Un procès et un best-seller: BlackRock fait à nouveau les gros titres

En ce début novembre, une autre institution américaine fait les gros titres en France : BlackRock. Plus important fonds d’investissement au monde, précédé d’une réputation sulfureuse, il est au cœur d’une double actualité: judiciaire, d’une part, et éditoriale, de l’autre, avec la publication de deux essais.

Actualité judiciaire, d’abord. Aujourd’hui, mercredi 4 novembre, se tient le procès de deux militants écologistes qui ont vandalisé, le 10 février, le siège parisien du géant de la finance, coupable selon eux d’ »un double langage sur le climat », avec des déclarations pro-environnement, en contradiction avec des investissements dans des secteurs ultra-polluants. Un mois auparavant, le 7 janvier, ces mêmes locaux avaient été envahis par des cheminots en colère, persuadés que le groupe préparait, de concert avec l’Elysée, une privatisation partielle du système de retraites. Un soupçon partagé par plusieurs députés, dont l’élu LR Olivier Marleix, qui avait dénoncé « l’influence de BlackRock dans la réforme des retraites ». Ces accusations reposaient notamment sur des révélations de Mediapart et l’Humanité, selon lesquelles la firme new yorkaise avait envoyé des recommandations au gouvernement français…

Lire aussi – Qui est BlackRock, le géant de la finance pris dans la tourmente de la réforme des retraites ?

Deux essais publiés pour le prix d’un ! 

L’actualité de Massot Editions tombe donc à point nommé, car la maison indépendante publie, non pas un, mais deux essais sur BlackRock ! Là encore, l’histoire est singulière. Un premier ouvrage était en cours de traduction : BlackRock, Ces financiers qui s’emparent de notre argent. Déjà vendu à 30.000 exemplaires outre-Rhin,

l’enquête, sérieuse, rigoureuse menée par Heike Buchter, correspondante à New York du grand hebdomadaire allemand Die Zeit, devait être préfacée par le journaliste et essayiste Denis Robert, celui qui avait révélé l’affaire Clearstream. Or, son texte polémique, rédigé dans la veine d’un Michael Moore, ne s’accordait pas avec le ton de l’investigatrice. Le Français a donc repris son papier, l’a étoffé et en a fait… un livre à part entière, qui est paru le 29 octobre : Larry et moi. Comment BlackRock nous aime, nous surveille et nous détruit.

La traduction du best-seller allemand, elle, paraît le 12 novembre. Challenges en publie quelques extraits en exclusivité. Ils lèvent un coin du voile sur ce fonds qui cultive le mystère.

  • Un mastodonte

« BlackRock, une institution telle que le monde n’en avait jamais connue jusqu’alors. BlackRock est un « gestionnaire d’actifs ». Mais, dire cela, ce serait comme dire du château de Versailles qu’il est une résidence d’été ou des Pyramides qu’elles sont un entassement de pierres tombales. Aucune grande banque, aucune compagnie d’assurance ne peut égaler son influence. Goldman Sachs, la Deutsche Bank ou Allianz paraissent insignifiants en comparaison. Aucun gouvernement ni aucune Banque centrale ne dispose d’autant d’informations sur l’économie. Mais, surtout : personne ne contrôle autant de capital. À la veille de la crise du Covid19, le montant des fonds que BlackRock gérait s’élevait à 7.400 milliards de dollars. 80 millions d’Allemands devraient travailler deux ans pour générer cette somme. »

  •  Des plateformes à 13 zéros

« Et ce n’est pas tout. Plus de 20 billions de dollars transitent par les plateformes d’analyse et de négociation de l’entreprise. C’est un nombre avec treize zéros : 20.000.000.000.000 dollars. Cela signifie que plus de 5 % de tous les instruments financiers mondiaux – actions, obligations, devises, lettres de crédit, produits dérivés et certificats – transitent par les systèmes d’une seule entreprise : BlackRock. »

  •  Une pieuvre mondiale…

« BlackRock tisse sa toile à travers le globe. Telle une pieuvre, l’entreprise a déployé ses tentacules jusque dans les moindres recoins du monde. Les représentants de BlackRock vont et viennent dans les ministères des Finances. Ils conseillent la Réserve fédérale américaine (Fed) et la Banque centrale européenne (BCE). Parmi leurs clients, on compte le Californien CalPERS, plus grand fonds de pension américain pesant 300 milliards de dollars, ainsi qu’Abu Dhabi Investment Authority, le fonds souverain de l’étincelant royaume pétrolier de Dubaï, et la branche d’investissement de Singapour. Les lobbyistes de BlackRock amadouent les autorités de régulation de Washington aussi bien que de Bruxelles. BlackRock est un actionnaire majeur de JPMorgan Chase, Citigroup et Bank of America – les plus grandes banques du monde. BlackRock est en outre l’un des principaux actionnaires des géants pétroliers ExxonMobil et Chevron. Ainsi que d’Apple, McDonald’s et du groupe suisse Nestlé. »

  •  …. dans tout le business

« BlackRock détient des actions d’Airbus, le géant européen de l’aviation et de l’aérospatiale, mais également de Core Civic, le principal gérant d’établissements pénitentiaires aux États-Unis. Depuis février 2020, il est l’un des principaux actionnaires du groupe Bayer et de sa filiale Monsanto acquise en 2016, ainsi que des géants de l’armement Raytheon, Lockheed Martin et General Dynamics, tous impliqués dans l’équipement des drones et missiles américains. »

  •  … et dans 40 pays

« À la veille des baisses causées par la pandémie de 2020, le nombre de pays où BlackRock gérait plus de 1 milliard de dollars d’actifs pour ses clients privés s’élevait à plus de quarante. »

  •  Un siège modeste

« Malgré son énorme taille et son influence sans précédent, la société a réussi à rester bien en dessous du radar public. Volontairement. Tandis que la banque d’investissement Goldman Sachs s’est fait construire un palais avec vue sur l’Hudson par l’architecte star Henry Cobb pour 2,1 milliards de dollars et  que la Bank of America réside dans une tour de cinquante cinq étages avec tous les raffinements de la technologie moderne près de Times Square à Manhattan, BlackRock s’est volontairement privé de bureaux tape-à-l’œil. En entrant au siège de la firme à New York, vous trouverez dans le hall ouvert au public un café Starbucks et un kiosque à journaux, qui vend également des billets de loterie et des chewing-gums. »

  •  Un fondateur atypique 

« Fink a construit son empire en un peu plus de trois décennies. Une start-up, littéralement fondée dans l’arrière-boutique du fonds d’investissement Blackstone. (…) Toutefois, les origines de Larry ont fait de lui un outsider. Jusqu’à aujourd’hui, la plupart des recrues des plus grandes banques proviennent d’universités d’élite de la côte Est – Harvard, Yale, Princeton. Il n’était qu’un kid de L.A., Los Angeles, débarqué avec « des bijoux turquoise et les cheveux longs », a-t-il lui-même raconté à des journalistes. » 

  • Un patron discret

« À première vue, l’homme le plus influent du monde de la finance ressemble plutôt à son propre comptable. Il a ce que l’on appelle le « front haut », les tempes grises, des lunettes sans monture. Devant les caméras, il cultive le comportement d’un homme qui, grâce à son expérience et à ses connaissances, plane au-dessus des choses terrestres. Il a la gravité que l’on attend d’un chef de quatorze mille employés, d’un P-DG d’une grande entreprise dont la capitalisation boursière atteint les 70 milliards de dollars (en février 2020). »

  •  La crise de 2008 : une aubaine

« Le nom de BlackRock apparaissait dans presque toutes les opérations de sauvetage des banques centrales et des gouvernements – plus souvent que celui de toute autre entreprise. La montée en puissance de Fink & Co. est si étroitement liée aux crises financières aux États-Unis et en Europe, et à leurs conséquences persistantes que, sans elles, le pouvoir et l’importance de BlackRock seraient à peine pensables. Mais ce qui s’est passé à l’époque n’est toujours pas clair aujourd’hui, même pour de nombreux initiés. Pas plus que le rôle joué par BlackRock dans tout cela. »

  •  Paris février 2020

« BlackRock a nié à plusieurs reprises et auprès de différents médias avoir influencé les plans pour le régime de retraite du président. « Nous regrettons que notre entreprise soit confrontée à des allégations non fondées, qui poursuivent des objectifs politiques », est-il écrit dans un communiqué. Mais cela n’a pas calmé les critiques. Le 10 février 2020, une centaine de manifestants ont rendu visite au siège de BlackRock à Paris, dans le vénérable immeuble Centorial, où l’on est plutôt habitué aux cocktails ou aux défilés de mode. Étaient également présents de jeunes militants pour la protection du climat, qui voulaient protester contre les investissements de BlackRock chez des producteurs de combustibles fossiles comme Total. Ils ont demandé à parler à Cirelli (le patron de la branche française). Mais il ne s’est pas montré. Les manifestants ont donc démonté quelques bureaux et tagué sur les murs leurs messages. Ces derniers ne pouvaient être plus clairs. Les manifestants ont écrit que l’entreprise était criminelle. Dix-sept d’entre eux ont été arrêtés, accusés de violence volontaire et de dégradation de matériel. »

 BlackRock Ces financiers qui s’emparent de notre argent Une enquête sur le plus gros scandale financier actuel

Heike Buchter

12 novembre 2020 – Prix  22,90 euros – 416 pages

 Massot Editions 

 

Larry et moi Comment BlackRock nous aime, nous surveille et nous détruit

Denis Robert

29 octobre 2020 – Prix 19,00 euros – 304 pages

Challenges en temps réel : Entreprise