« Après le Covid-19, pour inciter à (re) venir, il faut inventer d’autres modes et lieux de travail

La vie de bureau avec et après le Covid-19. De nombreuses entreprises, petites et grandes, s’interrogent. Comment concilier les mesures sanitaires et la convivialité ? Comment aménager l’espace en fonction des nouvelles contraintes : distanciation sociale, télétravail, aération… Comment avoir envie de revenir, masqué, dans un open-space truffé de parois en plexiglass ? Vitra, le pape suisse du mobilier design pour l’habitat, les lieux publics et les bureaux, peaufine une offre spécifique pour cette vie de bureau d’après. Revue de détail avec Isabelle de Ponfilly, directrice générale de Vitra France.

Challenges – La vie de bureau d’avant, c’est possible ?

Isabelle de Ponfilly – Depuis la pandémie, il y a un point de non-retour. Aujourd’hui, entreprises – et salariés – n’ont d’autre choix que de réfléchir à une nouvelle manière de travailler, alors que jusqu’ici, des deux côtés, il y avait encore beaucoup de réfractaires au télétravail, au flex-office… le présentiel à 100 % était paré de toutes les vertus. Là on n’a plus le choix. Les crises sanitaires, écologique et économique nous obligent à remettre toute la vie de bureau en question – et surtout en mouvement ! Les modes de travail comme le lieu. Il ne s’agit pas de passer du tout au tout, comme le font certains groupes en ce moment, qui décrètent le « tout le monde en télétravail » (NDLR le groupe PSA) ou le retour massif aux bureaux individuels – ce qui peut être extrêmement anxiogène. Mais d’être flexible, de s’adapter. Et se dire que rien n’est définitif. Après tout, qu’il s’agisse du monde médical, politique, ou économique… tout le monde navigue à vue!

Que recherchent vos entreprises clientes aujourd’hui ?

D’abord des solutions pour gérer l’urgence du déconfinement et du retour au bureau dans des conditions sanitaires drastiques. Cette situation va durer encore un moment – au moins jusqu’à la fin de l’année. Une fois défini le quota des personnes qu’on peut accueillir, compte tenu des nouvelles règles de distanciation sociale, elles doivent redessiner l’espace. Et adapter le mobilier : on a une forte demande, par exemple, pour changer les dossiers de fauteuils en textile pour des matières plus faciles à désinfecter. Nous proposons des dossiers interchangeables, qui permettront par la suite de revenir au textile. On a aussi beaucoup de demande pour des séparations verticales qui isolent sans nuire à l’acoustique. Car avoir trop de parois en plexiglass dans un même espace, par exemple, finit par faire caisse de résonance et créer de la cacophonie. Nous, nous proposons des séparations en bois et en métal – les Dancing walls – dans lesquelles ont peut insérer écrans, étagères ou plantes. Ce sont aussi des matériaux faciles à nettoyer. Et le bois apporte aussi du naturel et de la chaleur à l’environnement.

Enfin, comme elles ont dû s’occuper de l’informatique, nos clients commencent à rechercher des solutions qui rendent le télétravail plus confortable et efficace. Des caisses à outils, par exemple, pour ranger ses affaires une fois terminée la journée de travail. Ou encore des fauteuils adaptés aux espaces à la maison, suffisamment petits et esthétiques, tout en assurant un bon maintien du dos. Certains clients en commandent pour leurs salariés télétravailleurs.

Et dans l’entreprise, c’est quoi le bureau de demain ?

Ce sont des bureaux avec moins de salles fermées, moins de petites cellules individuelles ou de confidentialité, plus d’espaces ouverts, modulables ou mobiles… Les salles de réunion ne vont pas disparaître mais elles seront sans doute plus petites et configurées autrement – dans un monde de plus en plus numérisé, avec beaucoup d’échanges à distances, les réunions sont de facto plus courtes et plus efficaces. Pas la peine de mobiliser de l’espace inutilement.

L’exigeance de qualité, surtout, va être beaucoup plus forte. Le bureau, on y viendra moins souvent, mais il restera un lieu de rencontre inévitable et essentiel. Il est bon qu’il soit attractif. Cette qualité passera par un traitement particulier des couleurs, des espaces communs, des matériaux ou encore du mobilier. Comme des sièges bureaux dans des matières lavables, qui offrent de la souplesse pour affecter ou délimiter l’espace. Dans certaines entreprises aussi – comme à la Société générale – qui créent des points de travail délocalisés – le nouveau bureau c’est un bureau plus proche du domicile, des antennes de flex office pour réduire les transports. Ces nouveaux espaces privilégient aussi la qualité dans leurs conception.

Toutes les entreprises sont-elles prêtes à investir dans ces bureaux de demain ?

Oui dès lors qu’elles comprennent que c’est un outil d’efficacité et de développement pour l’entreprise. Le mobilier ne représente en moyenne que 3 % des investissements par salarié dans les locaux de travail – versus 15 % pour l’immobilier et 8 % pour l’informatique. Augmenter cette moyenne de seulement 1 ou 2 % permet un gain en qualité notable pour l’environnement de travail. C’est d’autant plus accessible qu’à l’avenir il y a fort à parier, avec le télétravail et le flex-office, que les entreprises investissent dans des surfaces de bureau plus petits et consacrent l’argent économisé dans la qualité de l’aménagement.

Que dites-vous aux entreprises et dirigeants qui jugent que, même si tout change, il est urgent… de ne rien changer ?

Je leur dis qu’on ne peut pas revenir au modèle d’avant. Pour des raisons sociétales, humaines, économiques… Qu’ils doivent accepter  l’idée qu’on peut travailler autrement en étant tout aussi efficace pour l’entreprise. La crise nous offre la chance de revoir les modèles et les modes de travail. Saisissons-là.

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