Restauration : “ Pour survivre, il va falloir se réinventer”

“On apprend un nouveau métier ! ” raconte Juan Arbelaez, à la tête de six établissements aux quatre coins de Paris. Dans son restaurant, Yaya, niché dans les halles Sécrétant dans le 19e arrondissement de Paris, le chef, propose avec ses associés Grégory et Pierre-Julien Chantzios, de venir goûter leur cuisine “grecque et moderne”. Mais pas question de s’asseoir et déguster sur place comme à l’habitude, pandémie oblige, les restaurants n’ont toujours pas le droit de rouvrir leurs portes malgré la fin du confinement. 

Un coup dur alors que les charges continuent à tomber. “On s’est très vite posé la question de savoir comment on pouvait se remettre en marche pour au moins payer le minimum des charges qu’on l’on paie tous les mois. On a réfléchi et c’est comme ca qu’on a décidé de développer l’offre à emporter explique, Pierre-Julien Chantzios co-fondateur de l’établissement. Un tournant qu’ils ne sont évidemment pas les seuls à avoir pris, “ Il y a encore 4 mois encore on aurait très certainement refusé simplement de faire de la vente à emporter, mais c’était avant de faire 0 euro de chiffres d’affaires” explique Tigrane Seydoux, co-fondateur du groupe Big Mamma. Du jour au lendemain, il a dû faire baisser le rideau de ses 10 trattorias de Paris, Lille ou Lyon. “Après le choc, on est passé du “mode survie” à un mode plus entrepreneur : qu’est-ce qu’on peut faire pour ne pas simplement rester assis sur notre canapé.” 

« 15 jours de R&D pour une pizza »

Mais développer une offre à emporter dans un restaurant n’est pas une mince affaire. ““Il est impossible de simplement transposer sa carte. On repart quasiment d’une page blanche. On a mis plus de 15 jours de recherches et développement simplement pour mettre en place nos recettes de pizza alors que c’est notre cœur de métier, mais à emporter, elles vont être mangées beaucoup plus tard qu’au restaurant, 20 ou 30 minutes après sa fabrication, il faut que le goût et la qualité reste jusqu’à la dégustation” souligne l’entrepreneur. Même son de cloche du côté de chez Juan Arbelaez, “Il faut oublier le côté chef, et penser à la personne qui est devant le canapé. Chez toi à manger devant la télé, tu ne veux pas quelques choses de trop élaboré. Tu veux manger quelque chose de gourmand, avec les mains, de la street food avec des bons produits qui se tient bien pendant le transport et qui se conditionne facilement”. Au Bouillon Pigalle dans le 18e arrondissement de Paris, la carte habituellement composée de dix plats, dix entrées et dix desserts a considérablement été raccourcie. Désormais, le restaurant propose un menu unique à sa clientèle : “La vente à emporter, on avait déjà la volonté de le faire sur notre prochain restaurant à République, notre cuisine traditionnelle se prête à être réchauffée et a être mangée à la maison ou au travail” précise Jean-Christophe Le Hô, patron de l’établissement, pour qui ce menu imposé permet de mieux respecter les normes d’hygiène liées au Covid-19. 

“Dans les coulisses, notre organisation n’est plus la même, chaque cuisinier s’occupe d’une seule tâche, dans son espace, avec sa chambre froide. On ne passe plus d’un espace à l’autre pour se donner un coup de main, ou saler les plats du voisin” décrit-il. Dans son restaurant, toute la circulation a été repensée, un référent hygiène est même nommé chaque jour pour faire respecter les règles aussi bien aux équipes qu’à la clientèle qu’il est parfois nécessaire de rappeler à l’ordre. 

Garder les emplois demain

Et le nerf de la guerre est pourtant bien là : faire revenir les clients pour assurer un chiffres d’affaires minimum. Dans les restaurants du groupe Big Mamma, le succès des établissements diffère selon les quartiers, “les chiffres restent très faibles par rapport à d’habitude. À Mamma Primi, notre restaurant dans le quartier des Batignolles dans le 17eme arrondissement de Paris, on arrive à faire 30 à 50% de notre chiffre, mais dans certains restaurants situés dans des quartiers où les bureaux sont encore vides, les résultats sont bien plus faibles”.

Au Bouillon Pigalle, on a assuré 500 commandes lors de l’ouverture du service à emporter ce mercredi. “Autant qu’à notre premier service en 2017” plaisante le gérant qui voit d’habitude près de 2.000 clients dans son établissement chaque jour. Les équipes ont été réduites en proportion,”niveau emploi, ce n’est pas le même business plan, on tourne avec 10 personnes en salle, 12 en cuisine. D’habitude, on est près de 90. Seul, les volontaires sont revenus” précise Jean-Christophe Le Hô. Car si l’on n’atteint pas les chiffres habituels, la vente à emporter permet aux restaurants de mieux appréhender l’avenir.

“On rattrape entre 30 à 50% du chiffres d’affaires.Ce complément que l’on gagne aujourd’hui permettra de garder le lieu rentable et d’essayer de garder l’intégralité des emplois demain. C’est le vrai challenge devant nous” souligne  Pierre-Julien Chantzios.  “On ne gagne pas d’argent encore, mais on perd moins d’argent à faire ca qu’à rester dans notre canapé. Il est encore trop tôt pour savoir si même c’est rentable. Au moins, on reprend notre destin en main.” rappelle Tigrane Seydou, pour qui “la vraie crise démarre aujourd’hui”. “On sait qu’on va devoir accepter un volume d’activité plus faible dans les mois voir les années à venir. Les marges dans la restauration sont déjà faible, si on doit enlever 20 à 50% des places lorsque l’on pourra acceuillir la clientèle, il y en a pas beaucoup qui pourront survivre”. 

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