Nouvelle condamnation d’un laboratoire pour dénigrement : une spécificité française

team doctor working with laptop computer in medical workspace ofUn mois après avoir annoncé la saisine d’office pour avis et lancer une enquête sectorielle sur les secteurs du médicament et de la biologie médicale, l’Autorité de la concurrence a sanctionné, à hauteur de 25 millions d’euros, le laboratoire Janssen-Cilag France et sa maison mère Johnson & Johnson pour avoir empêché, puis limité le développement des médicaments génériques de Durogesic.

En 2009, une demande de mesures conservatoires avait été introduite par la société Ratiopharm contre le laboratoire Janssen-Cilag France afin de faire cesser, selon elle, trois types de pratiques anticoncurrentielles : prix prédateurs, actions auprès de l’Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé (AFSSAPS)[1] et campagne de dénigrement.

Si la demande de mesures conservatoires avait été rejetée le 31 juillet 2009, l’Autorité avait souhaité instruire le dossier sur le fond[2] ; instruction qui l’a conduit à condamner deux pratiques  par sa décision du 20 décembre 2017 : une intervention répétée et juridiquement non fondée du laboratoire Janssen-Cilag auprès de l’AFSSAPS et la mise en place d’une campagne de communication globale et structurée tendant à jeter le discrédit sur les génériques concurrents de Durogesic.

La première pratique a consisté à intervenir de façon répétée et non fondée auprès de l’AFSSAPS. Pour retarder de près d’un an l’entrée sur le marché du générique, la société Janssen-Cilag France s’est immiscée entre la société Ratiopharm et l’AFSSAPS en remettant en cause la bioéquivalence du produit générique, en mettant en exergue l’existence de différences dans la composition qualitative et quantitative de la substance active, le fentanyl, et en exposant ses craintes quant à la substitution du princeps par le générique.

L’AFSSAPS, sensible à ces arguments, délivra les autorisations de mise sur le marché (AMM) seulement les 28 et 29 juillet 2008, alors même que la Commission européenne avait rendu une AMM favorable le 23 octobre 2007, permettant à la société Ratiopharm de voir reconnaître, partout dans le reste de l’Union européenne, l’AMM obtenue en Allemagne et ce dans les trente jours suivant la notification de la décision de la Commission.

L’un des points intéressants de la décision commentée concerne notamment la position adoptée en 2009 par l’Autorité par rapport à celle de 2017. En effet, en 2009 cette dernière avait estimé que « l’Autorité de la concurrence n’est pas compétente pour apprécier les modalités de mise en œuvre par cette autorité de sécurité sanitaire [AFSSAPS] des produits de santé de ses prérogatives de puissance publique »[3] d’une part, et que « les actions menées auprès de l’AFSSAPS »[4] ne semblaient pas constituer des actions susceptibles d’être qualifiées d’abusives, d’autre part. En 2017, l’Autorité se déclare compétente à tout le moins indirectement et considère que la pratique menée par le laboratoire princeps est abusive.

La décision intégrale n’ayant pas été encore publiée, il sera intéressant de voir comment l’Autorité motive son changement de position.

La seconde pratique sanctionnée a consisté à jeter le discrédit sur les génériques concurrents du Durogesic. Une fois l’AMM délivrée, la société Janssen-Cilag a diffusé auprès des professionnels de santé, par différents moyens, dont la formation de 300 visiteurs médicaux, un message soulignant des différences de quantité de principe actif contenue et une procédure d’octroi d’AMM des médicaments génériques qui ne serait pas suffisamment protectrice de la sécurité et de la santé des patients.

Outre ces messages, le laboratoire a utilisé la mise en garde de l’AFSSAPS à son profit pour, d’une part, présenter de manière inexacte et incomplète des risques liés à la substitution du princeps par le générique, sans préciser les catégories de personnes à risques en cas de changement de traitement et, d’autre part, insister sur le caractère inédit de la mise en garde produite par l’AFSSAPS.

L’Autorité a ainsi souligné la gravité des pratiques ainsi que leur ampleur, en estimant que l’effet d’éviction des génériqueurs avait conduit particulièrement à « un surprix à payer pour les consommateurs, dans un contexte marqué par les déficits chroniques des comptes sociaux ».

Par cette décision, l’Autorité est ainsi dans le droit fil de sa pratique décisionnelle sanctionnant des pratiques de dénigrement à l’encontre des génériques : c’est ce qu’elle entend rappeler à travers son communiqué de presse du 20 décembre 2017 qui évoque les sanctions précédemment prononcées à l’encontre du laboratoire Sanofi-Aventis[5] et du laboratoire Schering-Plough[6]

[1] Devenue en 2012 l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM)
[2] Décision n°09-D-28, 31 juillet 2009, relative à des pratiques de Janssen-Cilag France dans le secteur pharmaceutique
[3] Ibid, para 115
[4] Ibid, para 116
[5] Décision n° 13-D-11, 14 mai 2013 relative à des pratiques mises en œuvre dans le secteur pharmaceutique
[6] Décision n°13-D-21, 18 décembre 2013 relative à des pratiques mises en œuvre sur le marché français de la buprénorphine haut dosage commercialisée en ville

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