« Le Prix à payer », le documentaire qui pourfend l’évasion fiscale

Et si l’évasion fiscale conduisait à la « mort des démocraties »? C’est le postulat défendu par le réalisateur Harold Crooks dans son nouveau documentaire: « Le prix à payer » qui sort en salles mercredi 4 février. Dans ce film pédagogique à l’ambiance de fin du monde – les images d’orages et de chaos se mêlent à une musique angoissante – Harold Crooks s’attache à démontrer que l’évasion fiscale à grande échelle pratiquée par les firmes multinationales « creuse l’écart des revenus entre les privilégiés et le reste du monde, appauvrit les classes moyennes, et affaiblit les fondations de nos sociétés ».

L’un des points forts du documentaire repose sur le suivi des audiences – particulièrement savoureuses – du Parlement britannique en 2012 et du Congrès américain en 2013 qui ont révélé des évitements massifs d’impôts de la part de grandes entreprises internationales. Un cadre de chez Barclays Bank y est par exemple, particulièrement malmené par un député britannique le questionnant sur le nombre de filiales du groupe aux Iles Caïmans. « Je ne sais pas », répond l’intéressé. « 181 » lui assène froidement le député. Les audiences tournent au pugilat pour les dirigeants d’Amazon, Apple et de grandes banques internationales, qui apparaissent comme des boxeurs sonnés par les coups portés par leurs accusateurs. En tout, 75% des profits des multinationales sont réalisés dans les paradis fiscaux, indique le documentaire.

Thatcher, Reagan et la City

Ce dernier qui rappelle celui du journaliste Xavier Harel « Evasion fiscale, le hold-up du siècle », sorti en 2013, s’attache aussi à montrer en quoi l’Etat-providence s’est mué en « Etat-concurrence ». « En prélevant de moins en moins d’impôts, les Etats ont rompu le contrat social et laissé s’accumuler 10 à 15% du patrimoine financier mondial dans les paradis fiscaux« , déplore l’une des intervenantes. De façon pédagogique, Harold Crooks revient aussi sur « les méfaits » des réformes libérales engagées par Ronald Reagan et Margaret Thatcher dans les années 1980. Et donne la parole à l’auteur français du best-seller: « Le Capital au XXIe siècle », Thomas Piketty. L’économiste y soutient que la dérèglementation à l’œuvre aux États-Unis, en Grande-Bretagne puis dans d’autres pays, a abouti à une baisse des impôts et une hausse « colossale » des inégalités. « Le système financier a pris le pouvoir sur le politique » conclue-t-il.

« Le Prix à payer » plonge aussi dans les eaux troubles de la City. Le documentaire s’attarde sur le rôle clé qu’a eu la place financière londonienne dans la création de paradis fiscaux dans les centres financiers offshore à la fin de la Seconde guerre mondiale. Comme son emblème, le griffon, la City est décrite comme « démoniaque » et « maléfique ». Elle symbolise pour Harold Crooks les dérives d’un système où la durée moyenne de détention d’une action est passée entre 1940 et 2015 de 7 ans à 22 secondes. Le trading à haute fréquence (THF ou HFT) ou encore le rôle du sulfureux établissement financier Goldman Sachs ne sont pas non plus épargnés.

En abordant un sujet fortement traité ces derniers mois, « Le Prix à payer » prenait le risque de tomber dans le « déjà vu ». Il n’en est rien. L’approche pédagogique voulue par le réalisateur, renforcée par une mise en scène soignée, font de ce documentaire l’un des plus aboutis de ces dernières années.


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