Analyse et Stratégie : Comment, malgré un mauvais pari, la Bourse peut-elle gagner plus de 8% en quatre jours ?

Ballotage, contestation, comptage, recomptage… « Même si les élections américaines se sont déroulées jusqu’à présent selon un scénario proche du cauchemar de chacun, les marchés financiers ont applaudi le vote mercredi », constate, un peu interloqué, Louis Gave, à la tête du cabinet d’études Gavekal Research, basé à Hong Kong.

Mardi encore, juste avant l’ouverture des bureaux de vote, il y avait un consensus chez les investisseurs (banques, assurances, sociétés de gestion…) pour dire que le pire qu’il pouvait arriver, c’était d’avoir un pouvoir divisé (la Maison-Blanche d’une couleur et le Congrès d’une autre), « une élection longue et interminable (check) décidée par des votes par correspondance (check), dont la légitimité serait remise en cause par l’un des candidats (check), le résultat final étant décidé par les tribunaux (check le plus probable). » Le quinté est là, et pourtant les Bourses sont à la fête. A Paris, le Cac 40 gagne plus de 8% en quatre jours. Parallèlement, l’indice Vix de volatilité implicite sur le S&P 500, plus connu sous le nom de l’« indice de la peur » a chuté de 30%, incluant un repli de 16% ce jeudi après déjà une baisse de 10% hier. La Bourse est très zen, remarque Stephen Innes, stratégiste pour le courtier Axi, pour qui les marchés ont eu quatre ans pour s’habituer à tout le tapage habituel que fait Donald Trump.

« Le levier monétaire va suppléer »

Faute d’une « vague bleue », les investisseurs prennent le parti de voir la vie en rose. Le prochain président des Etats-Unis sera, très probablement, Joe Biden, du camp politique de ceux qui ont promis un nouveau plan de relance budgétaire massif pour soutenir l’économie – la meilleure partie du programme, selon la Bourse. Or, avec un Sénat qui, selon toute vraisemblance, restera républicain, les espoirs des démocrates de faire voter un paquet de mesures à plus de 2.000 milliards de dollars sont tombés à l’eau, les sénateurs républicains du Sénat, emmenés par Mitch McConnell, ayant à cœur de contenir la dette, sans pour autant être opposés à un plan de relance plus chiche. Qu’à cela ne tienne ! Ce que l’Etat fédéral ne dépensera pas, la Réserve fédérale, la banque centrale américaine, y palliera, voilà le nouveau crédo des investisseurs. « Les marchés ont commencé à évaluer l’action de la Fed en l’absence de mesures fiscales supplémentaires », explique, Jim Reid, stratégiste chez Deutsche Bank, à Londres. « Les actions comme les obligations prennent conscience que la Fed, bien contre son gré, va être poussée à stimuler encore plus. La perspective d’encore plus de liquidités, c’est tout ce qui compte pour les marchés », renchérit Albert Edwards de chez Société Générale. Dans la même banque, Kit Juckes, à la tête de la stratégie sur devises, note que « l’incapacité » des démocrates à remporter le Sénat « met juste encore plus l’accent sur le meilleur ami du marché, Jay Powell [le président de la Fed]. »

Les taux baissent (les rendements des taux obligataires à dix ans retombent à 0,72%), le dollar est sous pression (l’euro repasse au-dessus des 1,18 dollar), les actions montent… « Typiquement le schéma de marchés qui parient sur une action de la Réserve fédérale, explique Alexandre Baradez, stratégiste chez le courtier IG. Mais pourquoi diable la Fed se précipiterait-elle alors que la Bourse se porte bien, même le ‘high yield’, et que la Banque centrale européenne prend le luxe d’attendre décembre pour agir alors que la zone euro est en plus grande difficulté à cause de la crise sanitaire, des reconfinements », s’interroge-t-il. Quoi qu’il en soit, pour le moment, « la Bourse fait le pari agressif que le levier monétaire va devoir suppléer la relance budgétaire. »

« L’augmentation d’impôts écartée »

La Fed ajoutera une rallonge au montant que les sénateurs voudront bien voter, pensent les investisseurs. Parce qu’il y aura bien de nouveaux stimuli fiscaux. Lee Hardman, analyste chez MUFG Bank, note qu’« il y a eu un peu d’éclairage hier sur ce front après que Mitch McConnell a déclaré que sa priorité absolue rest[ait] l’adoption d’un nouveau projet de loi de relance économique avant la fin de cette année, qui pourrait inclure des aides aux États et aux localités [un grand point de discorde jusque-là, les républicains répugnant à fournir des fonds aux régions démocrates qui, parce qu’elles ont opté pour le confinement, en ont le plus besoin]. »

Les investisseurs se sont également « ralliés à l’idée qu’un Sénat républicain empêcherait les hausses d’impôts et un surplus de réglementation [notamment en ce qui concerne la hausse des prix des médicaments], ce qui compenserait la probabilité réduite d’une relance majeure à court terme », constate Jim Reid, chez Deutsche Bank. Louis Gave considère, lui aussi, que « les hausses d’impôts sont désormais beaucoup moins probables. Les investisseurs, assis sur de grosses plus-values, auraient pu être tentés de vendre leurs actions avant l’augmentation prévue de l’impôt sur les plus-values. Avec l’augmentation écartée, la tentation de vendre s’est estompée. »

Ce qu’il se passe en Bourse en ce moment est « extraordinaire », résume Jim Reid, et rappelle finalement l’incroyable volte-face de 2016 « quand on craignait une victoire de Trump et quand, quelques minutes après son allocution, les marchés d’actions ont soudainement rebondi pour jouer les baisses d’impôts et la déréglementation. » Cela ne veut-il pas dire que, au bout du compte, « peu importe qui gagne, le marché monte toujours après coup ? » Bankim Chadha, qui dirige l’équipe de Deutsche Bank chargée des actions américaines, a graphiquement démontré que, peu importe les résultats d’élections présidentielles américaines  serrées, l’indice S&P 500 de la Bourse de New York les accueillait positivement.

Bankim Chadha, chez Deutsche Bank, a compilé les données historiques du S&P 500 pour démontrer que, peu importe les résultats des élections présidentielles américaines serrées, l'indice grimpe globalement toujours après coup.

Bankim Chadha, chez Deutsche Bank, a compilé les données historiques du S&P 500 pour démontrer que, peu importe les résultats des élections présidentielles américaines serrées, l'indice grimpe globalement toujours après coup.

Bankim Chadha, chez Deutsche Bank, a compilé les données historiques du S&P 500 pour démontrer que, peu importe les résultats des élections présidentielles américaines serrées, l’indice grimpe globalement toujours après coup.

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