Immobilier : pourquoi la France évite toujours le krach

Le marché immobilier n’a pas résisté au ralentissement économique et à la montée du chômage : tous ses voyants (prix, volumes, permis de construire) sont au rouge. Les prix, d’abord : en moyenne, ils sont en baisse d’1,4% sur 2013, ce qui porte à 5% leur recul depuis 2011. Le phénomène a débuté en régions, puis s’est propagé l’an dernier à l’Ile-de-France, avant de toucher la capitale : désormais, Paris n’est plus le « lingot d’or de l’%.

« En réalité, il y a des endroits en France où les prix ont baissé de 25%, explique Sébastien de Lafond, PDG de MeilleursAgents. Car en période de crise, les écarts se creusent et les propriétaires d’un logement situé en rez-de-chaussée dans une petite ville tranquille mettent du temps à comprendre que leur bien a perdu de 15 à 20% de sa valeur en quelques mois… » 

Pour Valérie Boos, de l’agence Century 21 Etoile à Strasbourg, « les plus réfractaires sont les vendeurs qui ont acheté il y a deux ou trois ans et qui se rendent compte qu’ils ne feront pas de . Du coup, les délais de vente s’allongent. « Ils ont progressé de 10 jours dans le réseau, pour atteindre 84 jours », reconnaît Fabrice Abraham, directeur général de Guy Hoquet.

Et cela ne va pas s’arranger, si l’on en croit l’indicateur de tension immobilière : en 2010, sur l’ensemble du pays, il y avait 3 acheteurs en phase de recherche active pour 1 vendeur; il n’y en a plus que 0,7 aujourd’hui. A Paris, c’est encore plus spectaculaire : les acheteurs actifs sont passés de 6 par vendeur en 2010 à 1,2 aujourd’hui. Autrement dit, la vente se fait toujours, mais les acheteurs ne se bousculent plus. La pression sur les prix est donc bien inférieure à celle d’il y a quatre ans. Quant à la Creuse et au Cantal, les acquéreurs y ont tout simplement disparu : il ne reste que 0,3 acheteur actif par vendeur.

35% de volume de ventes

Rien d’étonnant, dans ces conditions, à ce que les volumes des ventes stagnent : 723.000 ventes en 2013, une des pires années depuis quinze ans. A Nice, par exemple, le nombre de transactions a diminué d’environ 10% l’an dernier, et de 35% en deux ans. « Nous avons un moment frôlé le blocage du marché, relève David Ghnassia, responsable des ventes à Orpi Immobilière GTI. Car les vendeurs ne veulent pas revoir leur prix. » Pourquoi le feraient-ils? Dans les grandes villes, la demande, malgré un recul très net, est suffisante pour animer les ventes. Car si le nombre des transactions y est, grosso modo, équivalent à ce qu’il était il y a dix ans, le nombre des ménages a augmenté, lui, de… 4 millions.

La construction de logements neufs, qui aurait pu absorber l’essor démographique, est au plus bas : en deux ans, promoteurs et constructeurs de maisons individuelles ont vu leurs ventes passer de 250.000 à 150.000. Pour Christian Louis-Victor, président de l’Union des maisons françaises (UMF), « une grande partie des primo-accédants, qui constituent traditionnellement une large part de nos clients, ont renoncé à l’achat ». Même les HLM, le « moteur de la relance du logement », selon la ministre Cécile Duflot, sont en panne : ils n’ont lancé que 117.000 constructions, alors que la ministre en prévoyait 150.000 par an. L’objectif affiché par le candidat Hollande des 500.000 constructions annuelles peut être rangé sur l’étagère de promesses non tenues.

Les prix baissent, mais la demande reste forte, explique Olivier Eluère, au Crédit agricole : « Et les prix, qui étaient surévalués de 30% en 2011, ne le sont plus, après plus de deux ans de baisse, que de 15%. Ce n’est plus assez pour provoquer l’explosion d’une bulle. » Les acheteurs qui tablaient sur un scénario à l’espagnole et l’éclatement de la « bulle immobilière française » en seront pour leur frais. Les prix des logements ont certes augmenté en France de 120% entre 1998 et 2008, et n’ont pas suivi la progression des revenus (+35%). Mais la France ne connaîtra pas le sort de l’Italie, de la Grande-Bretagne, de l’Espagne et des Etats-Unis, où les prix ont considérablement chuté depuis 2009.

A moins que les conditions des crédits ne se durcissent. Depuis 2009, tous les acheteurs ont profité de taux en baisse. En janvier, les grilles des banques ont encore diminué de 0,2 à 0,3 point. Mais il suffirait d’une hausse de 1 point pour faire plonger les ventes… et les prix. « Il faudrait un recul de prix de 10% pour compenser le surcoût, pour un emprunteur, d’une hausse de 1 point du taux de son crédit », calcule Alain Dinin, PDG de Nexity. Un risque faible et qui a quasiment disparu depuis que la Banque centrale européenne a décidé de maintenir ses taux bas pour protéger sa monnaie. Les réseaux continueront donc à prêter « et à vouloir le faire », confirme Jérôme Robin, PDG de Vousfinancer.com, même s’ils sont plus vigilants sur la solvabilité de leurs clients.

+60% de coût du foncier

Pas plus d’espoir de grande braderie dans le neuf… Les ventes y sont pourtant en net recul. Car devant la disparition des acquéreurs, promoteurs et constructeurs ont trouvé la parade : moins construire. En janvier, les permis étaient en retrait de 29% par rapport à ceux de début 2013. Deux éléments poussent les professionnels à être particulièrement prudents. D’abord, le souvenir de la crise de 2009. A l’époque, ils avaient accumulé des stocks d’invendus qu’ils avaient dû brader. Ensuite, leurs prix de revient, qui augmentent sans cesse et les poussent à monter les prix au-delà du raisonnable.

Depuis 2005, les coûts du foncier, de la construction et des honoraires techniques ont crû de 30% en Ile-de-France et de… 60% dans le reste de la France. « Si je pouvais fabriquer à 2.000 euros le m², j’aurais trois fois plus de ventes, car la majorité des clients ont les moyens d’acheter entre 2.500 et 3.000 euros le m², constate Bruno Corinti, directeur général délégué de Nexity. Le problème, c’est que 2.000 euros, c’est notre prix de revient du bâtiment. Il faut ensuite y ajouter celui du foncier, qui atteint des prix ahurissants! » 

Un groupe de professionnels réunis par la ministre du Logement, Cécile Duflot, vient d’ailleurs de remettre une quinzaine de propositions pour réduire les prix de construction et ceux du foncier. Si ces propositions étaient appliquées, elles permettraient de faire baisser les prix de vente d’au moins 20%, a expliqué à Challenges un participant à ce groupe, baptisé « Objectif 500.000 logements ». Pour Emmanuel Launiau, directeur général d’Ogic, ce serait un ballon d’oxygène: « Je peux vous assurer que nous n’avons aucun intérêt à voir nos prix monter au-delà des capacités financières de nos clients! »

50% de « faux » stocks

Si les promoteurs ne bradent rien, c’est parce qu’ils n’ont rien à brader. C’est ce que montre l’évolution des « stocks » de logements neufs disponibles, qui se stabilisent et commencent même à redescendre. Les « stocks », d’ailleurs, n’en sont pas tout à fait : ces logements font partie de « programmes proposés à la vente » mais non construits, et correspondent à la partie (40 à 50%) des immeubles qui sont précommercialisés avant tout premier coup de pioche.

« La part des immeubles déjà construits et en vente ne dépasse pas 1% chez les dix premiers promoteurs », estime Jean-Philippe Bourgade, PDG de Bouwfonds Marignan. Cela explique pourquoi il n’y a pas en France d’immeubles entiers invendus, comme en Espagne. Cela ne veut pas dire qu’il est impossible de négocier un rabais. Un promoteur reconnaît : « Nous faisons les efforts nécessaires dans un pays en crise : cuisine équipée, prise en charge des petits aménagements, frais de notaire. Mais pas plus. » Et Guy Nafilyan, ancien PDG de Kaufman & Broad, d’ajouter : « Dans les zones tendues, vous pouvez espérer un rabais de 3 à 5%. Ailleurs, il n’y a pas d’offre, ou alors les prix ont déjà baissé de 10%, comme dans certaines villes de province telles que Limoges ou Perpignan. »

10% de négociation

Recul contrôlé dans le neuf, baisse en bon ordre dans l’ancien. Ne reste-t-il rien à « gratter »? Il est toujours possible de négocier. Dans les grandes métropoles, la marge de négociation reste serrée (autour de 5%), mais elle s’élargit en périphérie et peut atteindre, explique Roland Tripard, président de Seloger.com, jusqu’à 10%. Elle pourrait encore augmenter si le gouvernement mène à bien deux projets « explosifs ». Le plus attendu est la remise à plat de la taxe d’habitation, qui s’appuiera sur une réévaluation de la valeur locative d’un bien. Celle-ci sert de base de calcul à cette taxe qui représente, dans certaines communes, l’équivalent d’un mois de revenu des habitants. Or cette révision pourrait entraîner des variations du simple au double des taxes de certains logements, qui pèseront sur les prix.

Second projet du gouvernement : obliger les propriétaires à remettre leur logement aux normes énergétiques. Le président François Hollande a promis que 1 million de logements seraient modernisés par an. Or le rythme actuel est inférieur à 100.000 pour un parc existant de 31 millions d’habitations. Le chantier est donc gigantesque et pourrait se révéler ruineux pour les propriétaires. Cela bouleverserait la hiérarchie des prix, un peu comme l’a déjà fait l’application du diagnostic de performance énergétique. En deux ans, les prix des biens les plus énergétivores, ceux de la classe G, qui regroupe, pour l’essentiel, les biens construits avant les années 1980, ont en effet baissé de 15 à 25% par rapport à ceux des logements classés D, autrement dit ceux dont la consommation énergétique est dans la moyenne.


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