Vacciner contre le Covid-19 au bureau : mission impossible?

Et si vous vous faisiez vacciner contre le Covid-19 au bureau ? « Les entreprises pourront, le moment venu, effectivement jouer un rôle dans cette stratégie de vaccination », a assuré, le mardi 5 janvier sur Franceinfo, la ministre du Travail Elisabeth Borne. Alors que le démarrage de la campagne nationale de vaccination se révèle plutôt chaotique, le Premier ministre Jean Castex a promis cette semaine de mettre le turbo pour multiplier le nombre de personnes vaccinées. En ce sens, la participation des entreprises, nombreuses déjà à organiser des campagnes de vaccination contre la grippe chaque année, pourrait donner un sacré coup d’accélérateur. Approvisionnement en doses, conservation, acte de vaccination, volontariat des salariés, secret médical… La vaccination en entreprise soulève toutefois de nombreuses questions.

  • Quand les salariés pourront-ils commencer à se faire vacciner en entreprise ?

Aujourd’hui réservée aux résidents d’Ehpad, aux soignants à risque et depuis lundi aux personnes de plus de 75 ans, la vaccination se déploie très progressivement en France, le gouvernement ayant fait le choix de prioriser l’accès aux vaccins. Or, la plupart des actifs n’entrent pas dans ces cases prioritaires. « Quand on généralisera la vaccination, elles [les entreprises, NDLR] seront mises à contribution », a indiqué Elisabeth Borne sur Franceinfo. En clair, il ne faut pas s’attendre à ce que la vaccination se déploie dans les entreprises avant plusieurs mois. « Nous n’avons pas encore de protocole sur la vaccination en entreprise », souligne d’ailleurs Florence Herry, infirmière et cofondatrice de Libheros, une plateforme d’organisation des soins à domicile sur laquelle sont inscrits 16.000 infirmiers libéraux sur toute la France. L’an dernier, Libheros a été sollicitée par de grandes entreprises (Total, Veolia, Renault, Saint-Gobain, EDF…) pour organiser la vaccination anti-grippe et des campagnes de dépistage du Covid, « afin de sécuriser le retour au travail après le premier confinement ». Plusieurs d’entre elles sont déjà dans les starting-blocks pour la vaccination anti-Covid, tant la reprise de l’activité économique est liée à la couverture vaccinale contre le virus. « On est prêt à le faire, on le fait pour la grippe avec beaucoup d’efficacité », a ainsi assuré Geoffroy Roux de Bézieux, le président du Medef, le 6 janvier sur Franceinfo.

  • Comment gérer les difficultés logistiques d’achat et de conservation des vaccins ?

Les commandes de vaccins, à ce jour, passent seulement par les Etats. « Pour la grippe, nous pouvons commander directement les vaccins auprès de Sanofi Pasteur, mais pour le coronavirus, nous ne savons pas quand les entreprises seront autorisées à se procurer directement des doses », pointe Florence Herry. La conservation des vaccins, qui doit se faire à très basses températures (-70 degrés pour le vaccin de Pfizer/BioNTech qui est arrivé en premier dans l’Hexagone et -20 degrés pour celui de Moderna), est aussi un casse-tête potentiel. « Quand le vaccin est décongelé, il doit être utilisé dans les cinq jours et un flacon contient six doses. Ce qui veut dire qu’il n’y a pas de marge d’erreur », prévient Pascaline Cristofini, infirmière coordinatrice du SEST (Service aux Entreprises pour la Santé au Travail), une association qui fournit un service de médecine au travail à 6.000 entreprises en Île-de-France, couvrant 105.000 salariés. « Une chose est sûre, même les grandes entreprises ne vont pas commencer à s’équiper en super-congélateurs », tranche la cofondatrice de Libheros, qui mise plutôt sur l’arrivée « à terme » de vaccins plus simples à gérer d’un point de vue logistique, comme celui d’AstraZeneca qui espère être homologué par les autorités européennes fin janvier-début février.

  • Qui pourra effectuer l’acte de vaccination des salariés ?

Si, pour les campagnes de vaccination contre la grippe, le médecin du travail ou, dans la plupart des cas, les infirmiers du travail peuvent réaliser les injections en s’appuyant sur un protocole strict, le processus apparaît plus complexe pour le Covid. « Pour l’instant, dans les Ehpad et les hôpitaux, un médecin doit être présent lors de la vaccination pour surveiller les éventuels effets secondaires », souligne Florence Herry. « Pour simplifier l’organisation de la campagne en entreprise, nous souhaitons proposer la possibilité de travailler avec des acteurs de la téléconsultation pour qu’un médecin disponible puisse assister en ligne et à distance à la vaccination des salariés, si la présence d’un médecin est exigée dans les recommandations des autorités. » Pour Hervé Rabec, directeur général du SEST, la nécessaire présence d’un médecin, en plus de la visite médicale préalable avant de se faire vacciner, fait perdre un temps fou. « On ensable le système ! » Surtout, de nombreuses entreprises s’inquiètent d’une éventuelle pénurie de professionnels pour réaliser ces vaccinations. « La médecine du travail est sur-sollicitée. Nous avons peiné à trouver des soignants lors de la campagne anti-grippe cette année, pour laquelle 40% de nos salariés étaient intéressés », témoigne Tiffany Gulpain, directrice des ressources humaines de JVWEB, une agence de marketing digital basée à Montpellier et qui emploie 65 salariés.

  • Qui va payer les coûts liés à la vaccination ?

« Pour la grippe, c’est l’entreprise qui prend en charge le coût du vaccin et du professionnel qui effectue l’acte de vaccination », rappelle Hervé Rabec. Sans compter, ajoute-t-il, ce « coût indirect » que représente le temps passé par un ou plusieurs salariés pour organiser et mettre en place la vaccination : prévoir une salle dédiée, un calendrier, le matériel nécessaire… « En se consacrant à ces tâches, le salarié ne travaille pas à son poste habituel. » La facture de la vaccination anti-Covid risque donc de freiner certaines entreprises. « Cela risque de créer une discrimination à la taille entre les entreprises, avec d’un côté les PME et les TPE et de l’autre, les grands groupes qui auront les moyens de lancer une vaccination à grande échelle », regrette le directeur général du SEST.

  • Un salarié peut-il refuser de se faire vacciner ?

Sur ce point, la question a été tranchée très clairement par l’exécutif. Tant Emmanuel Macron que ses ministres ont écarté la possibilité de rendre la vaccination contre le Covid obligatoire. « Les obligations vaccinales et les populations qu’elles ciblent relèvent du code de la santé publique. Or, à ce jour, la vaccination contre le Covid-19 n’y est pas inscrite », souligne Isabelle Pontal, avocate au cabinet FTMS. « Elle ne peut donc pas être imposée à un salarié. » De même, si une entreprise était tentée de contourner le problème en conditionnant le retour sur site d’un salarié à la vaccination, ou en obligeant les non-vaccinés à rester en télétravail, elle n’aurait tout simplement pas le droit de le faire. « Faire une distinction entre les salariés vaccinés et les non-vaccinés créerait une pratique discriminante. » D’autant que la vaccination n’est pas le seul moyen pour une entreprise de répondre à son obligation d’ assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale de ses salariés. « Ces moyens sont prévus dans le protocole sanitaire, notamment le port du masque, les lavages de mains ou la distanciation sociale. Si ces mesures sont respectées, elles sont suffisantes », souligne l’avocate.

  • Comment le secret médical peut-il être garanti ?

Sonder les volontaires pour avoir une idée de la quantité de doses de vaccin à commander, ou du temps à prévoir pour tous les vacciner… Ces étapes visant à faciliter l’organisation de la vaccination sont à prévoir avec prudence. « Tout l’enjeu sera d’informer nos collaborateurs, sans donner l’impression de les inciter trop fortement à se faire vacciner », conçoit Tiffany Gulpain, directrice des ressources humaines de JVWEB. La gestion de la confidentialité des informations peut être un chausse-trappe. « Il faudra que cela passe par la médecine du travail car je n’ai pas le droit de savoir qui est volontaire ou quelles sont les personnes à risques. » En effet, résume l’avocate Isabelle Pontal, « le principe du respect du secret médical interdit aux directions des ressources humaines de tenir un fichier des salariés qui ont été vaccinés ».

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