Cette révolution numérique qui menace les emplois

Pour ouvrir la deuxième journée du Sommet de l’Economie, vendredi 6 novembre, Philippe Wahl, le patron de La Poste, et Nicolas Colin, fondateur associé de l’incubateur The Family se sont interrogés sur un sujet qui monte en même temps que le tsunami numérique : Internet détruit-il plus d’emplois qu’il n’en crée ? La Poste, en particulier, et ses 260 000 salariés, est frappée de plein fouet par la révolution digitale. Chaque année, la livraison de courrier baisse de 7 %.

Pour Nicolas Colin, l’année 2015 marque un tournant dans la prise de conscience de ces changements, notamment en matière d’emploi. Des bouleversements liés à l’automatisation des tâches et à la précarisation du travail. On assiste, en effet, à une disparition des postes occupés par la classe moyenne alors que ceux des deux bouts de la chaine de valeur, faiblement ou hautement rémunérés, se développent. « Cette polarisation est inquiétante, a-t-il reconnu, car elle frappe les classes moyennes synonymes de la prospérité passée. » Des travailleurs peu qualifiés, réalisant des taches routinières, et protégés par le salariat. Aujourd’hui, ces postes disparaissent.

Il est possible selon lui de recréer des emplois avec les services de proximité à condition de les rendre attractifs et sécurisés. Ce sera les nouveaux emplois de la classe moyenne. Ainsi, le chauffeur de VTC délivre un très haut niveau de qualité grâce, notamment, à la technologie et au GPS qui permet de localiser le véhicule. « Cela permet de faire monter en qualité des personnes peu qualifiées même si cela se heurte, pour l’instant, à des obstacles réglementaires. »

Autre problème, la durée de vie des entreprises est de plus en plus courte, donc le fait d’avoir un CDI n’est plus aussi rassurant, y compris dans un grand groupe qui raterait, par exemple, son tournant numérique. Notre protection sociale a ciblé l’ouvrier salarié qui reste dans la même entreprise tout au long de sa vie, mais ce n’est plus la figure représentative, insiste Nicolas Colin. Il faut donc revoir le modèle, l’adapter.

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L’inconnue du solde net des emplois

De son côté, Philippe Wahl a pointé du doigt l’économie schumpetérienne avec des métiers qui disparaissent et d’autres qui apparaissent au gré de la révolution numérique. « L’angoisse qui nous tenaille, c’est le solde net, dit-il. Pour l’instant, nous ne connaissons pas la réponse. » Elle viendra dans 30 ans. Selon lui, il s’agit de la transformation technologique la plus perturbante en six siècles pour la distribution de courrier. « On en a vu pourtant d’autres avec la diligence, le train, le téléphone. Mais je reste confiant dans ce que La Poste peut apporter. » Le patron du groupe reconnaît que la robotisation va remplacer en partie le travail des employés, mais la relation avec la multitude reste au cœur de son savoir-faire. « C’est le travail de nos postiers qui rencontrent chaque jour 3,6 millions de personnes, dit-il. Et c’est sur cette puissance, cette expérience, que nous construisons l’avenir. » Un modèle stratégique fondé sur le facteur humain pour tous, partout, et tous les jours. Ainsi, Chronopost peut maintenant livrer des aliments frais, et La Poste a racheté la semaine dernière Resto-In qui livre les plats de restaurants. « Il y a donc de la croissance pour nous pour peu qu’on joue la relation, la proximité », indique Philippe Wahl.

Nicolas Colin souligne, lui aussi, les opportunités qu’offre la transformation numérique. A condition pour l’Etat de repenser les institutions comme la Sécurité sociale et les entreprise de redéployer leur main d’œuvre. L’organisation fordiste – la production de masse – est, certes, secouée par le nouveau modèle où le service est individualisé et la pression sur les prix permanente. « Mais il y a des choses que les ordinateurs ne peuvent pas faire, indique-t-il, notamment l’empathie ou l’adaptation dans un contexte incertain. » Seul l’homme peut avoir une compréhension fine des besoins des clients et un service jusqu’au domicile des clients. La clé est d’avoir leur confiance : c’est ce que font les géants américains du numérique à qui le consommateur abandonne ses données personnelles.

« La proximité humaine et le savoir-faire relationnel sont au cœur de notre stratégie », explique Philippe Wahl, citant le nouveau service d’envoi des colis de son domicile en le déposant dans sa boite aux lettres. La Poste veut aller plus loin en jouant l’articulation entre le réseau physique, le numérique, et les postiers. « Le numérique n’est plus le problème mais la réponse », affirme-t-il. Au sujet d’Amazon, qui vient de racheter un concurrent de La Poste, son modèle de concentration à la fois verticale et horizontale ne convainc pas Philippe Wahl. « Ils ne peuvent pas être à la fois Wal Mart et Fedex, dit-il. Et de conclure : tout empire périra »

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