Défense: les questions qui fâchent du député Cornut-Gentille

Dans le petit milieu de la défense, c’est l’un des rapports les plus attendus de l’année. Un des plus craints, aussi. Rapporteur spécial sur les crédits de défense à la commission des finances de l’Assemblée nationale, le député de la Haute-Marne François Cornut-Gentille s’est fait une spécialité de mettre le doigt là où ça fait mal: les hélicoptères qui ne volent pas, la dépendance française aux avions de transports stratégiques ukrainiens, les contaminations Covid sur le Charles de Gaulle, ou les mauvais comptes de la grande maison kaki. Le millésime 2020 du fameux rapport ne fait pas exception à la règle. Sur 370 pages, l’élu étudie en détail les sujets qui fâchent en cette fin d’année 2020, de la mauvaise anticipation de la crise Covid aux doutes sur le budget des armées, en passant par l’incapacité de la France à protéger ses pépites comme l’industriel Photonis.

Quel est le sentiment général? Le député évoque « une situation assez paradoxale ». « On a une loi de programmation militaire qui tient, ce qui est assez rare pour être souligné, indiquait-il le 4 novembre lors d’une rencontre en ligne avec l’Association des journalistes de défense (AJD). Mais les incertitudes sont plus importantes que jamais. » La première d’entre elles est financière. Le bouclage budgétaire de l’année 2020 s’annonce compliqué. Avec la montée en puissance des effectifs de Barkhane (600 militaires supplémentaires), l’aide au Liban après l’explosion du port de Beyrouth (opération Amitié) et l’opération Résilience face au Covid, la facture finale des opérations intérieures et extérieures risque d’être salée. « Certes, on a fait passer la provision OPEX et OPINT (opérations intérieures) de 400 millions à 1,2 milliard d’euros, ce qui est positif, mais il n’est pas exclu que le coût cumulé des opérations intérieures et extérieures atteigne 1,6 milliard, estime François Cornut-Gentille. Il faudrait alors aller chercher 400 millions d’ici à fin décembre. » Soit l’équivalent de quatre chasseurs Rafale.

« Mur budgétaire » en 2023

Traditionnellement, pour boucler son budget sans trop de dégâts, le ministère pouvait compter sur deux recettes. D’abord,

Dans le petit milieu de la défense, c’est l’un des rapports les plus attendus de l’année. Un des plus craints, aussi. Rapporteur spécial sur les crédits de défense à la commission des finances de l’Assemblée nationale, le député de la Haute-Marne François Cornut-Gentille s’est fait une spécialité de mettre le doigt là où ça fait mal: les hélicoptères qui ne volent pas, la dépendance française aux avions de transports stratégiques ukrainiens, les contaminations Covid sur le Charles de Gaulle, ou les mauvais comptes de la grande maison kaki. Le millésime 2020 du fameux rapport ne fait pas exception à la règle. Sur 370 pages, l’élu étudie en détail les sujets qui fâchent en cette fin d’année 2020, de la mauvaise anticipation de la crise Covid aux doutes sur le budget des armées, en passant par l’incapacité de la France à protéger ses pépites comme l’industriel Photonis.

Quel est le sentiment général? Le député évoque « une situation assez paradoxale ». « On a une loi de programmation militaire qui tient, ce qui est assez rare pour être souligné, indiquait-il le 4 novembre lors d’une rencontre en ligne avec l’Association des journalistes de défense (AJD). Mais les incertitudes sont plus importantes que jamais. » La première d’entre elles est financière. Le bouclage budgétaire de l’année 2020 s’annonce compliqué. Avec la montée en puissance des effectifs de Barkhane (600 militaires supplémentaires), l’aide au Liban après l’explosion du port de Beyrouth (opération Amitié) et l’opération Résilience face au Covid, la facture finale des opérations intérieures et extérieures risque d’être salée. « Certes, on a fait passer la provision OPEX et OPINT (opérations intérieures) de 400 millions à 1,2 milliard d’euros, ce qui est positif, mais il n’est pas exclu que le coût cumulé des opérations intérieures et extérieures atteigne 1,6 milliard, estime François Cornut-Gentille. Il faudrait alors aller chercher 400 millions d’ici à fin décembre. » Soit l’équivalent de quatre chasseurs Rafale.

« Mur budgétaire » en 2023

Traditionnellement, pour boucler son budget sans trop de dégâts, le ministère pouvait compter sur deux recettes. D’abord, piocher dans le budget salarial, le Titre 2 en sabir parlementaire : les armées peinant à recruter à hauteur de leurs besoins, il restait toujours quelques centaines de millions d’euros à récupérer, les objectifs d’embauche n’étant pas atteints. « Cela ne sera probablement pas possible cette année », estime le député de la Haute-Marne. La deuxième technique était le recours au report de charges. En clair, les argentiers du ministère reportaient à l’année suivante (en général à début janvier) une partie des paiements prévus sur l’année en cours. Mais là encore, les armées atteignent la limite de l’exercice. Le fameux report de charges atteignait 3,9 milliards d’euros fin 2019, soit 16% des crédits, selon François Cornut-Gentille. Or le plafond fixé par la LPM est, en théorie, de 15%, avec l’objectif de redescendre à 10% à l’horizon 2025. Il semble donc n’y avoir guère de marge sur ce plan.

Le moyen terme ne s’annonce guère plus reluisant. François Cornut-Gentille met en garde contre un « mur budgétaire » à l’horizon 2023. Certes, la loi de programmation militaire, qui prévoit une augmentation d’1,7 milliard d’euros par an du budget des armées, est pour l’instant respectée à la lettre, un effort remarquable et inédit. Mais la LPM prévoit un changement de braquet en 2023, avec une augmentation annuelle qui passerait à 3 milliards d’euros pour les années 2023, 2024 et 2025. « Des marches à 3 milliards par an, c’est du jamais vu, dans aucun ministère, rappelle François Cornut-Gentille. Dans le contexte de l’après-Covid, qui sera probablement marqués par des choix budgétaires difficiles, la soutenabilité de cet objectif pose question. »

L’objectif sera d’autant plus difficile à tenir que des facteurs externes compliquent l’équation, notamment la vente à la Grèce de 12 Rafale d’occasion (et 6 neufs). Pour remplacer ces avions, prélevés dans la flotte de l’armée de l’air et de l’espace, la ministre des armées Florence Parly a annoncé la commande de 12 Rafale neufs. Problème: cette opération nécessitera un budget de plus d’un milliard d’euros, non prévu par la LPM, qu’il faudra bien trouver quelque part. Le député LR appelle donc à mettre à profit la révision de la LPM, prévue en 2021, pour clarifier les budgets et les ambitions militaires françaises. « On ne peut pas se contenter d’une révision en catimini ou à la va-vite », estime-t-il.

Trop de documents classifiés

Mais ouvrir le débat avec le ministère s’annonce difficile, déplore le rapporteur spécial de la commission des finances. « Les parlementaires n’ont aucune marge de manœuvre budgétaire sur les crédits de la défense, écrit le député dans l’avant-propos du rapport. Le contrôle parlementaire, notamment lors de l’examen budgétaire, demeure limité au nom d’un illusoire consensus. » François Cornut-Gentille dénonce ainsi une propension excessive du ministère à classifier les documents qu’il demande, ou à exiger que les réponses reçues ne soient pas rendues publiques. « Subitement, le ministère des armées ne souhaite plus que votre rapporteur évoque la disponibilité de l’A400M ou de l’hélicoptère Tigre, écrit ainsi le député. Ces chiffres, publiés sans aucune entrave depuis 2013, étaient soudain soumis à « des impératifs renforcés de confidentialité » ».

Ce culte du secret, à géométrie variable, aboutit parfois à des situations ubuesques. Le taux de disponibilité des sous-marins nucléaires d’attaque (SNA) de classe Rubis, frappé de confidentialité dans les réponses à François Cornut-Gentille, figure ainsi bel et bien dans le « bleu budgétaire », un document annexé au projet de loi de finances 2021… Et les chiffres de disponibilité du Tigre et de l’A400M ont finalement été publiés, quelques mois après avoir été présentés comme confidentiels par le ministère des Armées.

Au-delà de l’aspect budgétaire, François Cornut-Gentille pointe les insuffisances de la gestion de crise du Covid, à commencer par une anticipation insuffisante dans les documents de prospective. Le terme « pandémie » figurait ainsi 15 fois dans le Livre blanc de la défense de 2008, 7 fois dans celui de 2013, et zéro fois dans la revue stratégique de 2017. Le député critique également le manque de vigilance des services de renseignement, notamment de la DGSE, lors de l’émergence du Covid-19 en Chine. La ministre des Armées Florence Parly répondait en mai que « ce n’est pas le rôle des services de renseignement de s’occuper des informations relatives à la santé ». Le député ne se satisfait pas de cette réponse, soulignant que les services sont, selon le code de la sécurité intérieure, en charge des « risques susceptibles d’affecter la vie de la Nation »

Fonds stratégiques sous-dotés

Le député critique aussi durement le dispositif de protection des entreprises stratégiques. Avec 100 millions d’euros, le fonds d’investissement du ministère des armées, Definvest, est jugé largement « sous-doté ». François Cornut-Gentille s’interroge aussi sur la création de deux autres fonds, Definnov (200 millions) et French Tech Souveraineté (150 millions), ce qui multiplie les acteurs de taille limitée et brouille la lisibilité d’ensemble sans régler le problème de fond. « Malgré la profusion de fonds souverains gérés par BPI, la France (est) incapable de préserver le capital de sociétés aussi stratégiques que Photonis, spécialiste de la vision nocturne, ou encore Souriau, spécialiste de l’interconnexion pour la défense », déplore le député. 

Ce dernier propose un changement de paradigme sur ce sujet. Il suggère d’abord de clarifier les segments et technologies jugés souverains. Le concept actuel de « base industrielle et technologique de défense » (BITD) serait remplacé par celui de base industrielle de technologies stratégiques (BITS), un concept plus large qui intégrerait des technologies civiles clés (navires autonomes, batteries…). Les fonds disparates seraient rassemblés au sein d’un seul outil géré par BPI. Quant aux services d’intelligence économique et de protection des actifs stratégiques, aujourd’hui répartis entre plusieurs ministères, ils seraient également unifiés au sein d’une seule et même structure.  

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