Vente en ligne des médicaments – un modèle économiquement viable ?

medicUn long chemin a été parcouru depuis la mise en place de la vente en ligne des médicaments, faisant évoluer une pratique initialement libérale vers un encadrement juridique particulièrement contraignant. En effet, alors que l’arrêt DocMorris[1] de la Cour de justice des Communautés européennes se bornait à autoriser la vente des médicaments non soumis à prescription médicale obligatoire par internet sur le territoire de l’Union européenne, l’étau s’est peu à peu resserré à travers l’adoption de textes de plus en plus contraignants en droit interne, pour aboutir au cadre réglementaire actuel que l’on pourrait qualifier de rigide[2].

Si la finalité recherchée par le gouvernement à travers la mise en place de telles contraintes est noble – puisqu’il s’agit essentiellement de lutter contre la contrefaçon, encadrer l’automédication, et plus largement protéger le « consommateur » -, les restrictions réglementaires issues notamment des arrêtés du 28 novembre 2016[3] sont à déplorer, car elles rendent impossible toute forme d’industrialisation du processus de préparation des commandes passées en ligne[4], de sorte que le système demeure peu attractif[5]

Ainsi, le contexte réglementaire actuel est loin de refléter les avantages d’une approche « multi-canal »  qui permettrait aux pharmacies de développer leurs ventes, proposer des services innovants, et faire bénéficier les patients de certaines économies de coûts prédits par l’Autorité de la concurrence en 2012[6].

Mais… les pharmaciens résistent ! Au visa de l’article R. 5125-9 du Code de la santé publique (CSP) disposant que « Les locaux de l’officine forment un ensemble d’un seul tenant […]. Toutefois, des lieux de stockage peuvent se trouver à proximité immédiate », l’Agence régionale de santé (ARS) avait donné une interprétation restrictive de la notion de « proximité immédiate »[7] à l’égard d’un pharmacien. Face à un tel manque de flexibilité du cadre juridique et fort de  la position de l’Autorité de la concurrence donnée sur sa situation  dans un avis de 2016[8] – antérieur à l’adoption des bonnes pratiques de dispensation (BPD) -, le pharmacien avait en conséquence introduit un recours devant le Conseil d’Etat[9],  en vue d’obtenir l’annulation des arrêtés précités de novembre 2016[10].

Le raisonnement de l’ARS avait en effet été suivi par le gouvernement lors de l’adoption des BPD en application desquelles « la préparation des commandes liées au commerce électronique de médicaments, ne peut se faire qu’au sein de l’officine concernée, dans un espace adapté à cet effet ».

Arbitrant ce bras de fer entre le gouvernement, l’ARS, l’Autorité de la concurrence et les pharmaciens, le Conseil d’Etat retient que l’obligation faite aux pharmaciens de préparer les commandes « au sein de l’officine », telle que prévue par les BPD, ne tient pas compte de la notion de « proximité immédiate » du local (au sens de l’article R. 5125-9 du CSP) – sans toutefois préciser, ce qui reste regrettable, ce qu’il convient d’entendre par « proximité immédiate » – et annule partiellement lesdites BPD.

Cet arrêt devrait rassurer les pharmaciens sur la possibilité, au plan réglementaire, de s’organiser pour rendre le modèle économique de la vente de médicaments sur internet plus viable d’un point de vue financier, que cela n’est aujourd’hui.

[1] CJCE, 11 décembre 2003, affaire C-322/01
[2] ADLC, avis n° 13-A-12, §189 et s.
[3] Arrêté relatif aux bonnes pratiques de dispensation des médicaments dans les pharmacies d’officine, les pharmacies mutualistes et les pharmacies de secours minières, Arrêté relatif aux règles techniques applicables aux sites internet de commerce électronique de médicaments.
[4] ADLC, avis n° 16-A-09, §28 et s.
[5] Ibid, §18 et s. (1.34% des pharmacies françaises avaient développé un site de vente en ligne au1er janvier 2015)
[6] ADLC, avis n° 12-A-23, §61 et s.
[7] Courrier de l’ARS du 27 février 2014
[8] Ibid note 4
[9] Recours en annulation des arrêtés visés en note 3 ayant donné lieu à une série de trois décisions du Conseil d’Etat, à savoir les décisions n°408886 et n°407289 du 26 mars 2018, et la décision n°407292 du 4 avril 2018
[10] Ibid note 3

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