Le plan de choc d’EDF pour construire des EPR d’ici 2030

Vendredi 13 décembre, c’était L’Empire contre-attaque au siège d’EDF à Paris.  » Nous avons subi un choc, il nous faut lancer le sursaut « , a dit Jean-Bernard Lévy avec des accents guerriers. Ce jour-là, le PDG présentait  » excell « , un plan visant à permettre à la filière nucléaire de retrouver l’excellence perdue. Il avait été demandé par Bruno Le Maire après la publication, le 28 octobre, d’un rapport particulièrement critique sur l’EPR de Flamanville, qui accuse dix ans de retard et un quadruplement des coûts. Le ministre de l’Economie avait évoqué  » un échec de la filière électronucléaire française « . Doté d’un budget de 100 millions d’euros, excell vise à retrouver la rigueur et la qualité qui prévalait lors de la construction du parc dans les années 1980 et 1990, indique Jean-Bernard Lévy,  » afin de donner confiance à l’Etat le jour où il aura à décider de relancer la construction de nouvelles centrales « . Et, à écouter le PDG, la décision ne fait guère de doute : il lui tarde que le gouvernement donne son feu vert.

Trois dossiers sensibles

Les derniers mois furent difficiles pour Jean-Bernard Lévy. Reconduit en février à la direction d’EDF, une première depuis Marcel Boiteux dans les années 1980, l’ancien patron de Vivendi et de Thales n’a pas eu le temps de savourer. Outre sa traditionnelle feuille de route – réduction de la dette, prolongation de dix à vingt ans des réacteurs nucléaires (un programme de 45 milliards d’euros), développement des renouvelables, fermeture des centrales à charbon… -, il doit aujourd’hui s’atteler à trois dossiers sensibles : la régulation de l’électricité nucléaire, la réorganisation du groupe en deux parties (projet Hercule) et la préparation au lancement de nouveaux EPR en France. Des sujets qui rendent le marché fébrile.

Depuis le début de l’année, le titre d’EDF a plongé de près de 30 %, quand celui d’Engie a progressé de 22 %. L’ex-monopole est sous pression. Il perd tous les mois 100 000 clients, ce qui a le don de mettre Jean-Bernard Lévy hors de lui. Le 3 novembre, la nervosité du boss est apparue au grand jour à l’occasion d’une table ronde dans le cadre du colloque de l’Union française de l’électricité à Paris. Alors que le PDG de Total, Patrick Pouyanné, se désolait d’être limité dans le volume d’électricité d’origine nucléaire qu’il peut commercialiser, Jean-Bernard Lévy l’a vertement recadré en lui disant : « Si tu veux investir [dans la production d’électricité], n’hésite pas. Investis dans une centrale à gaz. » Il s’en est suivi un échange aigre-doux qui a laissé pantois tout le gratin du monde de l’énergie présent dans la salle.

Pas de décision avant 2023

Pas touche à mon nucléaire ! Certes, 14 réacteurs sur 58 doivent fermer d’ici à 2035, afin que la part de l’atome dans le mix électrique passe de 72 % à 50 %. Mais Jean-Bernard Lévy ne veut en aucun cas être le fossoyeur de la filière. Au contraire, sa société, qui a repris Framatome, en est le chef de file. « Plusieurs réacteurs français auront près de 50 ans en 2030, indique Valérie Faudon, porte-parole du lobby nucléaire Sfen (Société française d’énergie nucléaire). Il faut dès à présent songer à les remplacer. » La décision de construire ou de ne pas construire de nouvelles centrales interviendra après la mise en service de Flamanville, a indiqué Bruno Le Maire. L’EPR normand devait être lancé l’an prochain. Mais, en raison de soudures défaillantes à réparer, ce ne sera pas avant 2023.

Cependant, dès 2021, le gouvernement veut disposer d’éléments de décision sur le nouveau nucléaire post-Fukushima. Et, en premier lieu, sur son coût (lire p. 36). Pour les aficionados de l’atome, ça urge. « Si la décision de lancer de nouvelles centrales tarde trop, la filière va se retrouver à nouveau face à une perte de compétences, avertit Valérie Faudon. Car, faute de commandes, les sous-traitants risquent de déserter le nucléaire pour s’orienter vers d’autres secteurs industriels. »

Injonctions contradictoires

Au gouvernement, on botte en touche. La ministre de la Transition écologique, Elisabeth Borne, a demandé à Jean-Bernard Lévy de travailler, parmi d’autres, sur un scénario 100 % renouvelables après 2035, mais personne n’y croit vraiment. D’ailleurs, dans une lettre cosignée par Bruno Le Maire datant du 12 septembre, cette même Elisabeth Borne a demandé au PDG d’EDF d’« être en mesure de répondre à l’exécution d’un programme de construction de trois paires de réacteurs EPR sur trois sites distincts ». Les ONG ont poussé des cris d’orfraie. « Le gouvernement a déjà pris sa décision », s’insurge Charlotte Mijeon, porte-parole du Réseau sortir du nucléaire.

Jean-Bernard Lévy, lui, reste droit dans ses bottes. Composer avec les injonctions contradictoires de l’Etat, il sait faire. « Sur le nucléaire, il nous faut de la continuité, on ne peut pas vivre de stop-and-go », dit-il. Et le PDG d’ajouter : « Tant que le stockage en électricité n’aura pas réalisé des avancées majeures, le nucléaire sera durablement indispensable pour répondre aux objectifs de neutralité carbone en 2050. Et pour obtenir de l’électricité abondante, permanente et peu onéreuse. » Le message est clair. Flamanville est un fiasco, les prix des renouvelables sont en chute libre, mais EDF trace sa route.

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