La France n’a pas le droit à l’erreur : le navire devrait rester en service jusqu’en 2080, ce qui suppose de bien identifier le besoin de la Marine, et l’investissement total est estimé entre 5 et 7 milliards d’euros. « Ce porte-avions pourra servir jusqu’aux dernières décennies du XXIe siècle, nous ne pouvons pas nous permettre de le concevoir avec un horizon étriqué », a souligné Florence Parly.

Nucléaire ou conventionnel ?

Un des grands débats porte évidemment sur le type de propulsion. Chaque choix a ses avantages, selon l’entourage de la ministre des Armées. La propulsion conventionnelle est censée permettre un développement plus rapide, de l’ordre de trois ans, et un prix inférieur de 15 à 20%. « La propulsion nucléaire permet une vraie force de frappe stratégique, mais aussi de continuer à entretenir une filière d’excellence française », indique-t-on au cabinet. La disponibilité est aussi meilleure sur les porte-avions à propulsion nucléaire, indique-t-on de même source. A l’exception, évidemment, des « arrêts techniques majeurs » de 18 mois, nécessaires tous les 10 ans, comme celui que vient d’effectuer le Charles de Gaulle à Toulon. Si l’option nucléaire est choisie, Paris pourrait lancer une évolution du réacteur nucléaire K15 de Technicatome. Le futur porte-avions pourrait en embarquer jusqu’à trois, en fonction de la puissance nécessaire.

La taille du porte-avions est un autre sujet ouvert. Le fait que celui-ci doive embarquer le futur avion de combat franco-allemand SCAF, a priori plus grand et plus lourd que le Rafale Marine, plaide pour un navire plus imposant que le Charles de Gaulle. Ce dernier déplace 42.500 tonnes : le futur navire pourrait aller jusqu’à 70.000 tonnes. La taille maximale est liée à celle du bassin Vauban à Toulon, que le ministère des Armées n’a pas l’intention de modifier. « Faut-il un porte-avions plus grand, à l’image des porte-avions les plus récents [HMS Queen Elisabeth britannique, porte-avions américains de classe Gerald Ford, ndlr] ? Des navires plus compacts comme ceux destinés à accueillir les avions de chasse à décollage court et atterrissage vertical ? Des bases flottantes en Méditerranée croisant à 3 nœuds ? Toutes les options sont ouvertes », assure-t-on dans l’entourage de Florence Parly.

Catapultes électromagnétiques

Le ministère des Armées va aussi évaluer les différentes solutions techniques sur le catapultage des chasseurs embarqués. L’option des catapultes électromagnétiques EMALS (Electromagnetic Aircraft Launch System) qui équipent les porte-avions américains de la classe Gerald Ford semble privilégiée, plutôt que celle des catapultes à vapeur actuelles. La France ne maîtrisant pas la conception de ces équipements, des discussions ont été ouvertes par la DGA avec les Etats-Unis sur la question cet été.

Le caractère national ou non du programme reste aussi à définir. La France a été échaudée par le partenariat lancé avec la Grande-Bretagne en 2006 pour le développement de porte-avions en commun. Un pari perdu sur toute la ligne : Londres a finalement développé ses navires seule, et la France a financé en vain 214 millions d’euros d’études, selon un rapport de la Cour des comptes publié en 2014. « Pour l’instant, on part en national, assure-t-on au cabinet de la ministre. Mais nous sommes ouverts pour discuter du sujet avec d’autres pays. C’est un sujet de discussion possible avec l’Allemagne, voire l’Inde. »

Le nombre de nouveaux porte-avions est un autre sujet majeur à trancher : le PANG est-il juste destiné à remplacer numériquement le Charles de Gaulle, dont la retraite est prévue en 2038 au plus tard ? La France repassera-t-elle à deux navires, comme au temps du Foch et du Clemenceau ? Ou, solution intermédiaire, le deuxième porte-avions pourrait-il arriver un peu avant la retraite du Charles de Gaulle, permettant un « tuilage » de quelques années ? Le coût du programme plaide évidemment pour une solution a minima.

Retards systématiques

Une chose est sûre : ceux qui attendaient un second porte-avions français rapidement seront déçus. Le calendrier retenu ne permet pas d’envisager le futur porte-avions avant 2035-2038. Pourquoi ? Parce que le développement d’un tel navire prend du temps. « Entre le lancement du programme Charles de Gaulle en 1986 et son entrée en service en 2001, il s’est passé 15 ans », souligne-t-on dans l’entourage de la ministre. Certes, les travaux avaient été ralentis par des crédits de paiement insuffisants certaines années, d’où un retard de l’ordre de trois ans.

Mais des retards sur des projets de cette ampleur sont quasi-systématiques, comme le montrent les retards des sous-marins nucléaires d’attaque français Suffren, ou ceux des porte-avions britanniques HMS Queen Elisabeth et HMS Prince of Wales. Le Charles de Gaulle risque donc bien de rester longtemps le seul porte-avions de la flotte française. Sa date définitive de retrait du service doit être fixée en 2028, lors de son prochain arrêt technique majeur.

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