Sahara occidental : finie la rente, à fond l’exploitation des ressources prône Mohammed VI

Du nouveau sur l’épineux du dossier du Sahara occidental. Mohammed VI, le souverain du royaume chérifien a appelé à la fin de l’économie de rente dans cette région, à l’occasion du 40e anniversaire de la Marche verte organisée en 1975 par son père Hassan II, au départ du colonisateur espagnol, pour revendiquer l’appartenance du Sahara occidental au Maroc. Lequel contrôle ce territoire revendiqué par des indépendantistes.

Objectif affiché : favoriser le développement du Sahara occidental. Sous-entendu : la région doit cesser de compter sur les subsides de l’Etat marocain pour prospérer … alors même que depuis de longues années ses importantes richesses font l’objet de convoitises et sont même considérées comme étant à l’origine du conflit territorial.

Quitte à générer des conflits, la situation doit au minimum générer des revenus à la hauteur de son potentiel, semble être désormais la stratégie suivie par le souverain.

« Aujourd’hui, après quarante années », nous voulons « opérer une véritable rupture avec les méthodes adoptées dans la prise en charge des affaires du Sahara : rupture avec l’économie de rente et des privilèges », a-t-il ainsi déclaré lors d’un discours prononcé vendredi dernier à Laâyoune, la principale ville du territoire.

« Nous tenons à ce que les fils de nos provinces du sud disposent des moyens nécessaires pour gérer leurs propres affaires et montrer leur capacité à assurer le développement de la région », a par ailleurs fait valoir Mohammed VI. L’assistanat, c’est fini, semble ainsi dire le souverain, bien déterminé à exploiter au maximum le potentiel de la zone.

Histoire de donner une touche concrète à ses propres, le souverain a par ailleurs annoncé « la mobilisation de tous les moyens disponibles pour la réalisation de grands chantiers et de projets sociaux », évoquant dans ce cadre la construction d’une voie express de près d’un millier de km entre Tiznit (sud-ouest du Maroc) et Dakhla, ainsi que celle d’une usine de dessalement d’eau de mer dans cette deuxième ville du Sahara occidental.

C’est clair, Rabat veut profiter à fond de la manne financière que peut lui procurer le Sahara occidental, la région étant riche en phosphates et dotée d’eaux très poissonneuses, à l’origine de nombreuses controverses. Sans compter sur le gaz et le pétrole … Nous  allons y revenir en détail.

Notons qu’en 2013, un plan de développement avait été élaboré par le Conseil économique, social et environnemental (CESE), lequel prévoit de mobiliser plus de 13 milliards d’euros sur 10 ans, en favorisant l’investissement privé. Il s’inscrit dans le projet de régionalisation avancée que Rabat souhaite mettre en place dans l’ensemble du royaume.

Selon le ministre marocain des Affaires étrangères, Salaheddine Mezouar, cette régionalisation avancée du Sahara occidental constitue « une réponse préparatoire à une autonomie élargie ».

En vue de calmer les esprits qui pourraient craindre que l’exploitation des richesses de ce territoire controversé serve avant tout les intérêts du royaume, voire du souverain lui-même, Mohammed VI a tenu à préciser que « les revenus des ressources naturelles continueront d’être investis au profit des habitants ». Vaste et épineux sujet ….

– Une situation  de plus en plus alarmante selon l’ONU –

Rappelons ainsi que ce vaste territoire d’un demi-million d’habitants demeure revendiqué par les indépendantistes sahraouis. Soutenu par Alger, le Polisario continue de réclamer un référendum d’autodétermination.

Depuis 1963, les Nations Unies ont classé le Sahara occidental comme « Territoire non autonome », un des 17 territoires de ce type dans le monde. Le Maroc administre à présent ce territoire et, depuis un quart de siècle, l’ONU a engagé des discussions avec le Maroc et le Front Polisario.

Ces discussions visent à parvenir à un accord sur le statut à long terme du territoire, la Mauritanie et l’Algérie jouant le rôle d’observateurs. Dans le cadre de ces négociations qui se poursuivent, le Maroc a proposé en 2007 une initiative en vertu de laquelle les habitants du territoire auraient une autonomie substantielle pour s’occuper de leurs propres affaires sous la souveraineté marocaine, y compris le développement des ressources naturelles.

Reste que les efforts de médiation de l’émissaire Christopher Ross sont toujours dans l’impasse. La semaine dernière, le secrétaire général de l’ONU, Ban Ki-moon a appelé à des négociations dans les mois à venir, s’inquiétant d’une situation de plus en plus alarmante.

La réponse de Mohammed VI faite en retour a été des plus cinglantes : « Rabat fera face avec fermeté à toutes les tentatives visant à contester l’exercice de la plénitude de ses pouvoirs sur son territoire et il se leurre celui qui attend du Maroc qu’il fasse toute autre concession », a ainsi rétorqué le souverain.

En 2002, Hans Corell, alors secrétaire général adjoint aux affaires juridiques et conseiller juridique de l’ONU, a émis à la demande du président du Conseil de sécurité un avis sur les activités pétrolières au Sahara occidental.

Il avait alors conclu que « si des activités économiques devaient être entreprises au mépris des intérêts et de la volonté du peuple du Sahara occidental, elles contreviendraient aux principes de droit international applicables aux activités touchant aux ressources minérales des territoires non autonomes ».

Depuis, H. Corell a régulièrement précisé et élargi la portée de son texte à l’ensemble des ressources naturelles de la région. Laissant ainsi entendre la nécessité d’obtenir consultation et accord du peuple pour toute activité concernant les ressources naturelles, laquelle devra de manière indissociable être au bénéfice de ce dernier.

On en est loin ….

– Après les phosphates, le pétrole et le gaz, enjeux majeurs du Sahara occidental – 

Car, ce qu’on pourrait dénommer ni plus ni moins le « pillage » du Sahara occidental par des compagnies étrangères et au bénéfice du Maroc se poursuit … sans l’ombre d’une consultation des Sahraouis. Avec encore une fois de fortes odeurs de pétrole et de gaz …

Ainsi, en décembre 2014, l’Américain Kosmos Energy a débuté des opérations de forage en mer, au large de Boujdour via une plate-forme pétrolière facturée 600 000 dollars par jour. Si les fruits de la première découverte en mars 2015 se sont avérés non commercialisables, l’entreprise a par la suite déplacé la plate-forme en vue de poursuivre ses forages.

Selon Andrew G. Inglis, Pdg de Kosmos, les travaux effectués sur le premier puits CB-1 a « considérablement levé le risque des explorations futures sur le bassin Laâyoune par sa mise en évidence d’un système d’hydrocarbures en cours » et confirme le potentiel du bloc Cap Boujdour couvrant 22 000 km2. Précisons que ledit puits était détenu à 55% par Kosmos, 20% revenant à la compagnie britannique Cairn Energy et 25 % à l’ONHYM, l’Office National des Hydrocarbures du Maroc.

Le 30 septembre 2015, San Leon Energy a annoncé quant à elle ses résultats provisoires pour les six premiers mois de 2015, commentant par la même occasion son opération de forage récent au Sahara Occidental, qui concerne selon ses propres termes « le puits Laayoune-4 sous licence conventionnelle Tarfaya, onshore Maroc ». Ajoutant que les travaux ont été « suspendus par des présence de gaz, en attendant les travaux sismiques ».
Les opérations de forage d’exploration de la compagnie pétrolière irlandaise ont en effet révélé la présence de gaz, mais jusqu’à présent, pas du pétrole. La société va demander une nouvelle licence au gouvernement marocain et annonce de nouvelles études sismiques pour explorer les potentiels réservoirs pétroliers de la zone.

« Nous sommes très satisfaits des résultats du puits Laayoune-4. La confirmation de la présence d’émissions de gaz et de la bonne qualité du réservoir sont encourageants pour le potentiel du bloc et conduit naturellement à une demande de nouvelle licence de huit ans dans la région, ce qui permettrait une acquisition sismique complète « , a ainsi déclaré le PDG de San Leon, Oisin Fanning. 

San Leon Energy a obtenu sa licence pour le bloc pétrolier Tarfaya en traitant avec le gouvernement marocain, alors que le bloc n’est que partiellement situé au Maroc proprement dit. La part du lion du bloc est située juste au sud de la frontière sud du Maroc, au Sahara Occidental.

Le peuple du Sahara Occidental a maintes et maintes fois protesté contre la collaboration de San Leon avec le Maroc. La compagnie affirme toutefois que les Sahraouis « ne sont pas un peuple représentatif » et refuse même de s’engager dans le dialogue avec eux. A la lecture du communiqué de presse, San Leon estime bel et bien que El Aaiun est située au Maroc, l’entreprise adoptant ainsi les vues du gouvernement marocain.

– Total également présent au Sahara occidental

Le géant pétrolier français Total est quant à lui également de la partie. Une Autorisation  de reconnaissance sur le bloc Anzarane Offshore a en effet été attribuée en décembre 2011 par le Maroc à l’Office national marocain des hydrocarbures et des mines – ONHYM – et à Total E&P Maroc.

Cette autorisation a été prorogée jusqu’en décembre 2015 afin d’évaluer le potentiel pétrolier de cette vaste zone d’une superficie de 100 000 km2, une surface égale à celle du Portugal. C’est dire combien le potentiel du Sahara occidental est alléchant …

Rappelons qu’une Autorisation de reconnaissance n’est pas un contrat pétrolier au sens où elle se limite à des travaux géologiques et géophysiques. Certes ….

Il n’en demeure pas moins que les militants sahraouis dénoncent depuis des années le rôle de l’entreprise française dans ce qu’ils considèrent comme une remise en cause de la souveraineté de leur territoire. Total est désormais critiquée aussi par certains investisseurs « éthiques », au premier rang desquels les fonds norvégiens.

Au printemps 2014, le fonds souverain norvégien, quatrième actionnaire de Total détenant alors un peu plus de 2% des actions (pour une valeur d’environ 3 milliards d’euros), a annoncé qu’il allait se pencher sur les activités de Total au Sahara occidental afin de vérifier leur conformité avec son code éthique.

Selon les défenseurs des droits du peuple sahraoui – notamment l’ONG Western Sahara Resources Watch – les licences octroyées à Total et à d’autres firmes pétrolières et gazières sur le territoire sahraoui par le gouvernement marocain sont illégales du point de vue du droit international.

Ils estiment même que Total contribue dans les faits, en collaborant avec un « gouvernement d’occupation », à délégitimer la lutte pour l’autodétermination du peuple sahraoui : « L’industrie pétrolière devient un obstacle qui empêche de faire pression sur le Maroc pour qu’il accepte ce droit [à l’autodétermination] »,  déclarait ainsi Erik Hagen, président de WSRW au printemps 2014.

Sources : AFP, Agence ecofin, wsrw.org, multinationales.org

Elisabeth Studer – 11 novembre 2015 – www.leblogfinance.com

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