Turquie : Fitch abaisse la note … 2eme coup de force des USA face à Erdogan ?

Pour un peu on en rirait …. Alors que certains laissent entendre ici ou là que l’oncle Sam – y compris le président turc  Recep Tayyip Erdogan lui-même – pourrait ne pas être totalement étranger à ce qui se passe actuellement en Turquie, Fitch a abaissé vendredi la perspective de la note de la Turquie.

L’agence de notation s’inquiète de l’incertitude politique après la tentative avortée de coup d’Etat. Il est vrai que comme le dit le dicton, on n’est jamais mieux servi que par soi-même … Rappelons à toutes fins utiles que depuis le 12 décembre 2014, Fitch est détenue à 80% par le groupe Hearst, constitué de médias américain.

En tout état de cause, Fitch a indiqué dans un communiqué que la perspective de la note « BBB- » de la dette turque était passée de stable à négative, laissant ainsi entendre que la note pourrait être abaissée dans les prochains mois. « L’incertitude politique va avoir un impact sur la performance de l’économie et pose des risques pour la politique économique », affirme Fitch.

Ce qui est, certes, loin d’être faux … mais qui résonne tout particulièrement alors que Erdogan accuse Fethullah Gülen d’être à l’origine de la tentative de coup d’Etat survenu le 15 juillet dernier et que Gülen semble avoir quelques accointances – dirons-nous poliment – avec les Etats-Unis voire même la CIA, nous allons y revenir.

En dehors de la tentative de coup d’Etat, l’agence de notation estime également que les conditions de sécurité ont empiré. Elle fait ainsi référence aux violents attentats qui ont fait de multiples victimes ces jours derniers. La révocation de hauts responsables militaires à suite du coup d’Etat avorté risque aussi de poser des problèmes pour faire régner la sécurité.  Intéressant là-aussi quand on sait qu’il est avant tout reproché à ces militaires d’être membres du réseau Gülen, véritable état dans l’état turc, que nombre de medias comparent une sorte de Opus Dei à la turc.

Fitch indique par ailleurs que le secteur du tourisme, qui compte pour 3% du Produit intérieur brut (PIB) et pour 13% des recettes extérieures, subit déjà l’impact du contexte politique. L’agence table sur un ralentissement de la croissance turque du fait de plus faibles investissements et estime d’ores et déjà que les perspectives de réformes structurelles significatives, qui auraient changé la structure de l’expansion économique turque, ont diminué.

La banque centrale va également faire face à des pressions politiques sur sa politique monétaire, ajoute enfin l’agence qui table sur une hausse de la dette extérieure turque dans les mois qui viennent , passant selon ses estimations de 35% du PIB fin 2015 à 39,3% fin 2018.

Mais revenons quelques instants sur le réseau Gülen et ses possibles accointances avec l’oncle Sam.

– Quand Barack Obama nie tout implication dans la tentative de coup d’Etat –

Certes, le 22 juillet dernier, le président américain Barack Obama a déclaré que les Etats-Unis n’ont pas été informés et n’ont pas été impliqués dans la tentative de coup d’État en Turquie, s’attaquant fermement aux allégations contraires à ce sujet.

« Toutes les informations suggérant que nous aurions été préalablement informés de la tentative de coup d’État, que les Etats-Unis auraient été impliqués dans cet événement, ou que nous ne sommes pas entièrement solidaires de la démocratie turque sont complètement fausses, clairement fausses », a ainsi déclaré Barack Obama. Ajoutant que ce genre de rumeurs mettaient les Américains en danger en Turquie et menacent l’alliance et le partenariat essentiels entre les Etats-Unis et la Turquie.

– Gülen : un réseau fortement implanté aux USA via ses établissements scolaires – 

Il n’en demeure pas moins que dès 2010, Sibel Dinez Edmonds, ancienne traductrice pour le FBI avant d’être limogée … et lanceuse d’alerte connue, révélait l’énorme influence de Gülen aux USA à travers son réseau de madrasas présentées comme des écoles sous contrat. Evoquant alors une centaine d’écoles et d’ONG  : «F. Gülen, dont le réseau d’organisations est estimé entre 22 et 50 milliards de dollars, possède plus de 300 madrasas dans le monde, y compris au Pakistan, en Asie centrale et au Caucase. »
Elle faisait également  remarquer qu’alors que des madrasas suspectes avaient été fermées en Russie, Uzbekistan et Turkmenistan, l’empire de Gülen n’a fait que croître aux USA en toute discrétion et sans contrôle. « En moins d’une décennie, le réseau islamique de Gülen a établi plus de 100 écoles sous contrat dans 25 Etats. Ce qui renforce la suspicion, c’est qu’alors que les renseignements officiels font état des connexions entre Gülen et ces écoles, celui-ci les nie obstinément. Et pourquoi les mondialistes influents, membres du Council of Foreign Relations, sont toujours prêts à le protéger et à l’aider que ce soit en Turquie, ici dans ce pays, ou tout autour du monde ? » s’interrogeait-elle.

Un article de USA Today du 17 août 2010 révélait quant à lui que ces écoles, dirigées par des enseignants turco-américains, recevaient 35.000 étudiants et représentaient le plus grand réseau d’écoles sous contrat aux USA.

Parmi les défenseurs de Gülen les plus influents se trouveraient le New York Times et Morton Abramowitz (ancien ambassadeur US en Turquie). Il est vrai que c’est dans un entretien accordé au New York Times que le prédicateur – qui vit en reclus aux Etats-Unis et n’accorde pratiquement jamais d’interview –  a nié toute implication, suggérant même que le président turc pourrait être lui-même l’instigateur.

« Gülen est un ancien allié d’Erdogan, à la tête d’un ordre religieux obscur qui s’organise en cercles concentriques de fidèles, comprenant notamment des écoles, des universités, des médias et des ONG – sous le nom d’Hizmet (Service, en turc) – pour sa partie la plus visible » précise pour sa part le Conseil européen des relations internationales (ECFR).

« On raconte que dans ses années les plus prospères, l’organisation de Gülen contrôlait près de 25 milliards de dollars (à travers un réseau de bénévoles et d’hommes d’affaires) et plus d’un millier d’écoles à travers le monde. Les Gülenistes étaient traditionnellement encouragés à faire carrière dans la fonction publique et se sont notamment concentrés dans la police, la justice et les services secrets » ajoute également l’ECFR.

– Incirlik, une base extrêmement stratégique de l’OTAN en Turquie –

Alors que selon différentes sources, Gülen dispose de soutiens influents, dont la CIA, certains medias notent que les trois régiments les plus impliqués dans la tentative de coup d’Etat en Turquie, sont membres des forces de réaction rapide de l’OTAN depuis 2003.

Le Conseil européen des relations internationales précise pour sa part que « Erdogan soupçonne que les États-Unis aient été au courant ou aient soutenu le coup d’Etat – au motif que certains avions qui ont participé à la tentative de putsch ont été autorisés à se ravitailler à Incirlik, une base de l’OTAN importante utilisée dans la lutte contre Daesh » qui a été pendant plusieurs heures coupée du monde lors de la tentative de renversement du pouvoir et « que l’administration américaine n’a pas condamné le coup d’Etat la nuit même. « 

Précisons également que le commandant turc de la base d’Incirlik – qui accueille aussi les avions américains qui bombardent l’EI en Syrie – a été placé sous les verrous pour sa participation supposée au coup de force manqué. RFI précise qu’en mars dernier « déjà » le Pentagone a ordonné, « pour raisons de sécurité », l’évacuation des familles de militaires et du personnel civil stationnés dans le sud de la Turquie.

Il est vrai que les armes nucléaires stockées en Turquie par l’armée américaine sont entreposées dans la base aérienne à une centaine de kilomètres seulement de la frontière syrienne …

L’ECFR ajoute  pour sa part : « la diffusion par Wikileaks des emails de l’AKP (Parti de la justice et du développement au pouvoir en Turquie depuis 2002 ) et le fait que plusieurs grands journaux américains aient mis l’accent sur la réponse excessive d’Erdogan après le coup d’Etat, ne font que nourrir l’idée que les putschistes ont été soutenus par des puissances extérieures. »

– Gülen : un réseau fortement implanté au sein de justice, police, services secrets 

Enfin, le Conseil européen des relations internationales tient à rappeler que « bien qu’aujourd’hui Erdogan diabolise les Gülenistes, c’était sous le régime de l’AKP que le groupe est devenu une force majeure au sein de l’Etat. » Ajoutant : « pendant une grande partie de ces dix dernières années, les Gülenistes ont apporté à l’AKP les « ressources humaines » dont il avait besoin au moment de son entreprise de purge des kémalistes, des laïcs purs et durs et des Alaouites au sein de l’armée et de la bureaucratie. »

L’ECFR précise encore que « la coalition AKP-Gülen a saisi l’opportunité de procès très médiatisés entre 2009 et 2013″ pour « purger les forces armées turques de milliers de soldats. » Il indique également : « alors que les procès ont réduit l’influence de l’armée dans la politique turque, ils témoignent également de la manipulation croissante du système judiciaire et ont considérablement modifié la structure de commandement de l’armée à tous les niveaux. »

« Le partenariat entre Gülen et l’AKP a continué à se développer en dépit des craintes et des critiques récurrentes selon lesquelles la nature clandestine de l’organisation Gülen et sa concentration au sein du système judiciaire, de la police, des services secrets et informatiques présenteraient une menace pour la sécurité nationale » poursuit encore le Conseil européen des relations internationales.

Qui ajoute : « A partir du milieu des années 90, les responsables turcs ont commencé à se préoccuper de l’Etat parallèle qu’avaient mis en place les Gülenistes. Mais ce ne fut qu’en 2014 que la discorde entre l’AKP et les Gülenistes éclata au grand jour, lorsqu’Erdogan considéra comme une trahison l’enquête pour corruption menée contre certains de ses proches. Dès lors, Erdogan n’a cessé d’évincer ses anciens alliés. Les officiers aujourd’hui blâmés pour la tentative de coup d’Etat avaient pour la plupart été promus pour remplacer les agents laïcs congédiés lors de la période de partenariat entre l’AKP et Gülen. »

Elisabeth Studer – 20 août 2016 – www.leblogfinance.com

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