Allemagne : les 12 questions qui fâchent

1. L’Allemagne est-elle hégémonique?

Arnaud Montebourg, ministre du Redressement productif

« C’est sur notre ruine que l’Allemagne fait sa fortune, la question du nationalisme allemand est en train de ressortir au travers de la politique à la Bismarck de madame Merkel. Questions d’info, LCP, le 30 novembre 2011.« 

 

C’était au lendemain des primaires. Arnaud Montebourg, qui n’était alors pas encore ministre, enclenchait une salve de propos antiallemands dans les rangs socialistes. Fortement critiqué, il a récidivé et explicité : « Les Allemands mènent sur la question de l’euro une politique nationale, une politique servant leurs seuls intérêts. » Cette vision d’une Allemagne imposant ses choix est un des mantras de la gauche du PS, qui refuse d’entendre parler de rigueur. Le PS a d’ailleurs fait scandale en dénonçant, en avril, « l’intransigeance égoïste de la chancelière Merkel » dans un texte préparatoire sur l’Europe.

Angela Merkel, de son côté, se félicite du succès de sa politique budgétaire qui n’empêche pas la croissance outre-Rhin, et espère convaincre par l’exemple. Tout en restant intransigeante. En 1999, au lendemain de la réunification, l’Allemagne était montrée du doigt comme le grand malade de l’Europe. Elle s’est réformée. A fait d’énormes efforts. Et s’est relevée.

2. L’euro est-il, par sa faute, surévalué ?

Pierre Moscovici, ministre de l’Economie et des Finances

France 2, le 3 février 2013. « L’euro est fort, peut-être trop fort. »

Quelques jours après cette déclaration, le président Hollande relançait la polémique au Parlement européen : « Une zone monétaire doit avoir une politique de change, sinon elle se voit imposer une parité qui ne correspond pas à l’état réel de son économie. » En Allemagne, le message a été très mal perçu. Nos voisins ne se polarisent pas sur la parité de la monnaie mais sur sa stabilité. Evidemment, leur histoire et le traumatisme de l’hyperinflation expliquent cette préoccupation qui confine à l’obsession. Après-guerre, un autre traumatisme a aussi marqué les esprits : la réforme monétaire de 1948 qui a lancé le Deutsche Mark. Les épargnants n’ont pu préserver que moins de 10 % de leurs avoirs.

Ces deux catastrophes expliquent que l’Allemagne ait exigé des assurances au moment du traité de Maastricht et de la création de la Banque centrale européenne (BCE). Ne parlent-ils pas alors de « pacte de stabilité » ? Dans son mandat, comme dans celui de la banque centrale allemande, figure le suivi de l’inflation. D’ailleurs, régulièrement depuis la crise, le président de la Bundesbank, Jens Weidmann, met en garde contre « le financement des Etats par la planche à billets ». La presse allemande, elle, surnomme la BCE la « bad bank ». Quant à la parité, outre-Rhin, où le commerce extérieur est florissant, tout le monde s’en accommode.

3. Prône-t-elle la précarité des emplois ?

Alain Juppé, maire de Bordeaux

« Ce modèle est-il vraiment exemplaire ? Certes, ils ont amputé leur chômage mais, parallèlement à cela, ils ont développé des emplois précaires qui ont permis de tenir leurs objectifs sur la compression des salaires ». Le Parisien Magazine, le 16 avril 2013.

Ah, le fameux modèle allemand ! A en croire certains, sa face cachée serait bien peu reluisante. Certes, le taux de chômage outre-Rhin est le plus faible de l’Union européenne après l’Autriche (5,4 %). Et celui de la France est deux fois plus élevé (11 %). Mais ce serait au prix d’une précarisation croissante. « La précarité allemande est un mythe agité par une partie des hommes politiques français pour justifier leur immobilisme », rétorque Isabelle Bourgeois, du Centre d’information et de recherche sur l’Allemagne contemporaine (Cirac).

En 2003, les réformes Hartz, menées par Gerhard Schröder, ont profondément modifié le fonctionnement du marché du travail. Le recours à l’intérim, au temps partiel et aux minijobs a été grandement facilité, les indemnités chômage ont été sacrifiées, les modalités de licenciement simplifiées. La part des temps partiels a ainsi grimpé de 18 à 22%, et celle des CDD de 12,5 à 13,8%.

En réalité, les 7,5 millions de minijobbers sont en majorité des mères au foyer, des retraités, des étudiants ; 30 % sont des salariés qui trouvent là un complément de revenus ; et moins de 7 % sont des chômeurs qui cumulent salaire et aides sociales. D’après les sondages réalisés sur le sujet, 70 % des minijobbers se disent ravis de leur sort.ar la crise de 2008-2009, l’Allemagne a engagé de lourdes réformes structurelles… et renoué avec la croissance.

4. Son système bancaire est-il vraiment assaini ?

Alain Minc, économiste, président de la Sanef et d’AM Conseil

« Dans le système bancaire allemand, la restructuration n’a même pas commencé« . Paris-Berlin, le 1er mars 2010.

En Allemagne, les banques, très imbriquées dans le tissu économique, font de tout. Outre l’octroi de crédits classiques et la récolte des dépôts, les Hausbanken (banques maison) sont souvent des partenaires associés à la marche des entreprises via des participations, et non de simples apporteurs de financement externe. Avec la mondialisation, puis, surtout, la crise financière de 2008-2009, leurs bases se sont effritées et elles ont dû se restructurer. Un processus qu’elles n’ont pas achevé. Le secteur, très éclaté, repose toujours sur une myriade d’établissements : banques privées, caisses d’épargne régionales, banques coopératives.

Le FMI a pointé la capitalisation insuffisante des banques allemandes, leurs coûts opérationnels élevés, et des investissements à l’international parfois hasardeux. On comprend mieux les réticences de Berlin à inclure ses établissements dans le champ de la supervision de la future Union bancaire européenne, tant que le ménage n’est pas fait.

5 Favorise-t-elle les rentiers?

Claude Bartolone, président de l’Assemblée nationale

« Les Allemands sont attentifs à la rente et obsédés par l’inflation. Ils ne voient les questions monétaires que sous ce prisme. Nous, nous sommes un pays jeune, nous avons besoin de croissance. Challenges, le 31 mai 2013. »

Les politiques ne sont pas les seuls à se plaindre du niveau trop élevé de l’euro. Certains industriels, notamment dans le secteur aéronautique où les prix sont libellés en dollars, le déplorent également : EADS rappelle qu’une baisse de 10 centimes de la valeur de l’euro se traduit par 1 milliard d’euros de bénéfices supplémentaires !

Mais à la gauche du PS, la critique va beaucoup plus loin, n’hésitant pas à appeler à une confrontation avec l’Allemagne, débouchant même sur une remise en cause de la monnaie européenne : « En France, nous avons 10 millions de moins de 25 ans de plus qu’en Allemagne qui ont besoin d’un euro faible pour stimuler la croissance, détaille un ministre compagnon de route de Bartolone. En Allemagne, ils ont 10 millions de plus de 65 ans de plus que nous qui ont besoin d’un euro fort et de taux d’intérêt élevés pour leur épargne. On ne peut pas faire objectifs plus contradictoires. C’est pour cela que l’euro sera défait, parce que, sinon, c’est l’Europe qui se défera ! » Les chiffres sont un peu approximatifs, mais le propos, lui, est sans ambiguïté.

Pure folie, rétorquent les défenseurs de l’euro : non seulement la bonne tenue de la devise a permis de passer la crise financière sans traumatisme monétaire, mais la fermeté de l’euro a également permis d’amortir la facture énergétique, responsable à elle seule des trois quarts du déficit extérieur français.

6. Est-elle obsédée par l’austérité ?

Patrick Artus, directeur de la recherche économique de Natixis

« L’austérité, dans la zone euro, ne marche pas : elle entraîne chute de l’activité, recul de l’investissement et destruction de capacités de production, difficultés pour réduire les déficits publics. Flash économie, Natixis, le 18 mars 2013. »

Le mot « austérité » cristallise les malentendus franco-allemands. Si vous parlez au ministre des Finances, Wolfgang Schäuble, francophile accompli, d’« Austerität », il fronce les sourcils et grommelle que le mot, qu’il a parfaitement compris, ne figure pas dans le dictionnaire allemand. Le grand argentier préfère parler de « politique budgétaire responsable » ou de « Konsoliedierung ».

Pour nos voisins, qui se sont serré la ceinture pendant la mise en œuvre des réformes Schröder, il ne s’agit pas de mener une politique malthusienne, mais de préserver les générations à venir en ne les plombant pas avec des monceaux de dettes. « La consolidation budgétaire est incontournable, précise Gabriel Felbermayr, économiste à l’Institut Ifo de Munich. Mais elle n’est pas suffisante, elle doit s’accompagner de réformes structurelles pour flexibiliser le marché du travail et baisser les coûts de production. » Ce que les Allemands ont fait au cours de la décennie précédente. En 2009, le Parlement allemand a adopté une loi – dite frein à la dette – interdisant le vote de budgets déficitaires. Cette règle a été inscrite dans la loi fondamentale (la Constitution). En 2010, le pays renouait avec la croissance… En mars dernier, le ministre des Finances annonçait un budget à l’équilibre dès 2015. Ces résultats sont bien la preuve, selon Berlin, que réduction des déficits et croissance peuvent faire bon ménage.

7. Les salaires dans le secteur des services sont-il trop bas?

Louis Gallois, commissaire général à l’Investissement

« S’il y a un domaine où l’Allemagne n’est pas un modèle, c’est celui des salaires dans le secteur des services. Ils ont été insupportablement comprimés« . Invité d’honneur des entretiens d’Altedia, le 17 janvier 2013.

L’ancien PDG d’EADS a toujours manipulé avec précaution les comparaisons des coûts salariaux entre la France et l’Allemagne, souvent avancés pour expliquer la dérive de la compétitivité française. D’abord, il n’a jamais noté de grandes différences entre les usines d’Airbus à Toulouse et à Hambourg (à l’exception du niveau des charges salariales pour les cadres). Surtout, estime-t-il, les évolutions très contrastées des salaires de part et d’autre du Rhin (+26% en Allemagne entre 2000 et 2012, pour + 47 % dans l’Hexagone) s’expliquent avant tout par une extrême détérioration des salaires dans le secteur des services.

De fait, alors que l’Allemagne figure constamment dans le trio de tête en Europe pour le coût de sa main-d’œuvre manufacturière, elle plonge quand on se limite au secteur tertiaire : l’heure travaillée revient en effet à 26,50 euros (chiffre 2009) outre-Rhin, au huitième rang en Europe, soit 6 euros de moins qu’en France. Et ce n’est qu’une moyenne. « Avec 7,5 millions d’emplois précaires comme en Allemagne, nous aurions la révolution en France », note Raymond Soubie, l’ex-conseiller social de Nicolas Sarkozy. Mais il y a un dogme outre-Rhin : mieux vaut avoir un emploi mal payé que pointer au chômage.

8. Sa compétitivité est-elle tenable à long terme ?

Christine Lagarde, directrice générale du Fonds monétaire international

« Il faut une meilleure convergence des compétitivités. L’excédent allemand pourrait ne pas être soutenable sur le long terme ». Financial Times, le 15 mars 2010.

L’interview de l’ancienne ministre française de l’Economie, des Finances et de l’Industrie a provoqué un imbroglio diplomatique. Accréditant l’idée que la machine à exporter allemande prospère sur le dos du reste de l’Europe. Nos voisins se sont serré la ceinture pour faire baisser leur coût du travail, tout en poussant leurs partenaires endettés à la dépense. Pour preuve, ces sous-marins vendus à la Grèce en plein marasme économique…

Le ministère des Affaires étrangères allemand a aussitôt mis en place un contre-feu. Un document confidentiel envoyé dans toutes les ambassades du Vieux Continent, avec des éléments de langage pour défendre le Made in Germany. Expliquant que la compétitivité allemande n’a pas été décrétée par l’Etat, mais résulte de l’inventivité des entreprises. Que le pays dispose d’un réseau de PME très dynamiques qui, comme les grandes entreprises, prennent des risques à l’international depuis des décennies. Siemens n’est-il pas présent en Chine depuis 140 ans ? Le patronat, de son côté, a fait valoir que les produits allemands se vendaient pour leur qualité, et pas seulement leur prix.

Depuis 2010 et la déclaration de Christine Lagarde, la situation a évolué. Le pouvoir d’achat et les importations allemandes se sont envolés. Rien qu’en 2011, les salaires ont progressé de 3,4 %. Côté exportations, l’Allemagne s’est émancipée de l’Union européenne. En 2007, 35,4 % de ses ventes se faisaient en dehors du Vieux Continent ; en 2013, la part est montée à 43 %.

9. Sa politique énergétique est-elle vraiment écologique ?

Delphine Batho, député des Deux-Sèvres, ancienne ministre du Développement durable et de l’Energie

« Réduire la part du nucléaire pour avoir recours au gaz ou au charbon ne va pas dans le sens de l’histoire ». Libération, 1er avril 2013.

Au temps du chancelier social-démocrate Schröder, il avait été décidé un abandon progressif du nucléaire. Pourtant, c’est la chancelière conservatrice qui a déclaré le coup d’arrêt à l’atome. Au lendemain de l’accident nucléaire de Fukushima, au Japon, Angela Merkel décrétait l’Energiewende (le tournant énergétique). D’ici à 2022, toutes les centrales nucléaires seront fermées.

Mais en attendant que les énergies renouvelables prennent le relais, c’est le charbon, l’or noir de la Ruhr, qui reprend du service. Des villages entiers sont rasés en Rhénanie-du-Nord-Westphalie pour laisser la place aux excavatrices géantes. Et il y a, tout aussi abondant et peu cher, le lignite, notamment dans la partie est du pays. Or le premier et plus encore le second sont extrêmement polluants. D’où la colère des écologistes allemands, qui condamnent autant les conservateurs que les sociaux-démocrates, d’accord sur le choix énergétique.

L’Allemagne a choisi de donner la préférence à la sortie du nucléaire plutôt qu’à la réduction des émissions de gaz à effet de serre. Début juillet 2011, au Parlement européen, l’Allemagne a refusé de s’engager à une réduction supplémentaire des émissions de CO2 .

10. Ses citoyens sont-ils tellement à plaindre? 

Jean-Luc Mélenchon, coprésident du Parti de gauche

« Personne n’a envie d’être allemand. Ils sont plus pauvres que la moyenne, ils meurent plus tôt que les autres« . France Inter, le 10 juin 2013.

Le leader du Front de gauche est un grand pourfendeur du modèle allemand. C’est vrai, on vit, en moyenne, un peu moins longtemps en Allemagne qu’en France ou en Espagne. A 65 ans, l’espérance de vie moyenne au sein de l’Union européenne atteint 83 ans pour les hommes et 86,4 ans pour les femmes. Outre-Rhin, c’est six mois de moins pour les hommes et neuf mois de moins pour les femmes. Mais le vrai écart tient à l’espérance de vie en bonne santé. Les Allemandes doivent se contenter de 58,7 années, contre 63,6 en France.

Cela dit, pour ce qui est de la pauvreté des Allemands, le meilleur indice pour mesurer les inégalités entre les pays est le Gini : sur une échelle qui va de 0 à 100, l’Allemagne affichait en 2011 un coefficient de 29. Les inégalités de revenus y sont donc moins marquées qu’en France (30,8), en Espagne (34) ou au Royaume-Uni (33).

11. Ses petites entreprises sont-elles si rentables ?

Karine Berger, députée PS des Hautes-Alpes

« Nos entreprises françaises sont plus petites, moins nombreuses, moins connues… mais plus rentables que les allemandes ». La France contre-attaque, éditions Odile Jacob, septembre 2013.

Voilà un constat qui va faire jaser. Car, c’est bien connu – en tout cas le Medef le martèle –, la rentabilité des entreprises françaises se dégrade : leur marge (excédent brut d’exploitation/valeur ajoutée) n’en finit pas de chuter, de 31,7 % en 2006 à 28,4 % en 2012, quand celle des allemandes caracole à plus de 41 %. Et selon un sondage OpinionWay, les chefs d’entreprise français envient le sort de leurs voisins (voir graphique).

« C’est un mythe qu’il faut casser », assure pourtant Karine Berger, la députée PS des Hautes-Alpes. Elle appuie sa démonstration sur la rentabilité non des opérations, mais des capitaux investis, qui est la mesure reine du système capitaliste. Depuis dix ans, celle-ci a été constamment plus élevée en France qu’en Allemagne. Et même si l’avance de 3 points constatée en 2002 s’est réduite à 1 (petit) point en 2011, les entreprises françaises gardent un léger avantage. Il est même de 2 points pour les PME.

12. N’a-t-elle aucun atout pour séduire les touristes?

Nicolas Sarkozy, ancien président de la République

« Vous me voyez prenant des vacances en Allemagne ? » Le Nouvel Observateur, début 2007.

Nicolas Sarkozy véhicule un cliché sur le manque d’attrait de l’Allemagne. Pourtant, plus de 30 millions d’étrangers, dont 10% de Français, ont séjourné en Allemagne en 2012. Et avec 10,8 millions de visiteurs en 2012 – son record historique –, Berlin est désormais la troisième ville la plus visitée d’Europe. L’Allemagne est aussi le deuxième pays dans le monde pour le nombre de salons et de congrès : 577, contre 759 aux Etats-Unis. Lors de leurs séjours outre-Rhin, les touristes étrangers ont dépensé près de 36,6 milliards, soit plus de 1 200 euros par personne. En France, pays le plus visité du monde, la contribution moyenne des touristes étrangers au PIB ne dépasse pas 650 euros… La raison de cet autre miracle allemand ? Les étrangers restent en moyenne 2,2 nuits Outre-Rhin, contre 0,8 nuit chez nous.


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