Maison & Objet réaménage son modèle

Pour ses 25 ans, Maison & Objet aurait pu espérer une fête plus joyeuse. Mais l’épidémie de Covid-19 et les restrictions sanitaires sont venues tout gâcher. Le Salon de l’art de vivre, du design et de la décoration, qui a lieu deux fois par an, n’a pas pu se tenir à Villepinte, au nord-est de Paris, lors de sa session automnale 2020. Pas plus qu’en janvier dernier. Un coup dur pour ce rendez-vous professionnel qui attire plus de 80.000 visiteurs du monde entier à chaque édition. Acheteurs de grands magasins, revendeurs distributeurs, hôteliers et restaurateurs, architectes d’intérieur, stylistes de mode ou commerçants indépendants viennent s’y nourrir des dernières tendances et dénicher des produits originaux auprès de marques pointues. Pendant cinq jours, des centaines de milliers de contacts sont pris, qui débouchent généralement sur des commandes, pour un montant estimé à 2 milliards d’euros.

Alimenter sa plateforme

Comment entretenir ces liens quand tout est arrêté? Philippe Brocart, le directeur général de Maison & Objet, se souvient : « On s’est dit qu’il y avait un autre modèle à inventer. Surtout que nous avions déjà notre plateforme numérique MOM (Maison & Objet and More), créée en 2016 pour prolonger l’expérience du Salon entre exposants et visiteurs pendant l’année. » Les marques y présentent leurs

nouveautés contre un abonnement mensuel de 250 euros. « L’an dernier, nos ventes en ligne se sont beaucoup développées quand les magasins étaient fermés, témoigne Béatrice Brandt, directrice générale du fabricant de linge de maison Le Jacquard Français. Mais grâce à MOM, nous touchons de nouveaux clients dans des pays où nous n’avons pas d’agent. Récemment encore, nous avons reçu une commande pour des draps de plage et des sacs assortis aux Pays-Bas. » A ce jour, la plateforme compte plus de 2.000 marques abonnées.

En septembre dernier, une « Digital Fair » a été organisée sur Internet pendant trois semaines. Avec succès : plus de 210.000 visiteurs se sont connectés pour découvrir l’offre des marques exposée dans 6.400 show­rooms virtuels et suivre des conférences quotidiennes telles que celle du cabinet de tendance NellyRodi : « Maison & Objet doit se considérer comme un lanceur d’alerte, martèle Vincent Grégoire, son directeur général. Un éclaireur, un pourvoyeur de contenus qui met en éveil tous les sens, en plus d’être un lieu de rencontres. Sinon, pourquoi organiser deux sessions par an? » Rebelote début 2021 : pendant huit semaines, les « Digital Days » ont permis de présenter près de 50.000 nouveautés et d’organiser des tables rondes ­thématiques. Des émissions enregistrées en studio ont aussi donné la parole à des professionnels réputés comme Jean-Luc Colonna d’Istria, cofondateur du concept store Colette, sur l’art du cadeau. En outre, la découverte de magasins innovants, comme Trésors Publics à Nice, a été proposée et une série de podcasts sur les entrepreneurs du design, lancée. Résultat, plus de 500.000 conne­xions ont été enregistrées.

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Changer le visiteur en client

Cette extension numérique de Maison & Objet bouleverse son business model. « Hier, l’essentiel de nos recettes venait de la vente de mètres carrés, rappelle Philippe Brocart. Demain, ce sera beaucoup plus diversifié. » Ainsi, lors de sa prochaine édition à Villepinte en septembre prochain, le Salon inaugurera une plateforme numérique, façon Netflix, avec des dizaines de vidéos sous-titrées en anglais pour apprendre, par exemple, à créer sa boutique en ligne, à découvrir des marques écoresponsables ou bien à s’informer sur les nouvelles réglementations : Maison & Objet Academy sera accessible pour 15 euros par mois, qui incluront aussi le ticket d’entrée au Salon.

La question qui se pose maintenant est de transformer la plateforme MOM en une place de marché qui se rémunérerait à chaque prise de commande. Le pari est risqué car il s’agit d’un autre métier, plus complexe, de services technologiques comme le paiement en ligne, la gestion de catalogues et des offres de logistiques. « Un Salon comme Maison & Objet possède les deux actifs clés d’une marketplace : des vendeurs et du trafic, fait remarquer Philippe Corrot, cofondateur de Mirakl, fournisseur de solutions pour marketplace. Le but serait de transformer les visiteurs en clients et de stimuler les transactions avec les exposants, ce qu’un site d’e-commerce sait faire. » Selon lui, il n’y a pas à hésiter.

Avant de trancher, Philippe Brocart a commandé une étude au cabinet Fabernovel qui rendra son rapport en juillet. Sans préjuger de la décision finale des actionnaires, il est évident que le Salon a intérêt à enrichir son offre de vidéos et d’outils numériques pour fidéliser ses clients, et augmenter ses recettes. « Les Salons ne sont pas voués à mourrir, affirme Gabrielle Peyrelongue, senior manager de cette agence de conseil. Car le besoin de voir et de toucher les objets, de se rencontrer, de découvrir de nouvelles marques ne va pas disparaî­tre. Mais il y a un modèle hybride à penser en termes de contenus, d’accompagnement, d’éducation. »

Viser les petites marques

Ces dernières années, plusieurs places de marché entre professionnels ont ainsi vu le jour dans le secteur de la décoration et de la mode : eporta, nuorder, orderchamp, ou encore Ankorstore en France. « Mais elles ne font pas le même travail de sélection que Maison & Objet propose sur sa plateforme MOM », souligne Gabrielle Peyrelongue. Une première étape consisterait à fournir des outils de traitement des commandes, ou de création de vitrines digitales pour les petites marques. En janvier, aux Etats-Unis, l’opérateur de Salons professionnels Emerald a ainsi racheté un éditeur de logiciels pour enrichir l’expérience en ligne de ses clients comme l’organisation d’événements, la découverte de nouveaux produits et les transactions financières. Maison & Objet sait comment agrandir la taille de son salon.

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