Réformer le crédit d’impôt pour sauver le jeu vidéo made in France?

L’industrie française du jeu vidéo peut souffler. L’Assemblée nationale a adopté en 2e lecture la réforme du crédit d’impôt Jeux vidéo dans le cadre du Projet de Loi de Finances Rectificatives 2013.

« Les propositions de cette réforme permettront de renforcer la compétitivité des entreprises qui produisent en France des jeux vidéo et donc dans le contexte actuel de maintenir les emplois en production dans notre pays », expliquent le Syndicat des éditeurs de logiciels de loisirs (S.E.L.L.) et le SNJV dans un communiqué commun.

« Cette réforme est un signe très fort prouvant que la France compte rester un lieu privilégié de l’innovation et de la création en matière de jeu vidéo », estiment Nicolas Gaume et David Neichel, respectivement président du SNJV et président du SELL.

Le secteur affiche en France un chiffre d’affaires de 2,6 milliards en 2013, contre 2,5 milliards d’année précédente. La première industrie culturelle et numérique en France et dans le monde compte sur le territoire national 5.000 emplois directs à forte valeur ajoutée (contre près de 11.000 il y a quelques années) et 18.000 emplois induits. Mais face à l’attractivité fiscale de certaines destinations comme le Canada, le Royaume-Uni ou l’Australie, la France peine a retenir un secteur dont 80% de la production est exportée. 

Les quatre modifications au CIJV

C’est pourquoi l’industrie demandait une réforme du dispositif créé en 2008, jugé inadapté aujourd’hui. Elle permet dans un premier temps d‘allonger le délai d‘éligibilité au crédit dimpôt afin de permettre de l’appliquer à des jeux au développement plus long. L’amendement 64 supprime notamment le seuil de 10 millions d’euros qui limiterait aux seuls jeux vidéo dits « AAA » (équivalent dans le cinéma des « blockbusters ») dont les budgets de développement sont très élevés, le bénéfice de l’allongement de la durée de prise en compte des dépenses éligibles au crédit d’impôt pour la création de jeux vidéo.

Elle prévoit également d‘abaisser le seuil d‘éligibilité des projets, exprimé en coût de développement à 100.000 euros, contre 150.000 précédemment, afin de mieux soutenir les jeux sociaux et mobiles à petit budget. La prise en compte des salaires des personnels indirectement impliqués dans la création sera également prise en compte. (Voir l’amendement 65). 

Enfin, alors que le dispositif excluait précédemment les jeux destinés aux plus de 18 ans selon la classification européenne (PEGI 18+), il a été assoupli pour permettre d‘aider aussi les jeux pour adultes « à l’exception de ceux comportant des séquences à caractère pornographique ou de très grande violence« , catégorie où l’on trouve les blockbusters des grands éditeurs.

« En mettant l’accent sur la créativité et l’innovation comme moteur du développement économique, ces réformes favorisent l’acquisition de nouvelles compétences qui constituent la richesse d’un pays et la source de sa croissance future. Les retombées seront positives à la fois pour notre industrie et pour de nombreux autres secteurs » a déclaré Yves Guillemot, Fondateur et PDG d’Ubisoft.

L’attractivité québécoise

La France a vu les emplois directs dans le secteur du jeu vidéo diminuer de 50% en 5 ans, alors que le Québec a réussi dans le même temps à construire une filière jeux vidéo avec des conditions fiscales attractives. La plupart des éditeurs ont répondu présent. Ubisoft, actuellement le 3e éditeur mondial, a été le premier grand studio a avoir parié sur Montréal en 1997.

Il compte désormais près de 2.100 employés dans la ville québecoise. Il a par ailleurs annoncé en septembre dernier l’établissement d’un nouveau studio spécialisé dans les jeux en ligne à Montréal, avec à la clé, la création de 500 nouveaux emplois sur 7 ans, soit un investissement de près de 280 millions d’euros.

L’éditeur, producteur et distributeur de jeux interactifs bénéficiera pour ce projet d’une contribution financière non remboursable de 9,9 millions de dollars du gouvernement du Québec en plus d’ajustements au crédit d’impôt de la province pour la production de titres multimédias, rendant admissibles de nouveaux métiers dans le secteur des jeux vidéo et éliminant l’expiration des crédits d’impôt trois ans après la commercialisation d’un jeu vidéo..

D’ici 2020, Ubisoft prévoit d’employer plus de 3.500 professionnels au sein de ses studios au Québec. Le groupe comptabilise 9.200 salariés répartis dans 28 pays, dont près de 1.500 en France. « Les effectifs ont triplé en France en 6 ans », précise-t-on chez Ubisoft.  

  >> Pour en savoir plus, voir Comment vit-on chez Ubisoft Montréal :

 

Quand les jeunes talents s’expatrient…

En 15 ans, le Canada est ainsi devenu le 3e producteur de jeux vidéo au monde. La France est quant à elle passée du 4e au 7e rang. Désormais, les petits studios français commencent à regarder de plus près l’opportunité d’une expatriation au Canada. 

Lors de la sortie de son jeu Beyond :Two Souls, David Cage, le fondateur du studio Quantic Dream installé dans le 20e arrondissement de Paris, tirait la sonnette d’alarme. « Nous n’arrivons plus à recruter en France. Nous formons des gens qui s’en vont ailleurs « , déplorait-il. Difficile de faire le poids face aux chasseurs de têtes américains. A tel point que David Cage imagine désormais une possible expatriation, pour l’avenir de son studio.

« Nous ne serions pas responsables si nous ne nous posions pas la question. Nous sommes à la tête de 200 personnes, majoritairement des CDI ». Quantic Dream est dragué tous les mois par l’Angleterre, l’Australie, le Canada… Pour le moment, David Cage et d’autres petits studios indépendants, résistent au chant des sirènes.

La réforme du CIJV va-t-elle suffire pour les retenir, quand le Canada propose des crédits d’impôt de 40%? Comme le dit clairement le communiqué du SNJV et du SELL, cette réforme va permettre de « maintenir » les emplois en France. Quant à en créer, c’est une toute autre histoire… La création d’emplois pourrait très bien se faire ailleurs. 


Challenges.fr – Toute l’actualité de l’économie en temps réel