Petfood: le juteux business dans la gamelle

Chaussures de sécurité montantes, blouse longue, gants renforcés, charlotte sur la tête, casque de chantier et lunettes de protection… Pour pénétrer au cœur de l’usine de Purina de Veauche, près de Saint-Etienne, il faut s’équiper de pied en cap. C’est ici que sont fabriqués chaque année 130.000 tonnes de boîtes de mousses, terrines ou autres effilés et sachets fraîcheur pour chats. Des produits vendus sous les marques Gourmet, Felix ou encore Proplan. Avec ses célèbres marques pour chats et pour chiens et son milliard d’euros de chiffre d’affaires en France, Purina, racheté par Nestlé en 2001, est sans conteste un poids-lourd du petfood. Alors quand il ouvre –de manière inédite comme il ne manque pas de le souligner– les portes d’une de ses usines de l’Hexagone, il s’agit bien de plonger au cœur de la gamelle.

Un sujet aux enjeux colossaux. Car comme pour le contenu de leurs assiettes, les consommateurs sont de plus en plus attentifs et exigeants quant à la qualité de ce qu’ils donnent à manger à leurs amis à quatre pattes. « Un foyer sur deux possède un chat ou un chien et 80% des possesseurs français considèrent leur animal comme un membre de la famille à part entière » souligne d’ailleurs Simon Lesage, directeur marketing de Mars Petcare France, l’autre gant du secteur, avec ses marques comme Royal Canin, Pedigree, Whiskas ou encore Cesar. A eux deux, Purina et Mars Petcare sont ultra-dominants sur ce marché à quelque 3 milliards d’euros en France, dont 1,9 milliards pour les ventes en grande distribution. Le premier pèse 41% sur ce créneau et le second 26%!

Et les deux industriels se mettent en quatre pour proposer toujours plus choix aux propriétaires de quadrupèdes. « L’innovation de nos gammes nous permet d’accompagner le possesseur tout au long de la vie de son animal  » vante ainsi Simon Lesage. Des croquettes ou sachets fraîcheurs pour petits ou gros chiens. Pour animaux jeunes ou âgés. Pour remédier à des soucis divers et variés… La liste des produits proposés par les différents fabricants est (très) longue. Sans oublier les mille et une recettes pour répondre à la gourmandise de l’animal. Comme Cesar avec ses snacks pour petits chiens Tendres Délices ou Délices Moelleux ou le récent Gourmet Gold Cœur fondant. Une hyperprofusion.

Défiance des consommateurs

Mais comme dans l’alimentation humaine, la qualité et la composition de ces aliments industriels soulèvent moult interrogations et doutes. En octobre 2017, un documentaire de France 5 intitulé « Quelles croquettes pour nos bêtes? » mettait les pieds dans la gamelle, questionnant la fabrication des croquettes et notamment la quantité de céréales –dont la parfois forte présence dans les aliments pour chiens et chats fait débat–, et au final le taux de glucides. « C’était un coup de pied dans la fourmilière » estime Gilles Vouillon, extrêmement engagé sur ce sujet. Il apparaissait d’ailleurs dans le documentaire pour avoir créé il y a environ trois ans le groupe Facebook « Alertes Croquettes », un groupe qui rassemble plus de 70.000 membres. Gilles Vouillon y propose une évaluation des croquettes selon leur composition, avec un prisme: « je nourris mon chien comme un carnivore et pas comme une poule. »

Et comme le taux de glucides ne doit pas figurer obligatoirement sur les paquets, Gilles Vouillon a une opinion bien arrêtée: « Si ce n’était pas mauvais pour nos animaux, les fabricants n’auraient aucune difficulté à communiquer sur ce taux », évoquant aussi un « déni » de leur part. « Il y a une défiance des Français vis-à-vis des marques » rappelle justement Florence Touzé, enseignante-chercheuse de la Faculté Audencia. Une défiance qui touche tous les secteurs – »un Français sur deux dit ne pas faire confiance aux marques »– et qui n’épargne pas le petfood. Face à cette défiance, l’attente d’une plus grande transparence est forte. « Ça me semble être le minimum vital pour essayer de regagner la confiance des consommateurs » indique Florence Touzé.

Discours d’expert

Que Purina ouvre les portes de son usine n’a rien d’anodin. Le géant du petfood le confie d’ailleurs: « la transparence est la clé confiance ». Une stratégie qui se décline aussi sur son site Internet avec une rubrique intitulée fort à propos #YAQuoiDansSaGamelle. Purina y répond à des questions du type « Comment vérifiez-vous la qualité de vos produits? » ou encore « Comment sont fabriqués les aliments secs pour chiens et chats? ». « Aujourd’hui, avec Internet, qui cherche une information va la trouver et des communautés se créent sur des centres d’intérêt: le consommateur fait plus confiance à leurs pairs qu’aux marques » note Florence Touzé pour qui une démarche du type de celle engagée par Purina vise à réintégrer la communauté avec un discours d’expert.

Lors de la visite de l’usine de Veauche, c’est bien la responsable qualité de l’usine de Veauche qui présentait les ingrédients entrant dans la fabrication des produits fabriqués sur le site: de la viande avec des morceaux délaissés pour la consommation humaine –pour ne pas impacter cette dernière justifie l’industriel– mais aussi des légumes, du riz et d’autres éléments au nom plus barbare comme le xylose ou la gomme guar utilisés pour des questions de texture, d’aspect ou d’appétence. Et Purina de mettre en avant les 2,5 millions de contrôles effectués chaque année sur le site. La posture est la même du côté de Mars Petcare France. Son directeur marketing revendique même « une compréhension approfondie des besoins nutritionnels de chiens et des chats » grâce à leur expérience et « au suivi de la recherche scientifique ».

Des efforts suffisants?

L’attention des Français à leur alimentation et à celle de leurs animaux se traduit aussi par une tendance à se tourner vers des produits naturels. Ce qui n’a pas échappé aux deux géants du petfood. « Comme pour l’alimentation humaine, les possesseurs sont en attente de produits plus sains et naturels pour leurs animaux de compagnie » reconnaît Simon Lesage. La gamme Nutro Wild Frontier qui se flatte de contenir 70% d’ingrédients d’origine animale et sans céréales sera disponible en aliments humides pour le chat en 2019. Sans renier la présence de céréales, la récente marque Beyond de Purina se veut également à base d’ingrédients naturels, sans colorants, sans arômes et sans conservateurs artificiels ajoutés.   

Des efforts sur la transparence et des marques qui se disent plus naturelles: suffisant pour rassurer les propriétaires de chiens et chats? « Ce qui est important pour une marque, c’est sa capacité à se montrer sincère » juge Florence Touzé. « Le consommateur peut comprendre qu’une entreprise ne peut pas changer du jour au lendemain mais il doit voir qu’elle en prend vraiment en chemin. Il faut des preuves. » Prouver sa bonne foi, les fabricants y sont parfois fortement incités. Gilles Vouillon avait par exemple épinglé la marque Amikinos sur Alertes Croquettes, émettant de « très gros doutes » après le lancement de nouvelles croquettes avec un taux de glucides très faible. « Ils ont joué le jeu et nous ont montré les analyses des croquettes sous constat d’huissier » se rappelle-t-il. Il avait finalement salué leur « attitude exemplaire » dans un autre post Facebook.

C’est dire si l’enjeu de la composition des aliments pour chiens et chats et de la transparence –de la même manière que dans l’alimentation humaine d’ailleurs– est élevé. D’autant que le secteur compte aussi de petits acteurs et que « les petits entrants peuvent en général réagir avec beaucoup de souplesse » pour s’adapter aux attentes des consommateurs, rappelle Florence Touzé. Surtout, les fabricants doivent aussi compter avec une autre tendance: l’alimentation Barf où les maîtres préparent eux-mêmes la gamelle à partir de viande crue. Eclipsant ainsi carrément les aliments industriels classiques…

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