Analyse et Stratégie : Bank of America s’interroge : les actions Tesla, Netflix ou Amazon n’ont-elles pas déjà assez monté en Bourse ?

Il y a une semaine, Tesla faisait – brièvement – une entrée fracassante dans le Top 15 des capitalisations mondiales. La frénésie entourant le constructeur de voitures électriques l’a envoyé, lundi 13 juillet, vers de nouveaux sommets boursiers. Au moment, où ses actions faisaient une poussée à presque 1.795 dollars, Tesla valait 330 milliards de dollars (pratiquement 300 milliards d’euros), soit autant que LVMH et Total réunis, et autant que Nestlé, 13e au classement des plus grosses capitalisations mondiales.

Tesla est une valeur dite de croissance, à l’instar de toutes les actions des entreprises de la « tech ». Comme pour les Gafam (Google, Apple, Facebook, Amazon et Microsoft), Netflix, Zoom, Nvidia, Paypal ou pour les géants chinois Alibaba et Tencent, les investisseurs sont prêts à payer cher pour ces entreprises dans l’air du temps, pour qui le potentiel de progression des ventes est jugé énorme, crise ou pas crise. Même quand l’économie est en quarantaine, elles voient leur chiffre d’affaires augmenter.

Le pari des bonnes surprises

Ces entreprises sont des perles rares dans un monde en panne de croissance, qui manque de visibilité, si bien que leurs actions sont prises d’assaut par les boursiers. Toutes sont à des sommets. Malgré quelques dégagements bénéficiaires ces derniers jours, Zoom gagne 280% depuis le début de l’année, soit un peu plus que Tesla (+260%), Nvidia grimpe de 75%. Voilà pour celles qui figurent parmi les meilleures performances de l’année. « Ces actions défient la gravité », constate Oliver Jones, économiste de marché chez Capital Economics à Londres. La capitalisation boursière cumulée des Gafam « a augmenté d’environ 16% depuis la mi-février et le début de la crise [soit d’environ 1.100 milliards de dollars ou 1.000 milliards d’euros], tandis que le reste du S&P 500 a chuté d’environ 10%, et que les actions des petites moyennes entreprises ont connu un sort pire encore. »

A ces valeurs de croissance, les gérants opposent les entreprises dites « value », très dépendantes de la bonne santé de l’économie, et dont le prix en Bourse est, selon eux, sous-estimé par les marchés. Typiquement, les banques, les constructeurs automobiles ou les entreprises pétrolières font partie de cette catégorie. Ce sont elles qui ont le plus souffert de la crise sanitaire. Sur le Cac 40, les actions Société Générale chutent de 50% depuis le début de l’année (seul le gérant de centres commerciaux Unibail-Rodamco-Westfield fait pire). A Wall Street, sur le Dow Jones, Exxon Mobil est perdant de près de 40% tandis que JPMorgan, la plus grosse banque cotée au monde, est valorisée 30% de moins que ce qu’elle était à la toute fin décembre.

La semaine dernière, les banques ont ouvert le bal des publications trimestrielles d’entreprises aux Etats-Unis, l’occasion pour les investisseurs de revenir tactiquement sur les valeurs « value », ne serait-ce que pour miser sur quelques bonnes surprises. Ceux qui se sont placés sur JPMorgan avant la publication, mardi 14 juillet, des comptes du deuxième trimestre, n’ont pas été déçus. Si le bénéfice net de la plus grosse banque cotée au monde a été divisé par deux à cause du coronavirus et de la mise en quarantaine de l’économie, sa division de banque d’investissement a, elle, profité de la crise. Les revenus de trading obligataire ont doublé par rapport au deuxième trimestre 2019, tandis que ceux issus du trading sur actions ont progressé de 30%, les investisseurs ayant notamment acheté à JPMorgan des produits de couverture, sortes d’assurance contre la chute de la Bourse et les poussées de la volatilité. Les actions de la banque ont pris 2% la semaine dernière, après avoir déjà gagné près de 4% la semaine précédente.

« 1 dollar investi en 1926 = 13.447 dollars »

Contrairement aux valeurs de la « tech », pour lesquelles les attentes des boursiers sont très élevées (il n’y a qu’à voir Netflix qui a plongé de 6,5% vendredi parce que le géant du streaming prévoit deux fois moins d’abonnés au troisième trimestre que ce que la Bourse attendait), les anticipations pour les entreprises « value » laissent de la place aux coups de théâtre. Halliburton, qui fournit des services à l’industrie pétrolière, est aujourd’hui en hausse de 7% à Wall Street, alors que la société a, contre toute attente, enregistré un bénéfice au deuxième trimestre. Sont encore attendues cette semaine, pour les valeurs « value » du S&P 500, les copies du gérant d’entrepôts logistiques Prologis, du propriétaire de casinos Las Vegas Sands ou des compagnies aériennes United Airlines et Air Alaska. Et du côté des entreprises de croissance, les investisseurs attentent les résultats de Twitter, Microsoft, Amazon ou encore de Tesla, dont le cours a été multiplié par six en un an, par dix en deux ans et par cent en dix ans.

« Au cours du siècle dernier, les valeurs ‘value’ ont fait mieux que celles de croissance », remarquaient récemment les stratégistes de Bank of America Securities. « 1 dollar investi dans des actions de croissance en 1926 = 6.267 dollars aujourd’hui. 1 dollar investi dans des actions de valeur = 13.447 dollars aujourd’hui. » Mais cette surperformance, « s’est manifestement arrêtée en 2007. […] L’investissement ‘value’ s’est brisé en 2007 et n’a pas repris. »  L’équipe de recherche de la banque américaine constate que, depuis 2007, les stratégies ‘value’ ont sous-performé celle de croissance de près de 8 points. « La surperformance [de ces dernières] a atteint au premier semestre de cette année des records : l’écart (26 points) est plus élevé encore qu’en 1999, avant l’éclatement de la bulle Internet. »

Protection contre un démantèlement

Pour Bank of America Securities, la « value » a les moyens de faire un « comeback ». Ces actions ne sont pas chères comparativement aux fondamentaux : leur prix a chuté plus lourdement que n’ont été abaissées les prévisions de bénéfices. Les stratégistes de la banque expliquent que lorsque la croissance économique se fait rare, les investisseurs sont prêts à payer cher pour des entreprises qui voient leur chiffre d’affaires progresser. Mais « à mesure que la croissance revient, les investisseurs deviennent plus regardants sur le prix. » La reprise devrait profiter à la gestion « value », mais attention à ne pas acheter « trop tôt » ! L’économie touche « en ce moment » son point bas. Les valeurs « value » sont « profondément négligées » tandis que les fonds investis dans les valeurs de croissance suivent une tendance « paraboliques ».

L’un des gros risques qui pèse sur les Gafam est celui d’un démantèlement, pour lutter contre la ploutocratie. Et dans cette perspective – de plus en plus probable, à mesure qu’Apple, Microsoft ou Amazon grossissent – l’investissement dans la valeurs « value » serait, d’après Bank of America Securities, une façon de se protéger contre la chute à attendre de la Bourse si jamais le gouvernement vener à durcir sa réglementation anti-trust. « Au cours de la dernière décennie, les géants de la technologie se sont assurés une position dominante sur les marchés de la publicité, de la recherche en ligne, des médias sociaux, des systèmes d’exploitation, des logiciels de bureautique ou de l’informatique dématérialisé, qui sont vitaux dans l’économie moderne, s’inquiète Oliver Jones, économiste chez Capital Economics. Cela les a rendus impossible à déloger. Cela leur a également permis d’accroître leurs bénéfices de manière constante, et ce bien plus rapidement que l’économie dans son ensemble. »

Cela dit, si la gestion ESG continue à se développer au train actuel, les valeurs de la « tech » ont encore de beaux jours devant elles vu que les entreprises de ce secteur sont aussi celles qui, selon Bank of America Securities, ont les meilleures notes au classement des entreprises les plus socialement responsables.


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