Le tribunal de commerce de Nanterre met Suez sous pression

Alors que l’accord de rachat annoncé entre Suez et Veolia a été considéré le 20 avril comme « pas acceptable » par les fonds Ardian et GIP, annoncés parmi les repreneurs du nouveau Suez, ce dernier est sous tutelle étroite. C’est a priori un troisième fonds, Meridiam, qui devrait devenir le futur actionnaire de référence du « nouveau Suez », comme l’envisageait Veolia. En attendant, Marc Sénéchal, mandataire ad hoc de Suez désigné par le tribunal de commerce de Nanterre et artisan, avec Gérard Mestrallet (ex-Suez), de l’accord du 12 avril, s’est vu confier l’ « exécution » de ce deal. Les deux parties ont moins d’un mois pour entériner officiellement leur « rapprochement définitif », sachant que selon le communiqué commun aux deux groupes publié le 12 avril, il ne s’agit pour l’instant que d’un « accord de principe » laissant quelques questions ouvertes. Sachant que c’est lui, selon son entourage, « qui a facilité les négociations et a permis de trouver cet accord », Marc Sénéchal n’a aucune intention de voir ce chef-d’oeuvre de diplomatie des affaires remis en chantier. 

Sénéchal s’est aussi occupé de Vallourec

Personnage plutôt discret, mais néanmoins fort influent, Sénéchal a déjà été mobilisé comme mandataire ad hoc sur les dossiers délicats de la place de Paris, comme celui de Vallourec,

sur lequel il a travaillé avec l’administratrice judiciaire Hélène Bourbouloux. Il est aussi intervenu dans l’affaire Mediapro qui a ébranlé le football professionnel. Mandataire judiciaire depuis 2005, il est associé fondateur de BTSG, première structure française du mandat de justice qui compte quatre associés et 120 salariés. Il intervient dans les procédures tant amiables et confidentielles – ce qui est le cas dans Veolia-Suez – que judiciaires et collectives. Professeur associé à l’Université Paris I-Panthéon, il est enfin président d’honneur du Conseil national des administrateurs judiciaires et des mandataires judiciaires à la tête duquel il a été élu à l’âge de 36 ans.

Incontournable Mestrallet

Gérard Mestrallet, lui, est bien plus connu. Et sa présence dans le dossier à été largement médiatisée. Président d’honneur d’Engie et de Suez, il s’était opposé en septembre 2020 à l’offre de rachat de Veolia, estimant dans une tribune publiée par Le Figaro, que Suez devait rester indépendant. Dès fin janvier dernier, alors qu’Ardian et GIP avaient manifesté leur intérêt, il s’était fait le chantre d’une « troisième voie négociée et amiable » préfigurant son rôle de médiateur, qui débouchera sur l’accord du 12 avril.

Syndicats toujours remontés

Cet accord, dit « du Bristol »,  les syndicats de Suez ne l’ont pas digéré et cela fait des mois qu’ils ont mobilisé les salariés contre l’offre de Veolia. Et pour eux, la lutte continue. Plusieurs organisations -revendiquant la majorité de l’intersyndicale- ont même déposé une plainte le 22 avril  au parquet national financier qui vise le secrétaire général de l’Elysée Alexis Kohler, le PDG de Veolia Antoine Frérot, le président du conseil  d’Engie Jean-Pierre Clamadieu et le PDG du fonds Meridiam Thierry Déau. Ils dénoncent  tout à la fois « l’intervention de l’Elysée bien en amont de l’annonce publique du projet » de fusion et les « pressions régulières et répétées pour faire aboutir » le rapprochement. Ils rappellent aussi la déclaration publique en septembre du Premier ministre Jean Castex en faveur d’un rapprochement qui « fait sens », une position « bien au-delà de la neutralité que la loi impose normalement au pouvoir politique ». A noter que Bruno Le Maire – qui s’était montré dans un premier temps très hostile à l’offre de Veolia- n’est pas dans la ligne de mire des syndicats de Suez. C’est pourtant bien le ministre de l’Economie, des Finances et de la Relance qui a, selon L’Obs, organisé le 8 avril à Bercy avec le directeur du Trésor, Emmanuel Moulin et celui de la Caisse des dépôts, Eric Lombard, une réunion visant à rapprocher les parties. Il a ensuite célébré l’accord du 12 avril qui selon lui « préserve l’emploi ».

L’AMF prise à partie

La réunion de Bercy permettant de siffler la fin de la partie s’est tenue quelques jours après la publication, le 2 avril, d’un communiqué de l’Autorité des marchés financiers (AMF) appelant à la recherche d’une « solution négociée » mais recadrant certains procédés utilisés par Suez dans le cadre de sa défense. Une prise de position, qui a fait basculer le feuilleton vers un happy end pour Veolia, provoquant du même coup  beaucoup de ressentiment du coté de Suez. La direction du groupe avait alors parlé d’une position « incompréhensible et favorisant une nouvelle fois Veolia adoptée via un processus décisionnel inacceptable car ne respectant pas les droits les plus élémentaires de Suez ».

Changement de registre

Dans leur communiqué du 22 avril, les syndicats jouent sur le même registre dénonçant la prise de position de l’AMF qui, selon eux, a été publiée « sans aucune sollicitation, ni aucune compétence juridictionnelle, menaçant en dehors de toute légitimité les opérations de résistance de Suez face à l’OPA de Veolia ». Entretemps, avec l’accord du 12 avril, la direction de Suez a changé de registre, se montrant beaucoup moins agressive. Philippe Varin, président du conseil estime ainsi que l’accord « reconnaît la valeur de Suez ». Et Bertrand Camus, le directeur général, qui s’est battu des mois pour trouver une « offre alternative », estime aujourd’hui que celle de Veolia donne « toutes ses chances à l’obtention d’une solution globale qui offrirait les garanties sociales indispensables pour l’ensemble des salariés ». 

Affaire non conclue

L’affaire n’est pas tout à fait finie puisque, on l’a bien compris, seul un « accord de principe » a pour l’instant été conclu. Les forces en présence sont toujours à la manoeuvre, notamment pour constituer le tour de table du « nouveau Suez ». Philippe Varin a expliqué publiquement qu’il serait « vigilant »  d’ici à la signature de « l’accord permettant de mettre fin au conflit « . Façon de dire, en creux, que le dit conflit n’est pas terminé? Gageons que la vigilance de Marc Sénéchal et Gérard Mestrallet épargnera à la place de Paris un nouveau coup de théâtre dans cette bataille fratricide. 

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