Pourquoi le Qatar et ses milliards redeviennent fréquentables

Avec la tenue, les 9 et 10 décembre, du sommet annuel du Conseil de coopération des pays du Golfe, à Doha, le richissime Qatar revient sur le devant de la scène après quelques mois de purgatoire. Le petit émirat était tombé en disgrâce peu après l’abdication surprise, en juin 2013, de cheikh Hamad ibn Khalifa al Thani, au pouvoir depuis 1995, en faveur de son fils trentenaire, cheikh Tamim ibn Hamad al Thani. D’abord, auprès de ses grands voisins : l’Arabie saoudite, les Emirats arabes unis (EAU) et Bahreïn avaient rappelé leurs ambassadeurs pour protester contre le soutien apporté par le Qatar aux Frères musulmans et à des groupes islamistes proches de cette organisation. Une crise sans précédent depuis la création de l’organisation régionale, en 1981, s’en était suivie.

Ensuite, auprès du monde sportif, au sein duquel circulaient des rumeurs de corruption lors de l’attribution de la Coupe du monde de football 2022. Enfin, auprès de l’opinion occidentale, choquée par la révélation du décès de 400 ouvriers népalais en raison des conditions de travail déplorables sur les innombrables chantiers lancés en vue de cet événement sportif.

Signes de bonne volonté

Côté droits de l’homme, le nouvel émir a publié une « charte des droits des travailleurs » censée donner le cap aux employeurs de travailleurs immigrés, majoritairement en provenance d’Asie. « Il est même prévu qu’une nouvelle législation soit adoptée, indique Arnaud Depierrefeu, avocat associé du cabinet Simmons & Simmons, à Doha. Mais difficile de dire si c’est avant la fin de l’année, car le sujet est sensible et la visibilité faible. » Des signes de bonne volonté ont, en tout cas, été donnés à la communauté internationale. Quant aux autres pays du Golfe, ils ont levé leurs sanctions à la mi-novembre, après avoir vraisemblablement obtenu quelques concessions.

« Le Qatar vient de vivre une semaine faste, avec le retour des diplomates à Doha, la validation de la Coupe du monde par la commission d’éthique de la Fifa, et l’attribution des championnats d’athlétisme 2019 au Qatar », a souligné l’ambassadeur de France, Eric Chevallier, le 23 novembre, devant une délégation d’une quarantaine de dirigeants d’entreprise français du Medef International, conduite par Yves-Thibault de Silguy (Vinci). Parmi eux, quelques PME et des représentants de grands groupes, comme SNCF, RATP, Alstom, Thales, BNP Paribas ou Dassault Aviation – qui va ouvrir un bureau à Doha, en attendant l’annonce d’un contrat de 36 Rafale, dont il se dit qu’il est tout prêt à être signé.

Inconnue pétrolière

Les principales polémiques étant considérées comme éteintes, le ballet des visiteurs a repris dans l’ancienne cité des pêcheurs de perles, dont le plan quinquennal prévoit d’investir 200 milliards de dollars, soit autant que le montant des investissements réalisés à travers la planète par le fonds souverain Qatar Investment Authority (QIA). Les Anglo-Saxons parlent de « golden rush », les Français de « nouvel eldorado » : les grands projets n’ont, pour l’heure, pas été touchés par la baisse des prix du pétrole, tombés aux alentours de 70 dollars le baril. Mais ils pourraient l’être si le plancher des 60 dollars, prix nécessaire à l’équilibre du budget 2015, était enfoncé. « Nous avons besoin d’aller vite, et nous voulons des partenaires qui vont vite », martèle le PDG de Qatar Railways, Saad Ahmed Ibrahim al-Hassan al-Mohannadi devant son auditoire.

Constructions pharaoniques

Cet impératif n’échappe à personne. « Regardez ce chantier, 6.000 personnes y travaillent jour et nuit », pointe Yanick Garillon, directeur général de QDVC, filiale commune de Vinci et de Qatari Diar, la branche immobilière du fonds souverain. Du haut d’une tour de Doha, on jouit d’une vue plongeante sur les hommes et les machines qui s’activent autour de l’hôtel Sheraton, où doit se dérouler le sommet du Conseil de coopération des pays du Golfe. Le premier building construit, il y a trente ans, sur ce qui n’était alors qu’une plage.

L’émir Tamim ibn Hamad al Thani a voulu le rénover de fond en comble pour l’occasion, et réaménager tout son environnement : « Quatre niveaux de parking souterrain, un parc orné de six fontaines et une salle de conférences près de l’hôtel », énumère Yanick Garillon. Soit environ 300 millions de travaux. Et c’est loin d’être terminé. L’imposante salle des maquettes au siège de Qatari Diar permet de mieux comprendre ce qui se joue dans la péninsule désertique adossée à la vaste Arabie, et faisant face au non moins vaste territoire iranien. 

D’un côté, la représentation d’un quartier de Lusail, ville nouvelle en cours de construction, à une trentaine de kilomètres au nord de Doha. Dans l’émirat, dont la population a triplé en sept ans, elle doit permettre de loger 200.000 habitants de plus d’ici à 2018. Plus loin, le plan du futur complexe touristique Al-Houara, au Maroc, avec hôtel, golf, et villas sur la plage – de quoi faire rêver. Sont aussi exposés des projets – certainement plus politiques – de lotissements à Ramallah, en Palestine, ou d’immeubles à Sanaa (Yémen) et au Caire (Egypte). Dans la salle de conférences où se termine la visite, un film montre encore plus de projets tout autour de la planète, du Tadjikistan au Monténégro, en passant par Londres et Paris.

Terrain de jeu français

« Nous nous développons de façon considérable dans le logement au Royaume-Uni, explique à ses hôtes le PDG, Khaled Mohamed al-Sayed. Pourquoi pas en France ? Nous pourrions travailler avec certains d’entre vous dans des villes moyennes de 200.000 habitants. » Le fonds souverain du Qatar au secours du déficit de logements de l’Hexagone ? Une nouveauté.

Ces dernières années, les investissements en France de QIA, maison mère de Qatari Diar et Qatar Holding, ont fait des vagues. Lors du rachat du PSG, lors de la création de la chaîne de télé beIN Sports et, surtout, lors de l’annonce d’un fonds d’investissement du Qatar pour les banlieues, qui n’a jamais vu le jour. Il a été transformé en un fonds franco-qatarien plus politiquement correct, dont la CDC est actionnaire. Doté de 300 millions, ce fonds dénommé Future French Champions a pour vocation d’investir dans des PME françaises. Sa première opération pourrait être annoncée prochainement.          

Anne-Marie Rocco (envoyée spéciale à Doha)


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