Pourquoi Nintendo pense faire mieux que Sony et Microsoft

Alors que les ventes de PlayStation 4 et de Xbox One ont bénéficié des fêtes de fin d’année, la Wii U, la console de jeux vidéo de Nintendo peine à décoller. Le troisième acteur du marché n’a pu profiter de sa sortie un an avant celles de Sony et de Microsoft pour faire la différence. Il s’est ainsi vendu dans le monde 3,91 millions de consoles depuis fin 2012 quand la PS4 dépasse les 4,2 millions d’unités et la Xbox One les 3 millions, en un peu plus d’un mois. Ce qui a fait dire à Pierre Cuilleret, le patron de Micromania, dans d’un entretien accordé à Challenges, que l’on pouvait craindre l »accident industriel » si Nintendo ne sortait pas plus de jeux phares. 

Le géant japonais peut par contre compter sur sa console portable, la 3DS. Elle est de loin la console qui s’est le plus vendue en 2013. Le parc installé frôle désormais les 35 millions d’unités, alors qu’à son lancement il y a trois ans, peu pariait sur ce nouveau modèle en 3D. Le groupe dirigé par Satoru Iwata compte bien renouveler l’exercice avec sa console de salon. Philippe Lavoué, directeur général adjoint de Nintendo France, fait le point sur les ventes en France et la stratégie du groupe. 

 Quel est le bilan de l’année 2013 pour Nintendo France ?

La 3DS s’est imposée comme la valeur sûre du marché puisque nous en avons vendu 1 million en 2013. La dynamique des jeux est sans conteste le point notable : +64% en 2013 par rapport à 2012. Il s’est ainsi vendu 1,6 million de jeux en plus en 2013, par rapport à 2012. Cette croissance va au-delà de nos attentes, surtout dans un contexte où les suites de jeux déçoivent. Pokemon X et Y se sont vendus à 584.000 exemplaires. C’est un résultat qui nous fait chaud au cœur. 

Et la Wii U ?

La Wii U s’est vendue à 178.000 unités. La base installée est désormais de 300.000 unités en France. C’est en dessous de nos attentes. C’est pourquoi nous allons nous efforcer de marteler les quatre points qui font la différence: des jeux HD pour tous, le mode de jeu sans TV, des jeux en ligne gratuits, la rétrocompatibilité de l’ensemble des titres et des accessoires Wii. Nous avons une réserve importante de joueurs Wii qu’il faut convertir. Il y avait fin 2013 en France 12,5 millions de joueurs actifs sur Wii. Et puis nous entrons dans la phase intéressante du cycle.

Un parc installé de 300.000 personnes, c’est un peu faible, non ?

C’est le chiffre d’aujourd’hui. Mais il nous permet de vendre 98.000 exemplaires de Super Mario 3D World tout de même. Des jeux comme Pikmin 3, Zelda Wind Waker ont également permis d’accélérer l’activité de la Wii U en 2013. Nous mesurons son potentiel. Il faut savoir que, selon nos études, le niveau d’attente de Mario Kart 8 atteint 10 millions de joueurs en France. A nous de surprendre encore avec des produits originaux.

Les partenaires font-ils leur travail ?

Ils sont présents. Il faut les convaincre de notre volonté de nous différencier. L’activité créative prend du temps. L’industrie du jeu relève de l’artisanat. Nintendo a des développeurs de génie. En japonais, nous parlons de Dokuso, d’originalité. C’est la force de nos jeux.

Ne manque-t-il pas à Nintendo de nouvelles franchises, un peu de fraîcheur ?

Nous travaillons sur de nouvelles franchises. Vous savez, il faut une vraie force créative pour renouveler un jeu comme Mario sur Wii U, ou pour séduire les fans de Pokemon de la première heure. Il faut continuer à innover et surprendre. Nous nous rendons compte que les joueurs sont dans le multi-usage. C’est ce que nous avons fait avec Pokemon. Le temps de la création est spécifique. Il faut le respecter.

A vous écouter, tout porte à croire que tout va pour le mieux pour Nintendo

Nous sommes sur un marché d’usages. La population des joueurs progresse en France. Mais nous ne sommes pas dans un contexte économique très dynamique. Le groupe doit aussi faire face à des contraintes extérieures, dont le taux de change. Mais le Yen fort, c’est un peu du passé maintenant. Et puis la nature du jeu vidéo reste la même. Ce sont les jeux qui font le succès d’une console et non l’inverse. Nous sommes confiants pour 2014, notamment grâce à Mario Kart 8 prévu pour le printemps.

Mario Kart 8, c’est un peu le déclic pour la Wii U selon vous ?

Oui, mais pas le seul. Si l’on regarde le passé de la 3DS, ce sont plusieurs titres qui ont permis de faire la différence. En 2014, il faudra aussi compter sur Super Smash Bros, Donkey Kong Country Tropical Freeze et bien d’autres surprises.

La concurrence évolue. Vous devez désormais faire face aux smartphones et aux tablettes…

L’environnement a changé. La concurrence est multiple. Il est intéressant de regarder la 3DS au Japon. Il y a un jeu qui s’appelle Puzzle Dragon, un équivalent de Candy Crush transposé au Japon. Et pourtant il s’est vendu à plus d’un million d’exemplaires. Quand une machine apporte un supplément de jeu, elle peut remporter la bataille. Nos études montrent que les expériences de jeu coexistent sans se cannibaliser. A nous de délivrer notre différence.

Donc il ne faut pas s’attendre à voir Mario sur smartphone?

Ce n’est pas dans la stratégie du groupe. La perception de la qualité reste la vraie bataille pour nous.

Justement vous évoquez la qualité. Quand on regarde les spécifications techniques de la Xbox One de Microsoft et de la PS4 de Sony, ça ne vous fait pas peur pour la Wii U?

Nous connaissons assez peu les possibilités de ces nouvelles consoles. Pour le moment, elles s’inscrivent encore dans le temps de la commercialisation. Il y a assez peu de jeux disponibles. Il faut attendre une vraie offre pour voir. Et puis vous savez, ce ne sont pas ceux qui affichent les meilleurs spécifications techniques qui gagnent forcément. Ce n’est pas forcément synonyme d’émotion. Ce n’est en tout cas pas un élément de différenciation.

Pensez-vous pouvoir faire le même hold-up qu’avec la Wii, votre précédente console vendue à plus de 100 millions d’exemplaires dans le monde ?

Nous y travaillons. Pour cela, il faut encore élargir le marché. Nous y sommes parvenus avec la Wii. Il faut tirer les leçons de nos échecs pour nous relancer. La 3DS a connu un trou d’air. Cela ne l’a pas empêché de repartir.

Quand le patron de Micromania parle d’accident industriel pour la Wii U, que lui dites-vous ?

Le feedback de nos distributeurs est important. L’activité créative n’est pas industrielle. Du coup ce n’est pas forcément le timing du commerce. 

Et que dites-vous aux éditeurs ?

Nous sommes dans une période où le marché est plus complexe. Il y a un peu de nervosité. Il est important d’identifier les valeurs sûres. Avec la Wii, nous proposons aux éditeurs tiers la plus grande base installée. Il y a un temps de respiration actuellement. Tout le monde veut que ça aille plus vite. Il faut les manager. Mais pour avoir un grand jeu, il faut savoir attendre. Regardez GTA V…

Quelle est la part des éditeurs tiers dans le line-up de jeux disponibles sur la Wii U ?

Je ne connais pas le chiffre exact. Mais elle est importante. Au minimum 50%. Il a eu pas mal de sortie : Call of Duty: Ghosts (Activision), Skylanders Swap Force (Activision), Just Dance 4 (Ubisoft), Assassins’Creed IV Black Flag (Ubisoft)… La Wii U a le soutien des éditeurs tiers.

Et la 2DS dans tout ça ?

C’est une bonne surprise. Elle s’est vendue à 180.000 unités. C’est en ligne avec nos attentes. Il n’y a pas cannibalisation avec la 3DS parce qu’elle touche d’autres profils, celui des enfants particulièrement, chose que nous ne pouvions pas faire avec la 3DS en raison de la 3D. C’est une console qui nous permet de conquérir une nouvelle génération de joueurs.  


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