Exhortations et mises en garde : Le Maire sur une ligne de crête diplomatique

De la menace de « pillages » chinois au manque d’investissements de l’Allemagne, Bruno Le Maire a multiplié ces derniers jours les offensives à l’égard des partenaires économiques de la France, au risque de brusquer ses interlocuteurs et de créer des mésententes.

Des propos musclés pour un sujet sensible : lors d’un voyage officiel en Chine aux côtés d’Emmanuel Macron, le ministre de l’Economie a mis en cause mardi, face à des journalistes, l’attitude de certains investisseurs chinois, accusés de ne connaître « que le rapport de force ».

« On accepte des investissements sur le long terme » mais « pas des investissements de pillage » a-t-il dit. Un rapport équilibré, « c’est avoir accès au marché, ne pas se faire piller nos technologies et pouvoir fixer des limites quand ils viennent en France », a insisté l’ancien conseiller de Dominique de Villepin au Quai d’Orsay.

Mercredi, c’est à l’Allemagne que le ministre s’est adressé, dans un message à l’allure de sermon. « Nous attendons » que Berlin mène « une politique salariale plus offensive » et « investisse plus », a déclaré le ministre à l’hebdomadaire allemand Die Zeit.

La France se plaint de longue date que son partenaire, qui accumule les excédents budgétaires, ne soutienne pas davantage la croissance européenne. Mais ces déclarations interviennent dans un contexte chargé en Allemagne, où la chancelière Angela Merkel et les sociaux-démocrates négocient la formation d’un gouvernement.

Stratégie avalisée par l’Elysée ou dérapage incontrôlé ? Difficile, dans le cas de l’interview accordée à Die Zeit, d’envisager un « mot de trop », les entretiens accordés par les ministres étant relus par l’Elysée ou Matignon.

Pour les propos tenus en Chine, les choses sont en revanche moins claires. « Il était nécessaire de ne pas avoir une approche angélique. Tenir un tel discours était légitime », juge Pascal Boniface, directeur de l’Institut de relations internationales et stratégiques (Iris).

Plusieurs sources contactées par l’AFP évoquent pourtant un recadrage de l’Elysée, en raison de paroles jugées trop peu diplomatiques. Bruno Le Maire, interrogé en marge de la rencontre de Pékin, a dit de son côté « assumer » ses propos.

« comme un ovni »

Taxation des Gafa, stratégie économique américaine, commerce chinois… Ce n’est pas la première fois, de fait, que le ministre utilise un langage offensif pour justifier les positions françaises.

« Derrière l’immense poésie des routes de la soie, il y a une volonté impériale chinoise qui se manifeste. Derrière l’extension extraterritoriale américaine, il y a une attaque directe contre les intérêts français (…) Ne soyons pas naïfs », avait-il assené en août.

Un discours à l’image du personnage, salué pour son énergie mais aussi critiqué pour son arrogance. « Il parle haut et fort, il fait de la politique », observe une source l’ayant suivi sur des sommets internationaux, qui le juge « dans l’instinct et dans l’instant ».

« Il en fait parfois trop. Il devrait jouer un peu plus collectif », ajoute un habitué des relations diplomatiques. « Un ministre des Finances a parfois un devoir de discrétion, surtout quand son président est très impliqué ».

Interrogé par l’AFP lors d’un déplacement en Chine, l’ex-bras droit de Dominique de Villepin, en première ligne lorsque Paris s’était opposée à Washington sur l’Irak, avait confié fin novembre « adorer » les négociations diplomatiques, qualifiées d’exercice « physique » et « brutal ».

« Il faut comprendre où sont les lignes rouges, où ouvrir des portes de sorties », avait détaillé le locataire de Bercy, qui s’est battu pour obtenir le poste des Finances en plus de l’Economie, afin de représenter la France lors de sommets internationaux.

Cette approche diplomatique peut cependant heurter. Cet automne, Bruno le Maire avait du faire amende honorable dans le dossier STX, en réalisant avoir froissé le gouvernement et l’opinion publique italiens en retardant l’acquisition des chantiers navals par le groupe Fincantieri.

En septembre, son offensive fiscale sur les Gafa, réalisée en dehors de procédures habituelles de l’Eurogroupe, avaient également suscité de l’agacement, notamment au Luxembourg et en Irlande. Sa proposition est arrivée sur la table « comme un ovni », souffle un diplomate européen.

« Il y a toujours le risque de froisser », juge de son côté Pascal Boniface. « Mais quand il y a des problèmes, dire les choses peut aider ».

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