Plan épargne retraite : pourquoi il ne marche pas si bien

Un immense succès, vraiment ? Bercy s’est dans un premier temps félicité d’avoir atteint 4,5 millions de PER, la semaine passée. Avant de corriger (nettement) ce chiffrage, à 2,8 millions de bénéficiaires. Oui, le PER n’a rien d’un flop. Non, le PER n’est pas encore un incroyable carton. Voici pourquoi.

Un « correctif » du ministre de l’Économie et des Finances, c’est rare… Or Bercy a bien publié un communiqué puis son « correctif », le 7 juin, sur les plans d’épargne retraite (PER). Première version : « A la fin de l’année 2020, sur la base des données mises à disposition par l’ensemble des fédérations professionnelles commercialisant des PER, 4,5 millions de personnes bénéficient déjà de ces nouveaux PER et l’encours total de l’épargne retraite atteint 269 milliards d’euros, dont 31,6 milliards d’euros pour ces nouveaux PER », Bercy se félicitant aussi d’une « tendance » se confirmant en 2021 à la vue des premiers chiffres disponibles. Bercy confirmait alors une statistique – les 4,5 millions de Français séduits par le PER – déjà parue le 3 juin dans Les Echos.

Deuxième version, dans le fameux « correctif » : « (…) 2,8 millions de personnes bénéficient déjà de ces nouveaux PER ». Le contenu du communiqué et tous les autres chiffres – ainsi que la citation du ministre Bruno Le Maire qui se « félicite du succès des PER nés de la loi Pacte » – sont inchangés. Comment ces 1,7 million d’épargnants détenteurs d’un PER se sont-ils envolés ? Voici notre décompte.

Combien de PER à la fin 2020 ?

Problème – statistique – du PER : ce produit d’épargne retraite est commercialisé à la fois par des assureurs (PER « assurance ») et par des gestionnaires d’actifs (PER « bancaire »). La Fédération française de l’assurance (FFA) annonce 1 million d’assurés détenteurs d’un PER assurance fin 2020. Très exactement 1 028 000 assurés, pour 10,7 milliards d’euros.

L’association française de gestion financière (AFG) représente elle les gestionnaires de « PER bancaires » ou plus précisément les PER « au format compte-titres » : un PER sans fonds en euros mais avec – parfois – des frais de gestion et autres frais indirects plus faibles. L’AFG comptabilise ainsi essentiellement les PER d’entreprise collectif (appelés Pereco ou PER COL). Verdict : « près de 1,15 million de salariés sont titulaires d’un nouveau PER d’entreprise collectif pour un encours total de près de 8 milliards d’euros (soit 35% des encours en épargne retraite d’entreprise collective) ».

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Résultat : 1 + 1,15 = 2,25 millions d’épargnants détenteurs d’un PER fin 2020 selon la FFA et l’AFG. Certains PER échappent-ils aux statistiques de ces deux fédérations ? Oui. Suite à notre sollicitation, la Direction générale du Trésor a rappellé qu’elle prend en compte non seulement les statistiques de l’AFG et de la FFA mais aussi celles de la CTIP et de la FNMF (1), dont les membres commercialisent notamment des PER d’entreprise obligatoires (PERO, ex article 83 notamment). Or ces fédérations n’ont pas dévoilé publiquement leurs statistiques… ce qui peut expliquer certains écarts. La DG du Trésor reconnaît une « correction dans les outils de consolidation » ayant entraîné cette erreur.

Le correctif de 2,8 millions de Français détenant un PER semble effectivement plus réaliste que les 4,5 millions précédemment avancés.

Combien de PER au printemps 2021 ?

L’enjeu politique, pour le gouvernement, est d’atteindre l’objectif annoncé de 3 millions de détenteurs de PER « pour 2022 », pour 300 milliards d’euros d’encours sur l’ensemble de l’épargne retraite. Même avec les chiffres révisés, ce double objectif semble réalisable : les 2,8 millions de bénéficiaires chiffrés par Bercy sont proches des 3 millions annoncés, et le ministère de l’Économie et des Finances a confirmé son estimation de 269 milliards d’euros d’épargne retraite (PER et autres dispositifs) dans son communiqué correctif.

La progression du PER, lancé en octobre 2019, se confirme-t-elle en 2021 ? L’AFG n’a pour l’heure livré aucune estimation portant sur l’année 2021. La FFA, elle, en publie désormais chaque mois : « A fin avril, les PER comptent 1,6 million d’assurés et les encours s’élèvent à près de 19 milliards d’euros. » En additionnant et en reprenant les chiffres de la DG du Trésor à fin 2020, le cap des 3 millions de détenteurs de PER aurait bien été franchi courant 2021.

Pourquoi les chiffres grossissent « logiquement »

Près de 3 millions de Français se sont donc jetés sur le plan d’épargne retraite en l’espace d’un an et demi ? Pas vraiment… Tout d’abord, côté PER d’entreprise collectif, l’élan du PER est surtout dû… à la volonté des employeurs. « Malgré la crise liée au Covid-19 l’engouement pour le PER se confirme avec 16 500 entreprises qui ont mis en place ce nouveau PER et 50 000 qui ont transformé leur ancien dispositif PERCO en nouveau PER collectif en 2020 ! », lit-on dans le communiqué de l’AFG, fin mars. Le principal élan, côté « PER bancaire », est bien un flux de transformation de Perco en nouveau Pereco, l’employeur suivant souvent les conseils de son gestionnaire.

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Côté PER assurance, plus souvent ouvert volontairement par l’épargnant, là encore, le flux est surtout dû à une accélération des transferts des anciens plans d’épargne retraite (Perp et Madelin) vers le nouveau PER individuel. Sur le million « d’assurés PER » compté fin 2020 par la FFA, près de la moitié (488 000 assurés) sont le fait de transferts.

FFA PER

Source : Les chiffres de l’assurance en 2020, FFA

Même constat sur les encours : la FFA recense surtout une très nette accélération des sommes transférés vers les PER depuis l’automne 2020. Après un an à jauger ce nouveau produit, les épargnants commencent semble-t-il à faire confiance à cette nouvelle enveloppe et y regroupent leur épargne retraite.

FFA PER

Difficile, dans ces conditions, d’affirmer que des millions de Français sont « séduits » par le PER. Puisque nombre d’entre eux comptaient déjà parmi les épargnants « retraite » et ont donc basculé sur le produit le plus « moderne ».

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Le PER, pas toujours le plan le plus adapté

Au-delà des chiffres un peu trop flatteurs, le PER jouit d’une forte promotion… qui peut parfois induire les particuliers en erreur. Avez-vous besoin d’un PER ? S’il s’agit de l’ouvrir à titre individuel, ce plan n’a d’intérêt que si vous êtes imposable, afin de profiter de la déduction fiscale des versements volontaires. Au risque de retrouver votre argent bloqué jusqu’à la retraite (sauf achat de résidence principale, surendettement ou accident de la vie) alors que vous auriez pu le placer ailleurs.

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La médiatisation et les objectifs commerciaux liés au PER se font parfois au détriment des particuliers, comme en témoigne le fondateur de Montaigne Conseil & Patrimoine, Louis Alexandre de Froissard, dans une publication argumentée sur son blog. Il dénonce à la fois un écart entre l’apparente simplicité du produit et sa complexité dans la stratégie du client, et une impréparation des assureurs et gestionnaires face à l’afflux de demandes. Il liste ainsi, parmi les problèmes rencontrés ces derniers mois sur le PER : une « incapacité de mettre en œuvre la sortie en capital fractionné avant janvier 2021 », des « parcours digitalisés et automatisés qui plantent en pleine saisie » ou encore des « services de gestion débordés à compter d’octobre 2020 avec un stress énorme sur les déductions fiscales de fin d’année et des erreurs non encore solutionnées ».

Bref, avant de vous précipiter sur le placement « carton du moment », réfléchissez bien afin de ne pas ouvrir à la va-vite. Parfois, une « simple » assurance vie convient tout à fait…

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(1) Centre technique des institutions de prévoyance (CTIP) et Fédération nationale de la Mutualité française (FNMF).

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