Tor-M1, ce missile russe qui aurait détruit le Boeing 737 ukrainien

Tor-M1, selon son nom russe officiel. Ou SA-15 « Gauntlet », dans la terminologie de l’OTAN. Selon le scénario privilégié par les Etats-Unis, le Canada et le Royaume-Uni, c’est ce système sol-air de conception russe qui aurait détruit le Boeing 737 d’Ukraine International Airlines le 8 janvier près de Téhéran, tuant les 176 personnes à bord. Selon un document du cabinet britannique IHS Markit cité par le Guardian, l’appareil a « probablement été détruit par erreur par un missile SA-15 opéré par le corps des Gardiens de la révolution islamique (IRGC) ». La thèse d’un missile iranien avait été avancée dès jeudi 8 janvier par le Premier ministre canadien Justin Trudeau. « Nous avons des renseignements de sources multiples, provenant notamment de nos alliés et de nos propres services. Les éléments indiquent que l’avion a été abattu par un missile sol-air iranien », assurait-il lors d’une conférence de presse à Ottawa, ajoutant que ce tir « n’était peut-être pas intentionnel ».

Cette thèse est vigoureusement démentie par Téhéran. « Scientifiquement, il est impossible qu’un missile ait détruit l’avion ukrainien, ces rumeurs sont dénuées de logique », a ainsi assuré Ali Abedzadeh, patron de l’organisation de l’aviation civile iranienne. Les Etats-Unis, le Royaume-Uni et, plus récemment, les Pays-Bas, confirment en revanche le scénario canadien. Selon le renseignement américain, deux missiles auraient été tirés sur le 737 d’Ukraine International Airlines. Le tir aurait eu lieu à peine deux minutes après son décollage, et quelques heures après le tir de plusieurs missiles iraniens visant deux bases hébergeant des militaires américains en Irak, en réaction à la mort du général iranien Soleimani le 3 janvier dernier.

Confusion avec un bombardier?

Conçu par le groupe russe Almaz-Antei, qui développe également les célèbres systèmes anti-aériens S-300 et S-400, le Tor-M1 est un système sol-air de courte portée calibré pour détruire des avions, hélicoptères, drones et missiles à basse ou moyenne altitude (jusqu’à 6.000m). Son radar peut détecter les aéronefs à 25km. Monté sur un châssis à chenilles, le système a été vendu, outre l’Iran, à la Chine ou à la Grèce. Selon le think-tank suédois SIPRI, l’Iran avait acheté à la Russie 29 exemplaires du système en 2005, un contrat de l’ordre de 700 millions de dollars. Les systèmes avaient été livrés à Téhéran en 2006 et 2007, et sont depuis opérés par le corps des Gardiens de la révolution.

Comment l’Iran aurait-il pu frapper par erreur le Boeing ukrainien, comme l’avancent Ottawa, Londres et Washington? Le contexte peut fournir des éléments d’explication. Le 737 d’Ukraine International Airlines a décollé quelques heures seulement après les tirs de missiles iraniens contre des bases irakiennes. Les défenses aériennes iraniennes étaient donc très probablement en alerte maximale, sur les dents, craignant une réplique américaine. Dans l’excitation et l’urgence, le 737 aurait pu être confondu avec un bombardier ou un drone américain.

Des précédents

Ce genre de méprise n’a rien d’impossible. C’est, en gros, ce qui s’était passé en 1988 entre les Etats-Unis et l’Iran, dans l’autre sens. Un croiseur américain, l’USS Vincennes, avait confondu un Airbus A300 d’Iran Air avec un chasseur F-14 iranien qui avait décollé à peu près en même temps. Le navire américain avait tiré deux missiles sur l’avion de ligne, détruisant l’appareil et tuant ses 290 occupants. Un rapport du Pentagone cité dans un article du New York Times en 2012 évoquait également plusieurs tirs de Tor-M1 iraniens effectués par erreur par les Gardiens de la révolution contre des avions civils en 2007 et 2008. Selon le rapport, « les unités de défense aérienne étaient nerveuses, craignant qu’un avion ennemi puisse essayer d’imiter le profil de vol d’un avion de ligne civil ».

Si le scénario du tir de missile Tor se confirme, il rappellerait aussi étrangement la destruction du Boeing 777 de Malaysia Airlines (vol MH17) le 17 juillet 2014 dans l’est de l’Ukraine. Selon le rapport final des enquêteurs internationaux, l’appareil avait été détruit par un missile Buk de conception russe, appartenant à la 53ème brigade antiaérienne de Koursk (Russie), mais très probablement tiré par des séparatistes pro-russes. Le drame avait fait 298 morts.

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