MEDEF : les enjeux du grand oral

Plus que quelques jours, et les cinq candidats à la présidence du Medef sauront s’ils ont réussi leur grand oral. Le jeudi 23 mai, ils ont planché devant le conseil exécutif de l’organisation patronale ; et aujourd’hui 3 juin, ses 45 membres voteront (à bulletins secrets) pour désigner leur favori. Le classement qui en résultera n’aura qu’une valeur indicative pour les 560 grands électeurs qui feront la décision lors de l’assemblée générale du 3 juillet.

Rien n’est joué. Si Pierre Gattaz part favori – il a bénéficié le 27 mai du ralliement d’une nouvelle fédération, celle des banques -, il est difficile de départager les prétendants, tant leurs programmes se ressemblent. Clara Gaymard, présidente de General Electric France, a tellement de mal à se décider qu’elle figure à la fois sur les listes de soutiens de Pierre Gattaz et de Geoffroy Roux de Bézieux, rêvant de les réunir dans une même équipe. « En parlant de « Medef de combat », Pierre Gattaz a donné le ton et obligé les autres candidats à réclamer des changements de manière très offensive », commente Bernard Vivier, directeur de l’Institut supérieur du travail.

Référence allemande

Tout au plus, Thibault Lanxade (qui vient de se rallier à Gattaz) et Hervé Lambel, les « petits » candidats, se sont-ils distingués, l’un en proposant une carte de France des élus pro et antibusiness, l’autre en prônant la suppression de la TVA interentreprises. Mais, dans les grandes lignes, tous réclament une fiscalité plus légère, des charges patronales réduites (en reportant le financement de la branche famille de la Sécurité sociale sur la TVA), et une négociation (notamment sur la fin des 35 heures) au plus près des entreprises. La référence revendiquée par les trois principaux candidats, c’est Peter Hartz, l’ex-DRH de Volkswagen, grand inspirateur des réformes du marché du travail en Allemagne menées par Gerhard Schröder. Ce même chancelier social-démocrate dont François Hollande a salué le courage à Leipzig! Un signe qui prouve que le successeur de Laurence Parisot bénéficiera peut-être d’un climat propice aux remises en cause.

Pierre Gattaz – Le favori

SON IDEE FORTE. Comme les chefs d’entreprise qui ont su abaisser leur point mort en temps de crise, Pierre Gattaz préconise une baisse du niveau des dépenses publiques pour un Etat qui croule sous le poids des dettes. But final: alléger la fiscalité des entreprises. « Il faudrait se donner l’objectif de réaliser rapidement 10% d’économies sur les dépenses publiques, soit 110 milliards d’économies sur 1.100 milliards au total, sous cinq ans.’ Cela implique, selon lui, de geler toutes les embauches de fonctionnaires pendant dix ans. Et comme le patron de Radiall est issu du monde de l’indus trie, il n’ignore rien du « lean management », cette méthode héritée des usines Toyota et dont l’objectif est de chasser toutes les déperditions d’énergie, en associant les mieux placés pour en parler: les fonctionnaires eux-mêmes, qui seraient largement mobilisés dans cette quête d’efficacité.

SON PARCOURS. Pierre Gattaz dirige depuis 1994 Radiall, l’entreprise familiale de connecteurs utilisés dans l’industrie. Une entreprise française de taille intermédiaire qui a connu des hauts et des bas, a dû se redéployer des télécoms vers l’aéronautique, produit et vend en Asie et en Amérique. Bref, le portrait-robot idéal de l’entreprise française qui réussit sans être une multinationale du CAC 40.

Le fils d’Yvon Gattaz, président du CNPF (l’ancêtre du Medef) de 1981 à 1986, est rodé aux milieux patronaux: il préside la Fédération des industries électriques, électroniques et de communication (Fiecc) depuis 2007, le Groupe des fédérations industrielles (GFI) depuis 2010 et est un membre influent de la puissante Union des industries et métiers de la métallurgie (UIMM).

Le terme de « Medef de combat » utilisé devant l’UIMM a séduit les adhérents, qui ont préféré sa candidature à celle de Frédéric Saint-Geours, pourtant président de la fédération. Mais ses détracteurs redoutent une ligne dure et un risque de blocage des négociations. Crainte renforcée par la présence de Denis Kessler, libéral assumé, dans son comité de soutien. Autres points faibles: Gattaz n’a pas l’aisance à l’oral de Geoffroy Roux de Bézieux, et ses relations avec les investisseurs en Bourse, qu’il a souhaité sortir de son capital sans ménagement, sont fraîches.

SES SOUTIENS. Pierre Gattaz a fait un malheur parmi les fédérations professionnelles les plus puissantes: l’UIMM, mais aussi la Fédération bancaire française (FBF) et la Fédération française des sociétés d’assurances (FFSA) dans les services. D’où son statut de favori. Sur sa liste de soutiens personnels figurent Jean-Paul Herteman (Safran), Henri Lachmann (Schneider Electric), Henri de Castries (Axa), René Ricol…

Geoffroy Roux de Bézieux – Le challenger

SON IDEE FORTE. L’ancien président de l’Unédic veut remettre à plat le système d’indemnisation du chômage: « Le régime n’est pas soutenable. La dette accumulée dépassera probablement les 25 milliards d’euros fin 2014. » Mais pour résoudre l’impasse financière, il préconise une révolution, la réduction de la durée d’indemnisation. « Ce n’est pas politiquement correct de le dire, mais un système trop généreux n’est pas incitatif au retour à l’emploi, martèle le candidat. Les Allemands ont fait ce choix très dur il y a dix ans, mais, aujourd’hui, leur taux de chômage est inférieur à 7%. » Plusieurs études démontrent que plus la durée d’indemnisation est longue, plus le chômage dure. La dernière, menée par l’Institut des politiques publiques, date tout juste d’avril.

Nul doute que la négociation sur ce sujet, programmée pour l’automne prochain, sera particulièrement ardue avec les syndicats, qui ne veulent pas entendre parler d’un tel schéma. Pour les amadouer, Geoffroy Roux de Bézieux avancera que cette révolution n’épargnera pas les hauts revenus, dont les indemnités seraient plafonnées autour de 2.000 euros. « La mesure n’est pas celle qui rapporte le plus, admet-il. Elle a surtout un caractère symbolique. » De toute façon, le candidat assumera ses choix s’il est élu: il recommande de sortir des instances paritaires de gestion au cas où cette option radicale ne serait pas soutenue.

SON PARCOURS. A 51 ans, le fondateur de The Phone House et d’Omea Telecom (Virgin Mobile) peut revendiquer plusieurs vies: avant d’être entrepreneur, il a passé deux ans dans les commandos de marine et dix ans à L’Oréal. Ancien président de CroissancePlus, il a représenté le Medef pendant quatre ans à l’Unédic comme président, puis vice-président. Ce patron chrétien avait fait sensation en publiant en 2007 Salauds de patrons! dans lequel il prenait position contre les excès des dirigeants du CAC 40, que son côté donneur de leçons irrite particulièrement.

Certains reprochent également à ce boxeur amateur de la jouer « seul sur le ring », mais tous apprécient sa présence et son aisance sur les plateaux de télévision qui en feraient un bon VRP des patrons.

SES SOUTIENS. Peu de fédérations puissantes (sauf celle des télécoms, qu’il préside), mais des poids lourds: Pierre Bellon (Sodexo), qui avait fait basculer l’élection de 2005 en poussant Laurence Parisot, et toute une cohorte de patrons de la nouvelle génération (Charles Beigbeder, Denis Hennequin, Pierre Kosciusko-Morizet…), avec Guillaume Poitrinal, le PDG partant d’Unibail-Rodamco, qui a pris la tête de son comité de soutien.

Patrick Bernasconi – L’insider

SON IDEE FORTE. Fort de son expérience dans les travaux publics, où prospèrent les « CDI de chantier », il voudrait généraliser les « CDI de projet ». Sur la fiche de paie du salarié, il s’agit d’un contrat à durée indéterminée, ce qui lui permet de souscrire sans difficulté pour son logement un contrat de location ou un crédit auprès des banques. En réalité, il s’interrompt à la fin du chantier. « Dans bien des cas, les patrons craignent d’embaucher de peur de devoir licencier s’ils n’emportent pas de nouveaux marchés par la suite, explique Patrick Bernasconi. Le contrat de projet permet de vaincre cette peur de l’embauche. Et comme il est signé pour une durée plus longue que la plupart des CDD, il qualifie le salarié et renforce son employabilité. »

SON PARCOURS. Patron de l’entreprise de travaux publics familiale spécialisée dans les canalisations, Patrick Bernasconi est aussi président de la Fédération nationale des travaux publics depuis 2005. Fin négociateur, c’est lui qui a porté la voix du Medef dans l’accord signé avec les organisations syndicales le 11 janvier sur la sécurisation de l’emploi. Il a aussi à son actif, en 2008, l’accord sur la représentativité syndicale. Il risque toutefois de payer cher sa trahison à Laurence Parisot: alors que celle-ci souhaitait réformer les statuts du Medef pour se représenter, il a condamné son geste et en a profité pour annoncer sa candidature.

SES SOUTIENS. Tous ceux qui militent pour un approfondissement du dialogue avec les syndicats seront à son côté, tout comme le monde du bâtiment et des travaux publics, qui oeuvre sur le terrain pour le faire élire. Pourtant, Martin Bouygues, pilier de la Fédération française du bâtiment, défend Pierre Gattaz.


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