L’Etat va-t-il s’attaquer à la rémunération des notaires ?

Les rémunérations des professions du droit réglementées seraient dans le collimateur du gouvernement, selon les informations dévoilées par Le Parisien – Aujourd’hui en France ce mercredi 19 mars. Le but serait de « limiter les rentes en rapprochant les tarifs des coûts réels des actes », rapporte le site du quotidien. La problématique est particulièrement sensible en ce qui concerne les transactions immobilières. Les notaires touchent en effet un pourcentage du prix de vente. Or, les prix ont explosé ces dernières années. Ce qui pénalise les acheteurs, alors que le travail des notaires n’a pratiquement pas changé. La réforme consisterait à remplacer ce système par une grille forfaitaire. Challenges.fr a interrogé à ce sujet Anthony Perrat, le fondateur de l’agence immobilière UneMaisonBleue, qui applique un forfait unique pour ses frais d’agences (5.980 euros pour tous les biens immobiliers jusqu’à un million d’euros).

Le gouvernement plancherait sur une réforme de la rémunération des notaires, notamment pour les transactions immobilières. Qu’en pensez-vous ?

Cela pourrait sembler logique car le travail du notaire ne diffère pas en fonction du prix d’un bien immobilier. Par contre, il faudrait prendre en compte la complexité de chaque dossier. Rappelons cependant qu’aujourd’hui, les émoluments des notaires sont généralement de l’ordre de 1,2% du prix de vente. Car ce qu’on appelle les frais de notaires (de 7 à 7,7% du prix de vente), ce sont surtout des taxes pour les collectivités locales ! Au final, pour un appartement vendu 500.000 euros, il va rester au notaire entre 5.000 et 6.000 euros. Ce qui n’est pas énorme, surtout si plusieurs notaires se partagent la vente.

Croyez-vous que cette réforme soit possible ?

Je ne vois pas comment les notaires pourraient accepter cela. Ou alors, le gouvernement va forfaitiser les frais de façon à s’aligner sur ce que gagnent déjà les notaires. Avec sans doute une revalorisation de ce forfait chaque année. De toute façon, le gouvernement peut difficilement entrer en guerre contre eux, alors qu’ils ont un rôle de collecteur de l’impôt. Enfin, le modèle notarial français fonctionne plutôt bien. Il est même très copié dans le monde. Et il est vrai que la charge de travail des notaires a augmenté avec la multiplication des normes. Je pense en particulier aux nouveaux diagnostics techniques.

Cette réflexion sur les frais de notaires n’est-elle pas paradoxale, alors que le gouvernement vient d’autoriser les départements à augmenter les droits de mutation de 3,8 à 4,5% du prix de vente pendant deux ans ?

Bien sûr. C’est un peu déshabiller Pierre pour habiller Paul. Si cette réforme se fait, ce sera pour redonner du pouvoir d’achat aux Français, alors que les droits mutation augmentent et pèsent bien plus lourdement. D’ailleurs, si c’est pour faire gagner seulement quelques centaines d’euros en frais de notaires aux acheteurs sur une transaction de plusieurs centaines de milliers d’euros, je ne vois pas bien l’intérêt pour l’Etat de se mettre à dos cette puissante corporation.

Selon vous, l’Etat devrait davantage s’attaquer aux rémunérations des agents immobiliers, qui représentent en moyenne 5% du prix de vente …

Les rémunérations des agents immobiliers sont une anomalie. Elles dépendent directement du prix des biens, qui ont été multiplié par 3 ou 4 dans certains endroits en dix ans. Vendre un deux pièces à Montélimar ou à Paris, c’est pourtant le même travail. Il n’y a pas de raison qu’un agent immobilier, pour un même service rendu, soit mieux payé en fonction de la région dans laquelle il opère. A part s’il s’agit de biens qui nécessitent davantage de frais, comme les appartements haut-de-gamme. D’autant que le service que les agents immobiliers apportent est de plus en plus concurrencé. Avant, ils étaient les seuls à vraiment connaître les prix du marché et à disposer de fichiers clients des vendeurs et des acheteurs. Aujourd’hui, vous trouvez tout ça sur internet.

Certaines agences pourraient vous rétorquer que, si elles font une importante marge sur les ventes qu’elles réalisent, elles ne sont pas payées pour les biens qu’elles ne vendent pas. Elles travaillent de fait souvent sans être rémunérées…

Je ne comprends pas qu’on fasse payer le coût des invendus à ceux qui achètent. Cela ne me paraît pas satisfaisant pour le client. Nous, nous arrivons à être rentables avec des frais d’agences fixes par vente, qui ne s’appliquent que si la vente a lieu.

Avec le blocage du marché, beaucoup de petites agences ont dû fermer leurs portes et la profession est touchée par le chômage. D’après vous, y a-t-il trop d’agents immobiliers ?

Oui, c’est évident. Nous avons connu un boom de l’immobilier ces dernières années, il y a donc eu un boom aussi dans la profession. C’est ce qu’on connaît en ce moment avec les vendeurs de cigarettes électroniques par exemple. Le nombre d’agences immobilières va se normaliser avec le temps. Il faut savoir s’adapter. 95% des acheteurs passent par internet. Avoir des locaux coûteux en centre-ville pour disposer d’une belle vitrine, c’est un choix.

Malgré les travers des agences, les ventes de particulier à particulier ne semblent pas avoir explosé. Pourquoi ?

Déjà, parce que les agents immobiliers ont un devoir de conseil. Nous avons une vraie utilité quand il s’agit de prendre des photos avec un professionnel, mettre en avant l’annonce et faire économiser du temps à nos clients. Ensuite, les particuliers ont souvent tendance à vendre leurs biens plus chers : ils connaissent moins bien les prix du marché et le côté affectif s’y mêle.


Challenges.fr – Toute l’actualité de l’économie en temps réel