Sauvetage d’Air France: attention à la concurrence déloyale

Annoncé vendredi 24 avril par le gouvernement, le plan de sauvetage « historique » de la compagnie Air France pour un montant de 7 milliards d’euros – 4 milliards d’euros de prêts garantis par l’Etat et trois milliards d’euros de prêts directs- fait débat. « Je comprends bien l’intérêt national à aider Air France, mais il n’y a aucune raison de ne pas en faire autant pour les autres, estime Pascal de Izaguirre, le PDG de Corsair. C’est une question d’équité, je ne vois pas pourquoi on ferait un traitement de faveur », insiste le patron de la compagnie spécialisée sur les Antilles et l’Océan Indien, en réclamant à son tour « un plan Marshall pour le transport aérien français » dans son ensemble.

Il faut dire que les petites concurrentes de la compagnie nationale (La Compagnie, ASL, Air Caraïbes, Frenchbee et Air Austral) souffrent tout autant, voir plus, de la crise actuelle. Selon les experts du secteur, les scenarios de retour à la normal du trafic sont de plus en plus sombres : pas avant deux ou même cinq ans.

Dans ce contexte, « le recours aux prêts garantis par l’Etat (PGE) est quasiment impossible pour les transporteurs aériens, vu la frilosité des banquiers, fait valoir Pascal de Izaguirre, également vice président de la Fnam (fédération nationale de l’aviation marchande). Ce canal ne fonctionne pas pour nous », estime-t-il. Les négociations ont d’ailleurs été très serrées entre les banques et le gouvernement pour assurer le plan d’aide d’Air France-KLM.

Un plan massif pour quoi faire ?

Si personne ne remet en question la nécessité de « sauver le soldat Air France », c’est le montant accordé par l’Etat et ses modalités qui suscitent des interrogations dans la profession. « Sept milliards d’euros, c’est énorme, juge de son côté Marc Rochet, c’est près de la moitié de son chiffre d’affaires. Cela dépasse tout ce qui a été engagé jusqu’ici pour les autres entreprises ».  Pour le président d’Air Caraïbes et French Bee (groupe Dubreuil), la question n’est pas de savoir si cela est justifié, « mais de savoir à quoi il va servir. S’il s’agit d’une aide pour restructurer le réseau domestique d’Air France, qui est en cours depuis des années, ce n’est pas aux contribuables français de le financer. Là, on mélange les genres. Cela risque d’engendrer une concurrence déloyale et on regardera cela de près », prévient-il. Marc Rochet s’inquiète notamment des propos de Benjamin Smith, le directeur général d’Air France-KLM qui a dit vouloir « accélérer » la transformation de la compagnie.

Si l’aide d’urgence apportée par le gouvernement va d’abord permettre de couvrir les pertes sèches de recettes provoquées par la crise et les mesures de confinement, il doit aussi permettre d’accélérer la mise en œuvre du plan de transformation lancé en novembre. Ce dernier va être « accéléré dans au moins deux domaines : la rationalisation du réseau domestique, qui a généré 200 millions de pertes l’an dernier, et la restructuration des fonctions support opérationnelles » a expliqué le dirigeant canadien devant les sénateurs le 22 avril.

Sur le plan de l’emploi, cela pourrait se traduire par un plan de départs volontaires qui reste à préciser. « Bruno Le Maire a insisté sur le fait que les mesures avaient été prises  pour sauver les 350.000 emplois directs et indirects dépendants d’Air France, mais sans pour autant exiger de garanties comme l’a fait le gouvernement américain en contrepartie des aides apportées aux transporteurs aériens », pointe un dirigeant du secteur.

1 milliard d’euros pour les autres compagnies françaises

Jugeant qu’il ne serait pas juste que seule Air France obtienne une aide publique, le Syndicat des Compagnies Aériennes Autonomes (SCARA) a fait ses calculs et réclame un plan de 1 milliard d’euros. Une aide proportionnelle aux autres compagnies françaises dont le chiffre d’affaires représente 15% de celui du groupe Air France. Pour son président, Jean-François Dominiak, « il n’est pas question pour les autres compagnies mourir étouffées. Nous rencontrons tous les mêmes difficultés qu’Air France et sommes tout aussi soucieux de renouveler nos flottes pour améliorer notre compétitivité et participer à la transition écologique », argumente-t-il.

Le SCARA avait déjà demandé à ce que d’éventuelles aides profitent à toutes les compagnies et avait rappelé l’ensemble des mesures qui pouvaient également être mises en place pour efficacement soutenir l’ensemble des acteurs – et qu’il réclame depuis plusieurs années. Il s’agit par exemple que l’Etat reprenne à sa charge le financement de missions initialement régaliennes (sûreté et sécurité ou coût du contrôle aux frontières), ou de revoir la taxe de solidarité et l’écotaxe décidée en 2019.

Le syndicat appelle également l’Etat à « prendre à sa charge, au moins pendant une période 12 mois après la fin de la période d’urgence sanitaire, la totalité du coût des infrastructures de navigation aérienne et aéroportuaires ». Reste encore à avoir le feu vert de Bruxelles. La Commission européenne doit se pencher cette semaine sur les aides d’État versées par les gouvernements aux entreprises. Et dire si elle valide, ou non, le plan de soutien accordé par la France, mais aussi les Pays-Bas, à la compagnie Air France-KLM.
 

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