Sexisme, racisme: OurCo s’attaque aux sujets tabous au bureau

C’est l’histoire tristement banale du collaborateur qui n’ose pas annoncer à ses collègues qu’il s’est marié avec son compagnon. De la salariée plutôt belle plante qui souffre de grossophobie. Du cadre dirigeant qui n’en peut plus de gérer un open-space rempli de millenials accros aux casques et au télétravail. Du collaborateur qui n’ose pas dire qu’il craque sous le poids de ses 500 mails quotidiens. Autant de petits tracas de la vie de bureau ordinaire qui finissent par nourrir de grosses souffrances au travail. Mais dont personne, le plus souvent, n’ose parler.

Crever l’abcès

C’est pour tenter de les faire disparaître qu’OurCo, le premier réseau social d’entreprise anonyme, vient de lancer un bouquet de groupes de discussions consacrés aux maux tabous de la vie de bureau. Objectif: crever les abcès. Mais aussi –surtout?- ouvrir le dialogue et éviter l’isolement. « Homophobie, sexisme ou racisme ordinaire, mal-être du middle-management… Les gens découvrent qu’ils ne sont pas seuls à subir ces souffrances, explique Stéphane Bourbier, le cofondateur d’OurCo. LinkedIn est parfait pour échanger et sur son job ou son plan de carrière, mais pas pour évoquer des sujets qui, in fine, peuvent nuire à l’employabilité.

Aujourd’hui, la quasi-totalité de nos utilisateurs déclarent ne pas se sentir pleinement eux-mêmes au travail. Un problème dès lors que les frontières entre vie privée et vie personnelle se confondent et que les gens ont de plus en plus de mal à se déconnecter du bureau. »  Elodie Brisset, psychologue sociale et associé d’OurCo, complète: « L’anonymat peut se révéler utile sur ces sujets où il n’y a finalement pas de savoir-faire universel, et où la victime a besoin et intérêt à partager son vécu. »

De fait, le premier atout d’OurCo est de permettre à chacun de s’exprimer sans tabou -et sans la pression liée à son statut dans l’entreprise. Née en 2016, la start-up capitalise ainsi sur le succès grandissant de sa plateforme, une application mobile (gratuite pour les salariés et les managers) permettant de créer dans son entreprise un réseau social où tout collaborateur est libre de s’exprimer de manière anonyme. L’application affiche plus de 40.000 utilisateurs, dont des salariés de grands groupes (Auchan, La Maif, Accor, Total, Michelin, Axa, Fnac…). Mais aussi des employés du service public: instituteurs, professions de santé, membres des forces de l’ordre… Ce TripAdvisor de l’entreprise, tel qu’il se définit, a levé 1,63 million d’euros depuis sa création.

Lâcher prise

Au printemps, un sondage auprès des utilisateurs d’OurCo a permis de décanter le top des sujets tabous, devenus chacun l’objet d’un groupe de discussion. Chaque forum a ensuite été assorti d’un nom en forme de clin d’œil, qui interpelle autant qu’il dénonce: « Tu viens d’où en vrai? », « Trop c’est trop », « Asap », « Bambiland en start-up »… . Signes des langues qui se délient, « T’es bien mignonne! », forum sur le sexisme ordinaire, affiche plus d’un millier de membres après seulement quelques semaines d’existence. « A quoi ça sert », qui dépasse aussi le millier de participants, veut épauler les collaborateurs de 20 à 65 ans en quête de sens dans leur job. « Les gens échangent leurs vécu et conseils pour tenter de redonner un but à leur travail. C’est le groupe de discussion qui affiche le plus faible taux d’attrition », note Stéphane Bourbier.

Côté encadrement, le forum « manager de l’année » permet au cadre dirigeant d’essuyer les critiques, comme de se confier anonymement sur ses difficultés à aborder un monde du travail en pleine mutation (télétravail, flex-office, travail en mode projet…). Quand « mieux vaut en rire » et « le collègue énervant » sont des soupapes pour lâcher-prise et prendre de la distance au regard des événements quotidiens. Le jour, par exemple, où machinalement vous avez signé un mail à votre boss de « bisous ». Ou que vous avez failli étrangler votre voisin de bureau qui racontait trente fois d’affilée sa soirée de laser game alors que vous deviez boucler le dossier Dugomme en moins d’une heure. Pas question pour autant de déverser anonymement son fiel ou sa haine : chaque post est modéré par OurCo –voire supprimé en cas de propos excessifs, violents, ou injurieux.

Valoriser la marque employeur

« Les candidats à l’embauche, notamment les jeunes, veillent de plus en plus à la dimension inclusive de l’entreprise, pointe Stéphane Bourbier. Oser libérer la parole sur ces sujets tabous, pour mieux les traiter en interne, est aussi un élément qui valorise la marque employeur. » Avis donc aux grands groupes, de plus en plus nombreux à signer des chartes de qualité de travail (QVT): Airbus, Thales, Michelin, Société Générale… ou encore Renault qui a signé début juillet avec les syndicats un accord QVT au niveau mondial, valable dans tous les pays où il est présent.

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