Voici les donneurs d’ordre et les banques préférés des PME

Ce devait être un ballon d’oxygène pour les PME étranglées par la crise. L’énième gage –aussi– pour réconcilier le pouvoir socialiste avec les entrepreneurs. Mais pour des centaines de petits patrons, le crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi (CICE) a failli se transformer en -cadeau empoisonné.

A l’origine de la désillusion ? La tentative d’une quinzaine de grands groupes français de mettre la main sur cette manne, en exigeant des ristournes auprès de leurs fournisseurs… avant même que ces derniers n’aient touché le premier centime de leur CICE ! Du racket. Initié par des grands noms de l’automobile, de la santé et de l’énergie.

Les PME restent la variable d’ajustement

Ultime dérapage d’entreprises du CAC 40 désespérément en quête de compétitivité ? La crise a décuplé la créativité des grands groupes, sans cesse tentés de réduire le fournisseur à une variable d’ajustement. C’est la facture que l’industriel règle avec retard pour préserver sa tré-sorerie. L’entrepôt de stockage que l’équipementier automobile bâtit, à ses frais, près de l’usine du constructeur, qui ne veut pas assumer le transport. Le contrat qu’un géant de la distribution modifie à mi-parcours pour sauver ses marges.

Pis: la commande annulée brutalement. Comme cela a été le cas du joaillier LK Design, un temps fournisseur quasi exclusif de Louis Vuitton en petite bijouterie. En 2009, ses commandes ont chuté après la délocalisation partielle par Vuitton de sa production en Italie. Aujourd’hui, LK Design attaque LVMH pour rupture abusive. Entre-temps, dépendante à 80 % du roi du luxe, elle a frôlé la faillite.

Côté banques, la tension monte aussi. « Cela ne se voit pas dans les chiffres, mais la situation, ces derniers mois, s’est incroyablement durcie entre les PME et les banques, s’indigne Stanislas de Bentzmann, le patron de Croissance-Plus. Aujourd’hui, à moins d’apporter sa maison en garantie, impossible de décrocher un crédit. »

A peine la moitié décroche la moyenne

Pierre Pelouzet, le médiateur national des relations interentreprises, est formel: « Un entrepreneur sur quatre estime que la relation client s’est détériorée au cours des douze derniers mois. » Le classement que Challenges publie avec la Médiation interentreprises est sombre.

Quand les donneurs d’ordre sont notés par leurs sous-traitants, à peine la moitié décrochent la moyenne! Même les bons élèves, souvent champions à l’exportation, ne décrochent pas plus de 14 sur 20. Et que dire de certains apôtres de la responsabilité sociétale des entreprises (RSE) qui sont carrément à la traîne: Danone, Axa, Leclerc

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La RSE a pourtant aidé à faire bouger les choses. Tout comme la peur des sanctions – selon Pierre Pelouzet, c’est la menace de millions d’euros d’amende qui a calmé les racketteurs au CICE. La loi Hamon va sanctionner plus sévèrement les -délais de paiement abusifs. « La crise a aussi servi de déclic, admet André Sépaniak, directeur des achats de la Société générale. L’époque où l’acheteur raisonnait uniquement avec des objectifs quantifiés est -révolue. Nous avons aussi des fournisseurs stratégiques. »

« Les bonnes intentions se perdent souvent dans les limbes »

Sur le papier, les directions des grands groupes se rachètent une bonne conduite. La charte « relations fournisseurs responsables » a été signée par plus de 400 entreprises, l’équivalent de 450 milliards d’euros d’achats. Une douzaine ont décroché le label idoine, attribué par la Médiation et le cabinet Vigeo. Beaucoup, tel Legrand, disent surveiller de près le taux de dépendance du fournisseur.

« Jamais plus de 30% de leur activité chez nous. A défaut, nous les aidons à élargir leur palette », assure Philippe Rongère, directeur des achats de l’industriel. D’autres intensifient le contrôle et la formation des acheteurs: à Sanofi, une minigouvernance ad hoc se réunit chaque trimestre pour mesurer les progrès. Schneider Electric s’efforce, lui, d’homogénéiser et de glaner les meilleurs processus dans ses différentes entités.

Car les bonnes intentions se perdent souvent dans les limbes de l’entreprise. « La tête dit des choses pertinentes, mais les jambes ne suivent pas », dénonce Philippe Berna, président du Comité Richelieu et fondateur de Kayentis (dématérialisation de données), qui se souvient encore des après-midi passés à recenser les factures qu’un grand laboratoire payait… avec huit mois de retard. Dans une PME, ce genre d’abus laisse forcément des traces.

En finir avec la loi du plus fort au nom de la compétitivité

« Ne tuons pas la reprise, ne tuons pas la confiance », plaide Pierre -Pelouzet. L’année dernière, son équipe a traité 850 dossiers. « Dans 70 % des cas, la Médiation a permis d’augmenter le business entre les deux parties. » En finir avec la loi du plus fort au nom de la compétitivité française? « Nos concurrents allemands sont beaucoup plus réceptifs à l’idée d’intégrer les PME dans la chaîne de leur entreprise », note Jacques de Heere, PDG d’Acome (câbles pour l’industrie).

Pierre Gattaz, le président du Medef, veut croire à la volonté de se serrer les coudes: « Il faut chasser en meute, on a la chance d’avoir les entreprises du CAC 40 pour jouer les porte-avions, notamment à l’étranger. Ce n’est pas encore toujours le cas, mais les choses s’améliorent, des écosystèmes se créent. » A condition toutefois que les plus gros cessent de massacrer les plus faibles. 


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