Argentine / Russie : vers l’achat de denrées agricoles en monnaie nationale ?

Effet boomerang de la politique menée actuellement par les Etats-Unis en vue de sanctionner l’action de la Russie en Ukraine. Le sacro-saint Dieu dollar pourrait en pâtir …

Au terme d’entretiens entre Moscou et Buenos-Aires, le ministère russe du Développement économique a annoncé jeudi que l’Argentine avait proposé à la Russie de passer aux échanges commerciaux en monnaies nationales. De quoi provoquer l’ire de l’oncle Sam …

Opération qui permettrait à Moscou de contourner les sanctions occidentales, tout en offrant l’opportunité à Buenos-Aires de trouver de nouveaux débouchés en dehors des Etats-Unis, lui permettant ainsi de s’affranchir quelque peu de la pression exercée sur elle par les fonds vautours américains, sur fonds de crise financière.

« Les membres de la commission intergouvernementale russo-argentine pour la coopération économique, commerciale, scientifique et technique se sont penchés sur l’augmentation des livraisons de produits agricoles argentins à la Russie. L’Argentine a proposé de passer aux échanges commerciaux en monnaies nationales », a ainsi indiqué le ministère dans un communiqué.

A noter que les entretiens – qui se sont tenus à Moscou – ont réuni Alexeï Likhatchev, vice-ministre russe du Développement économique, Carlos Bianco, vice-ministre argentin des Affaires étrangères et coprésident de la commission russo-argentine pour la coopération économique, commerciale, scientifique et technique, et Javier Rodriguez, vice-ministre argentin de l’Agriculture.

Selon le communiqué, les discussions ont porté plus globalement sur la coopération d’investissement, la réalisation de projets conjoints dans le secteur énergétique, y compris le nucléaire civil, l’agroalimentaire, les constructions mécaniques, les transports et les nanotechnologies.

Les deux pays ont par ailleurs convenu d’adopter un Plan d’action appelé à promouvoir la coopération économique et commerciale russo-argentine à court terme.

Mardi dernier, Sergueï Dankvert, directeur du Service fédéral russe de contrôle vétérinaire et phytosanitaire (Rosselkhoznadzor), a annoncé mardi que la Russie comptait porter les échanges commerciaux avec l’Argentine  à 3 milliards de dollars en 2015.

A noter que cette rencontre intervient alors même que le responsable de l’ambassade des Etats-Unis à Buenos Aires vient d’être convoqué mardi par le ministre argentin des Affaires étrangères, et ce, après des déclarations sur le litige qui oppose Buenos Aires à des fonds « vautours » US.

Le ministère a mis en garde le diplomate qu’en cas de « nouvelle ingérence dans les affaires de l’Argentine, les mesures les plus sévères seraient prises » à son encontre.

Kevin Sullivan avait préalablement déclaré au journal Clarin qu’il « est important que l’Argentine sorte du défaut de paiement le plus tôt possible afin de pouvoir retrouver le chemin de la croissance et attirer les investissements dont elle a besoin », exhortant à demi-mots le pays à appliquer la décision de la justice américaine condamnant Buenos Aires à payer 1,4 milliard de dollars.

Rappelons que suite à la poursuite de l’Argentine devant la justice US opérée à la demande de fonds spéculatifs détenteurs d’environ 1% de la dette du pays, le juge Thomas Griesa a ordonné à Buenos Aires de rembourser les fonds « vautours » à 100% de la valeur des bons, alors que la quasi-totalité des créanciers ont consenti une remise de dette, ne touchant que 30% environ des titres.

Le 30 juillet dernier, les agences de notation ont classé l’Argentine en « défaut de paiement partiel » après le blocage par la justice américaine d’une échéance de dette de 539 millions de dollars, soit 400 millions d’euros, faute d’accord avec les fonds spéculatifs.

Ironie du sort ? Cette somme devait servir à payer les intérêts de la majorité des créanciers, lesquels ont accepté la restructuration de la dette argentine, en 2005 et 2010.

Précisons qu’après la crise économique de 2001 et le surendettement de l’Argentine ayant conduit à sa faillite, la plupart des créanciers privés du pays (93%) ont renoncé à environ 70% de leurs créances, l’objectif étant de permettre à la troisième économie latino-américaine de se redresser.
Il n’en demeure pas moins que 7% des détenteurs de bons de la dette argentine – et notamment des établissements financiers US … – ont quant à eux refusé la restructuration du passif. C’est ainsi que les fonds NML Capital et Aurelius Management ont obtenu devant la justice des Etats-Unis le paiement de 100% de leurs créances.

Rappelons qu’en mars dernier, Moody’s, la célèbre agence de notation financière avait abaissé d’un cran la note de la dette de l’Argentine, rétrogradant cette dernière de B3 à Caa1. Raisons invoquées : la baisse des réserves de change du pays assortie, selon elle, de mesures politiques « inadaptées ».

L’agence de notation s’inquiétait alors tout particulièrement du fait que le pays ne pouvant actuellement recourir au marché financier, s’est vu contraint de puiser dans ses réserves afin de contrer la chute du peso et rembourser sa dette.

Selon Moody’s, les réserves de l’Argentine auraient chuté de 52 milliards de dollars en 2011 à 27,5 milliards actuellement, les exportations de soja – pourtant importantes – ne permettant pas au pays de redresser la situation. Une situation due notamment à son déficit énergétique (8 milliards de dollars en 2013). Or, selon l’agence, Buenos Aires n’aura pas d’autre choix que de continuer à puiser dans ce capital en vue de rembourser les quelque « 20 milliards de dollars » qu’elle doit à ses créanciers entre 2014 et 2015.

Après avoir menée une politique interventionniste depuis une dizaine d’années, l’autorité monétaire argentine, la Banque centrale, laisse désormais le peso se déprécier, en une sorte « de traitement de choc » selon les termes mêmes de certains économistes. Référence à peine voilée à la stratégie du choc de l’école de Chicago et des Chicago Boys ? Allez savoir …

« Nous allons surveiller les réserves plus que tout », avait en tout état de cause ajouté Gabriel Torres, analyste de Moody’s . « Si l’Argentine trouve de nouvelles options de financement, quelles qu’elles soient – un appel au marché, une augmentation des prêts bilatéraux, une augmentation des flux de capitaux, quoi que ce soit qui leur facilite les choses – alors ce sera positif en terme de crédit » avait-t-il déclaré. Rappelons néanmoins que l’Argentine est privée d’accès au marché financier depuis 2001, après avoir fait défaut sur sa dette.

Face à une situation économique du pays pour le moins périlleuse, le Fonds Monétaire International a quant à lui récemment proposé son aide, et ce, même si les relations entre l’Argentine et le FMI sont loin d’être au beau fixe depuis la restructuration de la dette argentine survenue en 2001.

« L’économie de l’Argentine se détériore dangereusement » et le FMI serait « heureux » de l’aider, a ainsi déclaré son directeur adjoint, Zhu Min, le 24 janvier dernier. Rappelant toutefois que les deux parties n’avaient « pas de dialogue officiel depuis 2004″. A l’heure actuelle, l’Argentine préfère faire appel à d’autres créanciers, comme la Chine.

Mais désormais Moody’s enfonce le clou.   »L’Argentine pourrait par exemple accéder à un financement du FMI mais il faudrait qu’elle ait avec le FMI une relation complètement différente de celle qu’ils entretiennent aujourd’hui« , juge ainsi Gabriel Torres. Histoire de pousser le pays dans les « bras » du Fonds Monétaire ?

Reste que selon la présidente Cristina Fernandez de Kirchner, les intérêts des grandes institutions bancaires seraient à l’origine de la situation économique et financière actuelle de l’Argentine. Le Premier ministre Jorge Capitanich estimant pour sa part que la situation fait suite à une attaque de structures intéressées par la déstabilisation du pays.

En mars dernier, le ministre argentin de l’Economie Axel Kicillof avait quant à lui dénoncé une attaque spéculative, pointant du doigt la major pétrolière Shell, laquelle est un des principaux acteurs de l’hydrocarbure dans le pays. « Il y a eu une demande d’achat à 3,5 millions de dollars à 8,40 pesos » émanant de Shell, alors que l’entreprise aurait « pu acheter à 7,20 pesos », avait-t-il ainsi déclaré.
Intéressant à noter alors que l’Argentine tente d’attirer des investisseurs étrangers en vue d’exploiter le gigantesque gisement de gaz et pétrole de schiste de Vaca Muerta, lequel place le pays au 3e rang mondial en matière d’hydrocarbures non-conventionnels. L’objectif de certains lobbies peu scrupuleux pourrait être en effet de plomber de mettre l’économie du pays à genoux … pour arriver en sauveur.

Sources : AFP, L’Expansion, Reuters, La Voix de la Russie

Elisabeth Studer – 29 juin 2014 – www.leblogfinance.com

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