Vente imminente par la Russie à la Turquie de missiles S-400

Décidément les relations entre la Turquie et la Russie semblent être au beau fixe depuis l’annonce officielle du début des travaux de construction du gazoduc Turkish Stream reliant les territoires russe et turque, pipeline doté d’un enjeu géostratégique majeur.

Le conglomérat d’Etat russe Rostec a indiqué samedi que la Russie était proche de la signature d’un contrat avec la Turquie portant sur la livraison de systèmes de défense antiaérienne S-400.

« Moscou et Ankara ont quasiment terminé les négociations concernant les détails techniques du contrat », a indiqué le PDG de Rostec Sergueï Tchemezov dans un communiqué. Ajoutant que les s ministres des finances des deux pays discutaient désormais de « la possibilité de fournir à Ankara un prêt pour l’achat » de ses équipements militaires. M. Tchemezov a toutefois refusé de donner davantage de détails sur cette livraison tant que le contrat ne serait pas signé.

Le cas échéant, cette vente de matériel russe dernier cri à un pays membre de l’Otan constituerait une nouvelle étape dans réconciliation entre Moscou et Ankara, alors qu’il y a encore quelques mois les relations entre les deux pays étaient extrêmement tendues. Mercredi dernier, le président russe Vladimir Poutine a ordonné la levée de la majorité des sanctions mises en place par Moscou à l’encontre d’Ankara après la destruction par l’aviation turque d’un bombardier russe au-dessus de la frontière syrienne en 2015. Rappelons que suite à cet incident diplomatique majeur, la Russie a installé des systèmes S-400 en Syrie, pays où elle mène une opération militaire en soutien aux forces de Bachar al-Assad.

Le 6 mai dernier, alors que le monde entier avait les yeux rivés sur la France et la victoire d’Emmanuel Macron, Russie et Turquie avançaient, certes en toute discrétion, et ce, malgré toutes les embûches  que certains auront semé  sur leur passage. Le géant gazier russe Gazprom avait alors annoncé le début des travaux de construction du gazoduc Turkish Stream reliant les territoires russe et turque. Le  projet prévoit la construction sous la mer Noire de deux conduites d’une capacité de 15,75 milliards de mètres cubes de gaz par an chacune. Un des deux pipelines acheminera le gaz sur le marché turc et l’autre reliera la Russie à l’Europe via la Turquie.

La construction du second pipeline est tributaire de l’intérêt manifesté par l’Europe pour le gaz russe et des garanties que les autorités européennes accorderont en retour au projet. Ce projet ne sera possible qu’après l’obtention de « garanties explicites et officielles » de l’UE confirmant sa future réalisation, avait tenu à souligner à cet égard  Sergueï Lavrov, ministre russe des Affaires Etrangères,   en octobre 2016. Le PDG de Gazprom, Alexeï Miller avait déclaré à cette occasion que le nouveau pipeline offrira aux consommateurs turcs et européens d’ici fin 2019 une nouvelle route sûre – selon lui – pour l’importation de gaz russe.

L’annonce de Gazprom est d’une importance géostratégique majeure  à plusieurs niveaux. Elle est tout d’abord grandement associée à l’approvisionnement énergétique de l’Europe via le gaz russe, tout en pénalisant fortement l’Ukraine en contournant son territoire. Elle met également en avant la Turquie, en dépit de la gouvernance controversée exercée par son président, Recep Tayyip Erdogan. Enfin, elle intervient alors que le président russe Vladimir Poutine a exhorté Emmanuel Macron dès l’élection de ce dernier à « surmonter la méfiance mutuelle » entre Paris et Moscou en vue de combattre ensemble « la menace croissante du terrorisme et de l’extrémisme violent ».

Rappelons qu’en décembre 2015, alors que nous laissions entendre dans un article précédent que « l’affaire » de l’avion russe abattu par la Turquie le 24 novembre 2015 pourrait être fortement liée au projet de gazoduc Turkish Stream – contre lequel les Etats-Unis redoublaient leurs  pressions – le ministre russe de l’Energie Alexandre Novak avait déclaré que les négociations entre Moscou et Ankara au sujet de pipeline censé relier les deux pays par le fond de la mer Noire, « étaient suspendues à l’heure actuelle ». Ajoutant que « le travail de la commission intergouvernementale sur la coopération commerciale et économique russo-turque avait été parallèlement suspendue conformément à un arrêté ad hoc du gouvernement russe ».

Le 26 novembre 2015, le ministre russe du Développement économique avait indiqué pour sa part que le projet de gazoduc Turkish Stream tombait sous le coup de la loi sur les mesures de rétorsion prises par la Russie en réaction à l’agression commise par la Turquie, faisant ainsi référence au Sukhoi abattu. « Ce projet n’a rien de différent de tout autre projet, et notre coopération dans le domaine de l’investissement est traitée de la même manière« , avait ainsi déclaré le ministre Alexeï Oulioukaïev.

Mais en mars 2017, un mois après la signature par Vladimir Poutine de la loi ratifiant l’accord russo-turc sur le gazoduc Turkish Stream, Moscou et Ankara sont allés encore plus loin, signant un mémorandum portant sur la création d’un fonds commun d’investissement, lequel sera doté d’un milliard de dollars. Selon le texte officiel signé à Moscou en présence de Vladimir Poutine et de Recep Tayyip Erdogan, président respectif des deux parties prenantes, le fonds souverain russe RDIF (Fonds russe d’investissements directs) et son équivalent turc TWF (Fonds souverain Türkiye) apporteront chacun la moitié de cette dotation.

Lors de la visite de Recep Tayyip Erdogan à Moscou, la Russie et la Turquie auront ainsi achevé de « normaliser » leurs relations. Lors d’une conférence de presse commune, les deux dirigeants avaient prôné le renforcement d’une coopération dans de multiples domaines. Les deux chefs d’Etat auront notamment démontré que la crise diplomatique qui avait suivi après la destruction par l’aviation turque, en novembre 2015, d’un avion militaire russe au-dessus de la frontière syro-turque n’était plus qu’un lointain souvenir, le tout sous fond de forte odeur de gaz …. même si, certes, le sujet n’avait pas été – officiellement – évoqué.

Sources :
Presse turque, AFP, sputniknews.com, Le Monde, themoscowtimes.com, Reuters, Spiegel

Elisabeth Studer – 5 juin 2017 – www.leblogfinance.com

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