Un an après la loi, le secteur des influenceurs se transforme en France

L’industrie française du marketing d’influence traverse une période de mutation profonde. Un an après l’adoption de la loi visant à encadrer l’influence commerciale et à lutter contre ses dérives, le paysage de ce secteur en pleine expansion a radicalement changé. Cette législation, votée à l’unanimité par l’Assemblée nationale en juin 2023, a engendré une série de transformations majeures, redéfinissant les contours d’une activité autrefois caractérisée par son manque de régulation.

Les autorités de contrôle, notamment la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF), ont rapidement intensifié leurs efforts pour faire respecter les nouvelles dispositions. Des opérations de contrôle inopinées ont été menées, y compris dans des lieux prisés par les influenceurs comme la station de ski de Courchevel.

Ces interventions ont mis en lumière l’ampleur des pratiques non conformes qui prévalaient auparavant. De nombreux influenceurs, particulièrement ceux résidant à l’étranger, se sont retrouvés dans le collimateur des enquêteurs. La loi a ainsi créé un effet dissuasif puissant, poussant de nombreux acteurs à revoir leurs pratiques commerciales.

L’introduction de ce cadre légal a catalysé une restructuration en profondeur du secteur. Les agences spécialisées dans la gestion d’influenceurs issus de la téléréalité, autrefois florissantes, ont vu leur activité décliner drastiquement. Certaines, comme Shauna Events, se sont retrouvées en redressement judiciaire, illustrant la volatilité du marché face aux nouvelles exigences réglementaires.

Parallèlement, on assiste à l’émergence d’un nouveau type d’intermédiaires : des agents indépendants gérant un nombre restreint de talents. Cette tendance reflète une volonté de personnalisation et de professionnalisation des relations entre créateurs de contenu et marques. Cyril Attias, fondateur de l’agence ADMS.paris, prédit que “les créateurs de contenus se tourneront de plus en plus vers des agents indépendants, qui gèrent au maximum 3 à 4 talents“.

La complexité du nouveau cadre réglementaire a engendré l’apparition d’un écosystème de professionnels du droit spécialisés dans l’influence commerciale. Avocats, juristes, fiscalistes et assureurs se positionnent désormais comme experts de ce domaine en pleine expansion. Cette évolution témoigne de la maturité croissante du secteur et de la nécessité pour les acteurs de s’entourer de conseils avisés pour naviguer dans ce nouvel environnement légal.

Transparence et certification : les nouveaux impératifs

La loi a instauré des obligations de transparence sans précédent pour les influenceurs. La mention claire des collaborations commerciales est devenue incontournable, tout comme l’indication de l’utilisation de filtres beauté sur les contenus visuels. Ces mesures visent à protéger les consommateurs contre les pratiques trompeuses qui ont longtemps entaché la réputation du secteur.

L’Autorité de régulation professionnelle de la publicité (ARPP) a joué un rôle crucial dans cette transition en mettant en place un certificat de l’influence responsable. Mohamed Mansouri, directeur délégué de l’ARPP, révèle que “nous sommes passés de 350 créateurs de contenus certifiés l’an passé à plus de 1 500 aujourd’hui”. Cette certification est rapidement devenue un prérequis pour de nombreux annonceurs, soulignant l’importance croissante de la crédibilité et de l’éthique dans les collaborations avec les influenceurs.

Les défis persistants et les zones grises

Malgré les avancées significatives, des zones d’ombre subsistent dans l’application de la loi. Les influenceurs basés dans d’autres pays de l’Union européenne, mais s’adressant à un public français, se trouvent dans une situation juridique ambiguë. La question du seuil d’audience à partir duquel la loi s’applique reste également sans réponse claire.

Le traitement fiscal des cadeaux et invitations reçus par les créateurs de contenu constitue un autre point de friction. Bénédicte de Kersauson, de l’Union des métiers de l’influence et des créateurs de contenus (Umicc), souligne la complexité de la situation : “Dès qu’un créateur de contenus reçoit un produit à tester ou une invitation à assister à un évènement comme Roland-Garros, nécessaires pour réaliser son contenu, il nous paraît problématique, dans certains cas, de considérer cela comme un enrichissement personnel à déclarer auprès des impôts”.

L’évolution des modèles économiques

La nouvelle réglementation a provoqué une reconfiguration des modèles économiques au sein de l’industrie. Les influenceurs privilégient désormais les partenariats rémunérés au détriment des anciennes pratiques de relations publiques basées sur les cadeaux et les voyages. Cette évolution a des répercussions sur les stratégies d’investissement des marques, comme l’explique Pierre Calmard, président de Dentsu France : “Nous estimons que les marques vont davantage investir à l’avenir dans ce marché”.

Certains créateurs de contenu, confrontés à une diminution des opportunités traditionnelles, diversifient leurs sources de revenus. Julia Paredes, influenceuse comptant 1,1 million d’abonnés sur Instagram, témoigne de cette tendance : “Depuis la loi, les opportunités ont diminué. On a un peu moins de travail qu’avant, aussi parce que les marques comme les influenceurs font plus attention”. Face à cette nouvelle réalité, elle a décidé de se lancer dans l’immobilier et de créer sa propre marque de box d’activités pour enfants.

Le durcissement de la réglementation a favorisé l’émergence de nouvelles approches marketing. Le contenu généré par les utilisateurs (UGC) gagne en popularité, les marques faisant appel à des internautes disposant de communautés plus modestes pour créer une impression d’authenticité. Cette stratégie permet de contourner certaines contraintes liées aux influenceurs traditionnels tout en préservant l’efficacité du marketing d’influence.

Les enjeux de la régulation à l’ère du numérique

La mise en œuvre effective de la loi se heurte à des défis technologiques et humains. La trentaine d’agents de la DGCCRF mobilisés sur les questions d’influence se trouve submergée face à l’ampleur de la tâche. Le député Arthur Delaporte souligne la nécessité d’améliorer le fonctionnement de la plateforme SignalConso pour traiter en temps réel les signalements des internautes.

L’évolution rapide des plateformes numériques complique également la tâche des régulateurs. Les pratiques problématiques se déplacent vers des espaces moins surveillés, comme les messageries chiffrées telles que Telegram. De nouveaux phénomènes, à l’instar des “live match TikTok”, où les créateurs reçoivent des “cadeaux virtuels” convertibles en argent, soulèvent de nouvelles questions éthiques et réglementaires.

Perspectives d’avenir et enjeux internationaux

Malgré les turbulences initiales, le marché du marketing d’influence en France semble promis à une croissance soutenue. Dentsu anticipe une progression d’au moins 10% pour l’année 2024. Cette dynamique s’inscrit dans une tendance mondiale, le secteur ayant doublé de volume en trois ans pour atteindre 19,7 milliards d’euros à l’échelle internationale.

L’harmonisation des réglementations au niveau européen constitue le prochain défi majeur. L’ARPP collabore actuellement avec une dizaine de pays partenaires pour élaborer un certificat européen, visant à faciliter la compréhension et le respect des règles par les influenceurs à travers le continent.

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