L’Institut Montaigne s’est penché sur les intentions des candidats déclarés en matière de réforme fiscale des successions, véritable marqueur politique.
A quelques mois du premier tour, l’héritage et les droits de succession sont déjà au coeur de la campagne présidentielle 2022. Alors que la génération des baby boomers s’apprête à transmettre le plus important patrimoine jamais accumulé dans l’histoire du pays (il est par exemple estimé aux Etats-Unis à 70.000 milliards de dollars par le cabinet de recherche Cerulli Associates), plus de huit Français sur 10 sont favorables à un allègement de la fiscalité sur les successions.
Un appel que les candidats à la future élection ont entendu. La plupart des prétendants à la présidence ont formulé des propositions en la matière.
Des projets de réformes sur lesquels s’est penché l’Institut Montaigne, un think tank libéral, qui va durant toute la campagne tenter de chiffrer les mesures proposées par les candidats sur différentes thématiques.
Les réformes en matière de fiscalité des successions sont un important un marqueur politique, note en préambule l’Institut Montaigne.
“Elles relèvent d’enjeux fiscaux, et divisent encore les candidats selon le spectre “gauche/droite” : pour certains, il s’agit d’un outil efficace pour lutter contre une concentration des richesses, à travers une fiscalité redistributive; pour d’autres, cette fiscalité est confiscatoire et pourrait empêcher la circulation des patrimoines au sein de la société et entre les générations”, peut-on lire dans l’étude.
Petit tour d’horizon des mesures et de leurs coûts pour les finances publiques. Les surplus de recettes ou les manques à gagner sont les estimations de l’Institut Montaigne que certains candidats remettent en cause.
Yannick Jadot: +7,7 milliards d’euros de recettes
Yannick Jadot propose d’instaurer un abattement jusqu’à 200.000 euros sur l’ensemble du patrimoine hérité tout au long de sa vie (il est aujourd’hui de 100.000 euros en ligne directe)
Le candidat écologiste souhaite réformer la fiscalité de succession à travers deux points majeurs: un abattement calculé sur l’ensemble de la vie de l’héritier et non plus réinitialisé tous les 15 ans, et une suppression des niches fiscales afférentes aux donations et aux successions.
D’après le chiffrage de l’Institut Montaigne, une telle mesure permettrait des recettes supplémentaires de l’ordre de 7,7 milliards d’euros par an.
Marine Le Pen: 956 millions d’euros de manque à gagner
La candidate du RN propose de défiscaliser les donations familiales jusqu’à 100 000 euros tous les 10 ans.
Le rappel fiscal, c’est-à-dire le délai en deçà duquel les donations sont intégrées à la succession, est fixé à 15 ans depuis 2012.
Marine Le Pen propose de maintenir inchangé le plafond de la franchise de droits, à 100.000 euros, mais de réduire le délai de rappel en le portant à 10 ans.
L’estimation médiane du coût de la mesure pour les finances publiques par l’Institut Montaigne est de 956 millions d’euros.
Jean-Luc Mélenchon: +9 milliards d’euros de recettes
Le candidat de la France Insoumise propose de créer un héritage maximum pour les plus grandes fortunes, avec un plafonnement à 12 millions d’euros. Au-delà, les sommes seraient fiscalisées à 100%.
La mesure du candidat de la France Insoumise consisterait, à minima, à relever ou créer une nouvelle tranche marginale d’imposition des successions dont le taux serait de 100 % au-delà de 12 millions d’euros de patrimoine net taxable.
“Il existe un risque très important d’inconstitutionnalité d’une telle mesure, qui créerait un impôt confiscatoire”, estime l’Institut.
Si elle était mise en œuvre, la mesure générerait, selon l’estimation médiane, un surcroît de recettes de l’ordre de 9 milliards d’euros.
Valérie Pécresse: 4,5 milliards d’euros de manque à gagner
Valérie Pécresse propose de défiscaliser les donations familiales jusqu’à 100.000 euros tous les six ans (contre tous les 15 ans aujourd’hui) et de relever l’abattement sur les droits de succession à 200.000 euros sur les enfants et 100.000 euros pour les frères, sœurs, neveux et nièces.
Valérie Pécresse souhaite porter le rappel fiscal à six ans, sans changer le plafond de franchise de droits. Le coût d’une réduction de neuf ans du délai de rappel – passant de 15 ans à six ans- est estimé à 1,72 milliard d’euros par l’Institut Montaigne (calcul hors retours fiscaux).
Un chiffrage contesté par l’équipe de campagne de Valérie Pécresse qui estime que cette mesure provoquera un surcroît de donations, et sera neutre pour les finances publiques, notamment du fait du retour fiscal entraîné par la transmission accélérée du patrimoine et une propension à consommer plus élevée chez les ménages plus jeunes.
La candidate des Républicains souhaite également augmenter très fortement les abattements existants, en les relevant à 200 000 euros pour les enfants et à 100 000 euros pour les frères, sœurs, neveux et nièces.
En se fondant sur l’étude d’impact de la dernière modification de l’abattement en ligne directe, en 2012, le coût de la mesure peut être estimé à 2,8 milliards d’euros au total d’après l’Institut Montaigne.
Eric Zemmour: 7,75 milliards d’euros de manque à gagner
Eric Zemmour propose d’exonérer de droits les successions de parents et grand-parents à enfant jusqu’à 200.000 euros et d’exonérer de droits de donation et de succession les transmissions d’entreprises familiales entre générations.
La première mesure proposée par Eric Zemmour combine un doublement de l’abattement actuel pour les donations des parents, une multiplication par plus de cinq de l’abattement des grands-parents et une réduction d’un tiers du délai de rappel fiscal entre deux donations bénéficiant de ces abattements.
“L’ampleur de ces modifications est potentiellement très importante, si elle est utilisée pleinement par les contribuables”, estime l’Institut Montaigne.
L’estimation médiane du coût de la mesure par l’Institut Montaigne est de 2,75 milliards d’euros.
L’autre mesure du candidat, consistant à exonérer de droits de donation et de succession les transmissions d’entreprises familiales entre générations, dont le coût est estimé à plus de 5 milliards d’euros par an par l’Institut Montaigne (contre 1,35 milliard d’euros d’après l’équipe du candidat), aurait pour objectif de renforcer les effets du dispositif actuel d’abattement en matière de droits de succession sur les actions de sociétés, à hauteur de 75 % en cas de transmission familiale, connu sous le nom de “pacte Dutreil” (2003) et d’exonérer les successions intrafamiliales qui ne bénéficient pas aujourd’hui des dispositions du pacte Dutreil.
Enfin, s’il n’a pas candidat à sa réelection, Emmanuel Macron fera probablement des propositions en la matière. Le chef de l’Etat n’a pas donné de mesures concrètes mais a précisé en janvier dans une interview au Parisien qu’il était favorable à un allègement de la fiscalité sur les successions.
“Je ne fais pas partie de ceux qui pensent qu’il faut augmenter les droits de succession à tout-va, au contraire, assure-t-il dans l’entretien. Nous sommes une nation de paysans dans notre psychologie collective ce qui est une force. Donc, je pense qu’il y a des choses à améliorer. Il faut plutôt accompagner les gens pour les aider à transmettre les patrimoines modestes.”