Dégâts pétroliers en Arabie saoudite: un casse-tête pour Aramco

Le gouvernement saoudien est engagé dans une délicate course contre-la-montre. En perdant plus de 50% de sa production pétrolière après les attaques menées le 14 septembre contre la plus grosse raffinerie du royaume, à Abqaiq, dans l’est du pays, et le champ pétrolier voisin de Khurais, Riyad a vu le symbole même de sa puissance frappé au cœur. Si la monarchie dirigée par le roi Salmane et son fils, le tout-puissant prince héritier Mohammed ben Salmane, a décidé de puiser dans ses gigantesques stocks pour compenser le déficit de production -5,7 millions de barils par jour, elle doit toutefois rétablir au plus vite ses capacités de production sous peine de voir resurgir le spectre d’un krach pétrolier.

Un scénario totalement écarté par les autorités saoudiennes qui rivalisent de propos rassurants. Dimanche 22 septembre, Amin Nasser, le directeur général du géant pétrolier Aramco, véritable machine à cash du royaume, a ainsi annoncé que les sites d’Abqaiq et Khurais tourneront à plein régime d’ici à la fin du mois. « Pas une seule livraison à nos clients internationaux n’a été annulée du fait de ces attaques, et nous continuerons de remplir notre mission consistant à fournir l’énergie dont le monde a besoin » s’est-il aussi félicité alors que les cours de l’or noir ne se sont pas envolés comme certains pouvaient le craindre -le Brent, référence européenne, évolue à 63 dollars le baril contre 57 dollars pour le WTI américain.

« Sept à huit mois pour tout remettre à niveau »

Toutefois, d’après plusieurs sources contactées par Challenges, ces discours apaisants ne reflètent pas véritablement les difficultés que rencontrent les techniciens d’Aramco sur le terrain. « Hormis la plateforme Satorp à Jubail (ville située à l’est du pays, Ndlr), gérée par Aramco et Total, et qui est capable de transformer du pétrole brut lourd et soufré, les autres raffineries tournent au ralenti car elles ont peu de brut qui arrive », confie un expert du secteur basé dans la région. En effet, à la notable exception de Satorp, complexe pétrochimique de haut niveau qui produit 440.000 barils de pétrole lourd chaque jour -il est à son plafond, la plupart des autres raffineries du pays a recours à du brut léger qui représente environ 80% de la production pétrolière saoudienne. 

« Le problème principal est que le site d’Abqaiq, qui permet notamment de préparer le brut léger avant qu’il soit raffiné, est actuellement sérieusement affecté par les attaques, poursuit ce dernier. Aujourd’hui, les Saoudiens peuvent bien pomper tout le pétrole qu’ils veulent, ils ne sont pas en mesure de le traiter. » Un autre bon connaisseur du dispositif pétrolier saoudien abonde. « Une sphère de stockage du site d’Abqaiq a été percée avec les attaques et cela nécessite au minimum quatre à cinq mois de reconstruction. Au total, Aramco va bien avoir besoin de sept à huit mois pour tout remettre à niveau à Abqaiq. Quant à la facture de la réparation, elle devrait être comprise entre 1,5 et 2 milliards de dollars. »

La Russie grande gagnante des soucis saoudiens?

En attendant, Riyad a décidé d’accroître sa production de pétrole lourd notamment sur ses sites du nord du pays, proches de la frontière avec le Koweït. Selon le quotidien économique japonais Nikkei, Aramco a ainsi informé le Japon, son premier client devant la Chine et les États-Unis (voir graphique), qu’il souhaitait, dès le mois d’octobre, faire passer de légère à lourde et moyenne la qualité du brut qu’il exporte à Tokyo. Le journal précise aussi qu’Aramco éprouve des difficultés à rétablir sa production aussi rapidement que promis. « Les Saoudiens ont dit la même chose à la Chine, ils sont contraints de s’adapter » affirme la dernière source citée.

Si les mésaventures d’Aramco étaient amenées à se prolonger, elles pourraient aussi faire des heureux. « Pour l’instant, les distributeurs chinois ou japonais font confiance à Aramco mais si les choses se compliquent ils pourraient aller voir ailleurs, poursuit ce même expert. Dans ce cas, la Russie, dont la production est limitée après l’accord qu’elle a conclu avec l’Organisation des pays producteurs de pétrole (Opep), serait la grande gagnante. Les problèmes d’Aramco pourraient profiter aux géants russes Ioukos ou Rosneft qui pâtissent de cette limitation voulue par l’Opep pour faire remonter les prix du pétrole ». Autres potentiels vainqueurs de la situation actuelle, les États-Unis, premier producteur mondial d’or noir, qui profitent à plein de l’explosion du pétrole de schiste malgré un modèle économique encore fragile.

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