Comment les socialistes français pensent avaler le succès de Syriza

« La Grèce n’est pas la France ! ». Voilà une certitude que tous les dirigeants socialistes français tenaient à marteler à l’heure où la gauche de la gauche se prenait à espérer en une future réplique tricolore du « tremblement de terre grec ». Aucune inquiétude en apparence chez les proches de Hollande comme chez le premier secrétaire du PS Jean-Christophe Cambadélis, picard par sa mère et grec par son père, mais totalement convaincu de « ne pas être balayé demain par un Syriza bien de chez nous ». « Fantasmagorie que d’imaginer un bouleversement généralisé quand les situations sont si diverses ». Pas de grands jours après le grand soir. Ce serait abuser de l’ouzo. Tous relèvent de surcroît que  « ni Mélenchon ni Duflot n’ont le charisme de Tsipras, le leader de Syriza ». Leur seule crainte, c’est que « l’illusion d’un soulèvement généralisé des peuples conduise une coalition de bazar communistes-écologistes- mélenchonistes à faire battre le PS. Pour le seul bénéfice du Front national ».

Le premier point, il est vrai, ne souffre guère de contestation : la tragédie sociale, humaine et politique que vivent les Grecs est sans commune mesure avec les souffrances réelles des Français et les atermoiements de nos dirigeants.  Là bas, le chômage vertigineux (plus de 30%, 50% chez les jeunes…), le pouvoir d’achat s’est effondré, les services publics démantelés, les biens nationaux souvent dispersés. Pas de perspective. Un peuple mené en bateau jusqu’au sinistre pendant que les armateurs ne paient pas d’impôts. Une nation toute entière humiliée,  en quête d’une dignité que l’Europe lui dénie… Nous n’en sommes heureusement pas là ! Si nous avons à subir la rigueur et les rappels à l’ordre sévères de Bruxelles comme de Berlin, la France n’en reste pas moins …la France.

Le coq chante avec les ergots dans le fumier, mais encore aiguisés.  

Le PS n’est pas non plus le Pasok grec

Notre voix peut se faire entendre, nos armées s’imposer, et nos airbags sociaux sont à peu près préservés. La rigueur n’est pas l’austérité, et le PS n’est pas non plus le Pasok grec, ce parti socialiste totalement discrédité pour sa gestion abandonite et corrompue de la crise. Il y a eu chez nous des ministres socialistes qui sont tombés pour corruption, mais c’est comme pour les poissons volants, ceux-là existent mais ne constituent pas la majorité de l’espèce. Le PS tient encore debout, même s’il y a du vermoulu…

 Ajoutons, comme le font Jean-Christophe Cambadélis ou François Rebsamen « qu’il n’y a pas en France d’espace à la gauche du pouvoir socialiste ». Pour preuves, les sondages comme les élections si peu flatteurs pour les contempteurs. En dépit de son indéniable talent de tribun, Jean Luc Mélenchon n’a pas su faire fructifier son joli score (11% ) de la présidentielle. Parce qu’il est « un Bepe Grillo triste, comme le relève ‘Camba’ et qu’il est un homme de rupture et non de rassemblement? ». Sans doute. En tout cas le Front de gauche a plongé en même temps que le PS (6% aux européennes !), car, comme les écologistes, ils ont été associés à la prise du pouvoir contre Nicolas Sarkozy.

Le pédalo est devenu vaisseau amiral

Ces critiques agressifs se naufragent eux-mêmes en attaquant à la hache « le pédalo hollandais », devenu de surcroît face au terrorisme un vaisseau amiral. Quand le pays se rassemble autour de ses dirigeants contre le terrorisme « c’est se condamner à la marginalité, souligne Christophe Borgel le responsable des élections au PS, que de jouer les diviseurs ». Cécile Duflot en fait l’amère expérience, puisqu’en dépit de ses tentatives pour imposer sa ligne de critique radicale mais constructive, elle ne dépasse guère les 2 à 3% dans les sondages. Son parti menace de se briser si elle poursuit son aventure  jusqu’à rompre avec François Hollande. Mais ces deux-là « textotent » encore l’un avec l’autre. Le lien avec le président n’est pas rompu, et il n’est pas vraiment noué non plus avec le front de gauche.

L’ancienne ministre du Logement qui doit son siège de député parisienne aux accords avec le PS refuse d’aller jusqu’à faire chœur avec Mélenchon quand il entonne le grand air de la coalition à la grecque. Elle sait bien aussi que le mode d’élection ne la favorise en rien. En Grèce pour les législatives, la proportionnelle a permis l’affirmation de la différence Syriza, alors que le suffrage majoritaire contraint à des alliances avec le parti de gauche dominant. Quant à la présidentielle à la française, avec un président sortant socialiste, elle ne favorise pas les candidatures de seconde zone. Surtout avec la présence d’un Front national aussi puissant…

Le Pen en cheftaine de la contestation

C’est là une des autres différences que soulignent tous nos interlocuteurs dans tous les ministères comme au PS : « on peut le regretter, et on le regrette, mais la protestation sociale comme  l’anti-européanisme offensif, c’est aujourd’hui Marine Le Pen« . Sur ce terrain de la radicalité, les gauches de la gauche française sont enfoncées. Elles n’incarnent pas l’alternative chez nous. La lame de fond populaire qui s’est levée en Grèce peut être relayée en Espagne par Podemos, qui est aussi un mouvement de gauche, mais dans d’autres pays que ce soit en Norvège, en Autriche, en Italie ou en France, c’est l’extrême droite avec sa dimension xénophobe qui surfe dessus. Marien Le Pen appelait elle même à la victoire de Syriza !

Il y a donc bien un mouvement puissant contre la direction libérale imposée à l’Europe, mais qui prend des formes différentes voire opposées. Les dirigeants de l’Europe feraient bien de prendre davantage conscience de cette contestation populaire et d’en tenir compte. C’est ce qu’espère l’Elysée qui va s’appuyer sur les résultats de cette élection grecque pour obtenir enfin d’Angela Merkel, qu’il doit rencontrer le dimanche à venir, une relance de l’économie à laquelle celle ci s’est jusqu’ici obstinément refusée. Ainsi, un mouvement anti-européen servira-t-il peut être à ce que l’Europe devienne enfin plus européenne…

Une spirale mortifère est enclenchée

Si les dirigeants socialistes affichent de la sorte une sérénité qu’ils voudraient offensive, il n’en reste pas moins une angoisse qui se renforce « avec l’illusion archéo-romantique d’un Syriza à la française ». Car les militants des gauches (ultras, hyper, écolos, alters etc…) vont eux vouloir donner davantage de consistance à leurs espérances. Déjà, David Cormand, en charge des élections à Europe Ecologie les Verts relève que pour les cantonales il y aura beaucoup plus d’accords avec des composantes du Front de gauche qu’avec le PS. Ce qui fait dire à son homologue du PS Christophe Borgel « qu’une spirale mortifère est enclenchée, conduisant dans des centaines de cantons à l’élimination de la gauche au premier tour au profit du FN qui se retrouvera face à l’UMP ! ».

Cette « logique suicidaire » sera d’autant plus ardue à empêcher que « les médias meurent d’envie, selon Jean Christophe Cambadélis, de raconter une histoire de guerre entre les deux gauches, celle du romantisme révolutionnaire contre celle du réel… ». Car l’affrontement Hollande-Sarkozy, déjà vu et entendu, paraît fadasse. Ça manque de sel. De poivre. De piquant. De saveur. Alors, on devrait avoir une séquence « Tzatziki-Syriza » particulièrement épicée…Mais dans quelques mois, elle serait digérée sans trop de dommages. Les socialistes ont un estomac d’autruches…

 

 

 

 


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