Rafale: le Qatar pourrait signer lundi

A force de reports et de désillusions, l’aréopage de défense a appris à ne plus s’enflammer à chaque rumeur de commande export pour le Rafale. Trop d’espoirs déçus, trop de vraies-fausses annonces, trop de retournements de dernière minute. N’empêche : la visite à Paris du jeune émir du Qatar Tamim ben Hamad Al-Thani (34 ans), reçu ce soir par François Hollande pour un entretien et un dîner officiel à partir de 19 heures, ressemble fort à une occasion en or d’ajouter enfin un client export au tableau de chasse de l’avion français. La possibilité d’une annonce du choix du Rafale pour un contrat de 36, voire 72 appareils, est évoquée par plusieurs sources interrogées par Challenges, qui restent toutefois extrêmement prudentes. « Cela s’agite beaucoup avec pas mal de rencontres en marge du salon Eurosatory, confirme un industriel. Mais le calendrier est du ressort exclusif de l’émir ».

Le moment du Rafale serait-il enfin venu ? « On est confiant que le dossier aboutira », indiquait une source diplomatique française vendredi à l’AFP et Reuters, sans préciser de date. Le contexte géopolitique apparaît, de fait, porteur. « Les planètes sont alignées pour une annonce officielle rapide, assure Nabil Ennasri, auteur de L’énigme du Qatar (éd. Armand Colin) et de Qatar (éd. de Boeck). Les relations franco-qataries sont excellentes, le Qatar a une volonté forte de ne plus être un nain militaire de la région, il a le souci de ne pas être dépendant à 100% des Etats-Unis, et surtout, il a les moyens de ses ambitions ». Une annonce de l’émir du Qatar « donnerait de l’amplitude à son poste », souligne Nabil Ennasri, qui souligne que la visite de l’émir Tamim arrive un an quasiment jour pour jour après son arrivée au pouvoir.

Le premier choix de l’armée qatarie

Techniquement, en tout cas, la messe semble dite. A l’issue de trois phases de tests très poussés, l’armée de l’air qatarie a assuré au camp français que le Rafale était clairement son premier choix, affirment deux sources proches des négociations. « La version retenue serait très proche du dernier standard de l’appareil, la version F3R, avec radar à antenne active [à portée et fiabilité accrue, NDLR] », assure un proche du dossier. L’Eurofighter Typhoon européen ? Le Qatar lui préférerait l’avion français, plus complet. L’émirat semble également peu enclin à acquérir les mêmes appareils que le rival saoudien, qui dispose de chasseurs Typhoon et F-15. Le F-35 de l’américain Lockheed Martin ? Pour des raisons assez obscures, les Etats-Unis n’ont pas répondu à l’appel d’offres lancé par l’émirat en août dernier.

Le Rafale apparaît donc comme le clair favori. « Combat proven » (éprouvé au combat) en Afghanistan, en Libye ou au Mali, il bénéficie aussi des étroites relations militaires entre la France et le Qatar : la flotte de chasse de l’émirat est composée de 12 Mirage 2000-5. L’opération Harmattan en Libye en 2011 avait vu de multiples patrouilles mixtes d’appareils français et qataris, les deux armées de l’air ayant une longue tradition de collaboration. Le ministre de la Défense Jean-Yves Le Drian a aussi su créer un excellent contexte de négociations avec les autorités qataries, multipliant les déplacements à Doha depuis le début de l’année. Faut-il dès lors s’attendre à une annonce ce soir ? « Franchement, je n’y crois pas », lâche un industriel, un brin superstitieux. Avant de compléter d’un rigolard : « …mais je peux me tromper, hein ! ».

Visite à Londres juste après la France

De fait, la prudence s’impose. D’abord, une éventuelle annonce ne porterait pas sur un contrat définitif, mais plutôt sur une entrée en négociations exclusives avec le « team Rafale » (Dassault, Thales, Safran). Certes, celles-ci dureraient très probablement beaucoup moins longtemps que les négociations en Inde, débutée en janvier 2012, car la version du Rafale choisie par le Qatar serait très proche de celle de l’armée de l’air française. Le volet de transferts de technologies est également bien moins complexe, le Qatar ne demandant pas de chaîne d’assemblage sur place comme en Inde. Mais il faudrait quand même transformer l’essai dans les prochains mois.

L’autre raison de la prudence des industriels, c’est que l’émir est décidé à ne se laisser dicter aucun calendrier. Le jeune dirigeant doit certes donner des gages à son armée de l’air, dont il doit confirmer le changement d’échelle (de 12 Mirage 2000-5 à 72 appareils). Mais sa visite au Royaume-Uni, qui défend bec et ongles l’Eurofighter, juste après la France, n’est clairement pas l’agenda idéal pour une annonce Rafale ce soir. Une annonce de l’émir sur le chasseur français n’en aurait que plus de poids.


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