Comment Daimler aide Renault à soigner la qualité

Dans l’hôtel des Baux de Provence qui sert de base à la flottille de Renault Espace livrés ces jours-ci au jugement critique de la presse européenne, il est un lieu de recueillement des plus inattendus. A l’heure du souper et du petit-déjeuner comme au sortir de la conférence de presse, on entend s’élever dans le hall d’accueil les murmures joyeux d’ailurophiles agenouillés autour d’un panier d’osier. Là nichent trois chatons mignons, près de leur mère d’une docilité surprenante.

Au dehors, Franck Naro a moins de succès. Le Directeur de l’Usine Renault à Douai caresse de la main le poil doux de la moquette qui tapisse le compartiment arrière de tout nouvel Espace. Franck est terriblement fier de ces quelques mètres carrés de tapis à velours coupé, symbole même des soins apportés à la finition du nouveau porte-drapeau du Losange.

« Appréciez la découpe« , me lance-t-il. « Observez la manière dont les bords disparaissent sous l’habillage des flancs du coffre. Je vous mets au défi de trouver mieux chez BMW, chez Audi ou même chez Mercedes-Benz. » Et pour cause. Puisque ce sont les standards de qualité de Daimler que Renault impose à son fournisseur.

« Pour le nouvel Espace, nous avons sollicité les experts de chez Daimler et de chez Infiniti [la division luxe chez Nissan, ndlR] pour évaluer le niveau de qualité perçue à divers stades d’avancement du projet« , explique Franck Naro. « Nos homologues allemands, japonais et britanniques sont ainsi venus examiner les prototypes puis les exemplaires de pré-série de l’Espace. Ils ont dressé la liste des points qui ne respectaient pas leurs critères, en disant très précisément quels aspects leur paraissaient inacceptables sur un véhicule premium. Cela allait du grain des plastiques à l’odeur du cuir, en passant par le bruit que fait une portière en se refermant.« 

Les langues perfides diront que cette liste devait être bien longue. Et ils n’auront pas tort. Ce qu’ils ignorent en revanche, c’est que les exigences de Renault dépassent celles de Daimler sur bien des points. Au grand étonnement des deux partenaires qui ne s’attendaient pas à ce que l’échange se fasse dans les deux sens.

Surprise ! Mercedes est plus coulant que Renault sur certains aspects

Les exemples abondent. « Nos homologues de chez Daimler jugeaient inacceptables nos poignées de porte. Mais à l’inverse, ils avouaient que jamais ils n’auraient soigné autant l’aspect du panneau de contre-porte, là où l’habillage en plastique voisine la tôle peinte« , confie Franck Naro. « En conséquence, nous avons étudié de nouvelles poignées extérieures, en demandant à nos fournisseurs de diminuer l’effort de traction et le jeu de fonctionnement, générateur de bruit. » Résultat, il suffit d’un doigt pour ouvrir sans bruit les longues portières en aluminium du Renault Espace. Saisissant.

Si Franck Naro a maintenu ses exigences en matière de garniture de portière, il s’est laissé convaincre de la nécessité de remplacer la moquette du coffre, le cuir des sièges (voulu aussi souple que celui que Audi exige du même fournisseur Faurecia), ou bien encore le tissu du rideau cache-bagages. Sur les Espace livrés à la clientèle, il cédera la place à une étoffe plus épaisse, d’allure plus flatteuse que celle des véhicules de pré-série confiés à la presse. Histoire d’éviter un contraste trop rude avec l’aspect de la fameuse moquette.

S’il est un point en revanche où les deux constructeurs s’entendirent d’emblée, c’est dans la définition de ce qui constitue une carrosserie soignée. Infiniti les rejoint dans leur quête de jeux réduits entre les panneaux de carrosserie. Sur l’Espace, les ailes avant en plastique et le hayon en matière composite affichent des taux de dilatation au soleil différent de ceux de l’aluminium qui compose les portières. Pas facile d’aligner tout cela avec précision.

Renault Espace Initiale Paris Energy TCe 200 EDC7 (2015)Cette belle pièce de métal chromé fait la fierté des designers de l’équipe de Laurens van den Acker. Elle évoque les rétroviseurs profilés de l’Espace du début des années 1990. Image © LQA — E. Bergerolle

Le casse-tête fut le même pour ce qui est des baguettes chromées qui ceinturent le vitrage. Franck Naro attire notre attention sur la jointure au pied du pare-brise, décalée d’un demi-millimètre. Un défaut inacceptable à ses yeux. « Le remède est déjà appliqué en usine. Même si je sais pertinemment que rares auraient été les clients à remarquer ce genre de détails infimes« , reconnaît-il. « Du moins pas de façon consciente. Car l’œil perçoit tout. Et le cerveau finit par se persuader que quelque chose cloche sans pouvoir pointer du doigt le défaut. C’est un sentiment confus : l’aspect de la voiture n’est pas vraiment à la hauteur de ses prétentions haut-de-gamme.« 

Une peinture digne d’une Mercedes Classe S

Parce que c’est la première impression qui compte, Franck Naro et son équipe sont obsédés par le moindre détail. Ils jouent les entremetteurs entre un client devenu très exigeant et un produit qui doit établir sa crédibilité face à des spécialistes établis. Pour autant le constructeur au Losange sait rester lucide. « Nous sommes parfaitement conscients du déficit d’image de Renault sur le marché du premium« , précise Fabienne Barbey, Chef du Service Presse Produit. « Le nouvel Espace constitue le nouveau haut de la gamme Renault mais il n’est pas un véritable haut-de-gamme au sens où l’entendent Audi et Mercedes-Benz. » Nuance.

Robots de peinture à l'Usine Renault de Douai (2015)Robots de peinture à l’Usine Renault de Douai (2015) Image © Renault

Ce nouveau crossover sera rejoint d’ici l’été sur les chaînes de Douai par une berline appelée à remplacer la Renault Laguna comme la Latitude. Un véhicule encore plus raffiné pourrait les rejoindre par la suite. « Les futures grandes Renault bénéficieront des enseignements tirés de notre collaboration avec les experts Daimler lors de la conception de l’Espace« , renchérit Franck Naro. D’ailleurs, une part des 420 millions investis dans la modernisation des installations à Douai sert déjà aux Scénic qui y sont produits. « Par exemple, les nouveaux robots garantissent à la peinture du Scénic comme du nouvel Espace un effet miroir supérieur à celui de la Classe C de Mercedes« , certifie F. Naro. « On est proche du niveau de la Classe S.« 

Tout aussi inédite, la cabine colorimétrique laisse à l’électronique le soin d’apprécier les variations de teinte entre des éléments peints à Douai et chez les fournisseurs. Autrefois, c’est l’œil humain d’un opérateur hautement qualifié qui se chargeait de cette tâche en extérieur, sous une lumière naturelle changeant au fil des saisons et de la météo. Pour Daimler, le risque d’erreur était trop grand.

Cabine de lumière à l'Usine Renault de Douai (2015)Installée en 2015, la cabine de lumière permet de déceler le moindre défaut d’aspect sur les Renault Scenic et Espace assemblés à l’Usine de Douai. Image © Renault

Renault a su convaincre ses trois fournisseurs de baguettes chromées d’investir dans des équipements similaires, afin de garantir un brillant et une teinte identiques. Quant à la pièce de métal torsadé qui habille le pied du rétroviseur, sa forme complexe exigeait voilà peu un polissage manuel, long et coûteux. Renault s’était résigné à cette dépense jusqu’à ce que le fournisseur mette au point — tout récemment — une technique pour automatiser le procédé.

Décidément, rien n’est trop beau, pour le nouvel Espace de Renault.


Challenges.fr en temps réel : Accueil