USA / Turquie main dans la main pour armer et former les rebelles syriens … encore une odeur de gaz

Cela a le mérite d’être clair : Turquie et Etats-Unis viennent de signer à Ankara un accord, scellé deux jours auparavant, en vue d’oeuvrer à la formation et l’équipement des opposants syriens modérés en Turquie. C’est en effet ce qu’a indiqué le chef de la diplomatie turque Mevlut Cavusoglu à des journalistes.

Les signataires sont le sous-secrétaire au ministère des Affaires étrangères turques Feridun Sinirlioglu et l’ambassadeur américain à Ankara John Bass, a précisé une source gouvernementale. Une annonce qui vient cloturer des mois de négociations difficiles entre les différents membres de l’Otan, lesquels étaient à la fois divisés sur la nécessité de former des rebelles syriens et l’ennemi à combattre.

Ankara, qui ne ménage pas ses propos contre le président syrien Bashar al-Assad, souhaite que les factions de rebelles modérés soient entraînés pour combattre le régime de Damas mais également le groupe jihadiste Etat islamique (EI) qui contrôle de larges zones de territoires en Irak et en Syrie jusqu’à la frontière turque.

Washington affiche pour sa part officiellement sa volonté de former les rebelles dans le cadre de sa lutte contre le groupe EI, alors que l’US Air Force effectue des attaques ciblées contre les positions de l’EI en Syrie.

Le Pentagone a laissé entendre que le gouvernement américain espère que le programme pourra débuter d’ici fin mars, l’objectif étant d’avoir que les combattants rebelles formés puissent être « opérationnels » d’ici la fin de l’année. 5.000 combattants syriens devraient être formés dès la première année.
Vous noterez au passage que pas l’once d’une information concernant le montant des sommes ainsi mises sur la table n’a filtré, quant aux sources de financement elles-mêmes, il en est encore moins question …

Mais encore une fois, une forte odeur de pétrole et de gaz  pourrait régner sur la région. Et les tensions entre Turquie et Syrie pourraient être ni plus ni moins que le reflet des importants différents qui séparent Russie et Etats-Unis. La guerre des pipelines  n’arrangeant rien à l’affaire.

– La Turquie partenaire des Etats-Unis pour contrer le projet de pipeline entre Syrie, Iran et Irak

Rappelons en effet que Syrie, Iran  et Irak ont signé en juillet 2011  un « mémorandum d’entente » pour la construction d’un gazoduc qui, d’ici 2016, devrait relier le gisement iranien  de South Pars, le plus grand du monde, à la Syrie et à la Méditerranée. Plusieurs sociétés européennes devraient être associées à l’exploitation de ce « gazoduc islamique”.

Au final, la Syrie où a été découvert notamment un important gisement près de Homs, pourrait ainsi devenir un noeud de transit de couloirs énergétiques, offrant une alternative aux réseaux de gazoducs qui traversent …. la Turquie et à d’autres réseaux de pipelines …. contrôlés par les majors pétrolières US et européennes.

Le projet Iranien de gazoduc “gaz islamique” ou “Islamic Gas Pipeline ” d’un coût estimé à 10 Milliards de dollars devrait ainsi traverser l’Irak et la Syrie afin de proposer des livraisons de gaz liquéfié en Europe via les ports méditerranéens de Syrie. D’une longueur de 5.600 km, ses capacités pourraient permettre le transport de 35 Milliards de m³ de gaz par an.
A terme, le Liban, l’Irak, la Jordanie et la Syrie pourront se raccorder à ce gazoduc. Chose qui déplaît fortement aux Etats-Unis et à leurs alliés occidentaux, qui veulent garder la main-mise sur ce gaz, leur “défaite” sur le projet parallèle du gazoduc Nabucco leur restant encore en travers de la gorge. La Turquie ayant quant à elle tout à perdre de ce nouveau pipeline contournant son territoire.

En juillet 2011, les analystes indiquaient d’ores et déjà que la signature de l’accord sur le « gazoduc islamiste » pouvait être vue comme un échec de la stratégie américaine d’isolement de la Syrie, et comme un geste d’indépendance du gouvernement irakien de Nouri al-Maliki, en place depuis décembre 2010, à quelques mois du retrait des dernières troupes américaines.

– Un accord gazier Syrie / Russie qui déplaît fortement – 

Rappelons ainsi que c’est fort discrètement que le 25 décembre 2013 – en pleine trêve des confiseurs – que la Syrie a signé avec la Russie un accord pour le moins stratégique sur l’échiquier énergétique mondial. Et ce, sur différents aspects.

Il s’agit tout d’abord du premier accord de prospection pétrolière et gazière signée par la Syrie dans ses eaux territoriales, alors que suite à de récentes découvertes, ses réserves off-shore sont considérées comme les plus importantes de la Méditerranée.

Le fait que russes et syriens agissent de concert alors que le régime du président Bachar al-Assad est frappé de sanctions internationales, suite au conflit interne qui dévaste le pays, est également lourd de symboles.
L’accord, d’une durée de 25 ans, a été paraphé au siège du ministère du Pétrole et des ressources minières à Damas par le ministre syrien du Pétrole, Sleimane Abbas, la Compagnie générale syrienne du Pétrole et l’entreprise russe Soyuzneftegaz. Le directeur général de la Compagnie générale syrienne du pétrole, Ali Abbas, soulignant à cette occasion, qu’il s’agissait du premier contrat accordant des licences d’exploration de gaz et de pétrole dans les eaux syriennes.

Autre élément notable : les zones concernées font partie des gigantesques gisements de gaz et de pétrole récemment découverts en Méditerranée orientale, aux larges de pays tels que …. la Syrie, le Liban, Israël et Chypre.
Précisons à cet égard, qu’un un accord de délimitation des zones économiques exclusives a été conclu le 17 décembre 2010 entre Israël et Chypre, en vue de permettre aux deux pays la poursuite des recherches off-shore d’hydrocarbures de part et d’autre. Provoquant de vives réactions des pays voisins … Turquie, Syrie, Liban et l’Égypte voyant d’un mauvais œil la volonté hégémonique de l’Etat hébreu sur les gisements récemment découverts tels que Tamar et Leviathan.

Nous avions également laissé entendre à plusieurs reprises que le gouvernement chypriote pourrait faire jouer la concurrence  en vue de monnayer l’octroi d’un prêt salvateur  … en l’échange de licences d’exploration d’immenses champs gaziers off-shore, la Russie étant confrontée à la troïka via l’intermédiaire de la BCE sur ce dossier.
Moscou semble donc désormais redoubler d’efforts pour avancer ses pions sur la zone … en passant par la Syrie. Histoire d’ajouter encore plus d’huile sur le feu …

Quoi qu’il en soit, le ministre syrien a indiqué que la prospection allait débuter sur une superficie de 2.190 km2, ajoutant que le coût de la prospection s’élèverait à 100 millions de dollars. Suite aux récentes découvertes réalisées en Méditerranée, les réserves de gaz pourraient s’élever à 38.000 milliards de pieds cubes.

Selon la revue « Oil and Gas », la Syrie détiendrait au final les plus grandes réserves prouvées de pétrole de la Méditerranée, avec 2,5 milliards de barils, dépassant ainsi ses voisins, hormis l’Irak. Reste que suite aux sanctions internationales, la Syrie a vu sa production pétrolière chuter de 90% depuis mars 2011, date de début du conflit.

Il n’en demeure pas moins que la signature de ce contrat est loin de faire l’unanimité, ne serait-ce qu’au sein de la Syrie elle-même. La Coalition de l’opposition syrienne avait ainsi affirmé que le peuple syrien considérait comme nul l’accord signé la veille entre le gouvernement et la Russie. « La Coalition condamne cette signature qui vise à donner les richesses de notre sous-sol contre les armes russes destinées à tuer le peuple syrien », avait-elle indiqué jeudi dans un communiqué. Ajoutant que « la signature par la société russe d’un des plus importants contrats dans la région avec le régime criminel alors que les combats se poursuivent sans répit met en évidence le fait que le gouvernement russe a signé un accord pour fournir au régime des armes supplémentaire pour tuer le peuple syrien ».

En juillet 2013, à l’occasion du cinquantenaire du quotidien Al-Thawra, le président syrien avait répondu à plusieurs questions de journalistes. En réponse à l’un d’entre eux, lui demandant de faire la lumière sur les ressources en pétrole et en gaz des eaux territoriales syriennes, Bachar Al-Assad avait indiqué : « C’est la vérité, que ce soit dans nos eaux territoriales ou dans notre sol. Les premières études ont fait état d’importants gisements de gaz dans nos eaux territoriales. Puis, nous avons su que d’autres gisements s’étendaient de l’Égypte à la Palestine et sur tout le long de la côte ; ces ressources étant plus abondantes dans le Nord ». Ajoutant : « certains disent que l’une des raisons de la crise syrienne est qu’il serait inacceptable qu’une telle fortune soit entre les mains d’un État opposant mais, évidemment, personne ne nous en a parlé de façon directe. C’est une analyse logique de la situation et nous ne pouvons ni la réfuter, ni la considérer comme une raison secondaire. C’est peut-être la raison principale de ce qui se passe en Syrie mais, pour le moment, elle reste du domaine de l’analyse. »

Sources : AFP, Mondialisation.ca, Al-Thawra

Elisabeth Studer – www.leblogfinance.com   – 22 février 2015


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