Internet par satellite : Starlink, le réseau d’Elon Musk étend sa toile

Le 23 septembre, Elon Musk a obtenu du gouvernement américain une exemption aux sanctions contre l’Iran, qui lui permettra d’y mettre à disposition Starlink, son système de télécommunications par satellites. Il nourrit l’espoir de la population de rester informée malgré la répression et la censure. Tout comme il l’a fait en Ukraine, où 20.000 antennes satellites ont été installées depuis l’invasion russe en février dernier.

Mais l’objectif est bien plus vaste: offrir une connexion Internet à tous les Terriens, où qu’ils se trouvent sur la planète. Pour cela, Elon Musk a lancé une constellation de milliers de petits satellites de 250 kg chacun, circulant sur une orbite circulaire à 550 kilomètres de la surface terrestre. Cette technologie en orbite basse, dite « LEO », fournit une connexion comparable à celle de la 4G ou ADSL. Starlink assure au minimum 100 mégabits par seconde. Surtout, la proximité avec la Terre réduit la latence, c’est-à-dire le temps nécessaire aux données pour effectuer un aller-retour entre le satellite et l’utilisateur. Un avantage par rapport aux gros satellites, ou « GEO », placés en orbite géostationnaires à 36.000 kilomètres de la Terre.

Filiale de SpaceX, le leader mondial des missions spatiales, l’entreprise Starlink possède un autre atout maître: elle fonctionne de façon intégrée. Tandis que ses concurrents historiques sous-traitent la production comme le lancement des satellites et distribuent leur bande passante via des opérateurs, Starlink contrôle tout: la fabrication des satellites, leur lancement, assuré par SpaceX, la distribution en direct au grand public. « Ce système permet à Starlink de disposer des meilleurs tarifs de lancement du marché », observe un concurrent.

Avance sur la concurrence

« D’un point de vue technique, la réalisation est impeccable: les lanceurs sont très efficaces, les satellites produits en série, le service conforme aux attentes », salue Pierre Lionnet, directeur de recherche à Eurospace, l’association qui rassemble les industriels européens du spatial. La souscription d’un abonnement se fait en quatre clics sur le site. A la réception du kit Starlink, il ne faut que quelques minutes pour l’installer. L’antenne se connecte automatiquement, si le ciel est dégagé. Avec 3.000 satellites lancés, la société d’Elon Musk a pris une sacrée longueur d’avance sur ses deux principaux concurrents en orbite basse: OneWeb, en cours de fusion avec Eutelsat, disposant de 428 satellites en orbite, et Kuiper, le projet de Jeff Bezos, qui n’a encore rien lancé.

A terme, Elon Musk vise un marché mondial avec une constellation de 42.000 satellites couvrant les zones peu ou pas desservies par les opérateurs, à l’exclusion de la Chine, qui lui a barré l’accès et des pays sous sanctions américaines (voir carte). En progression de 15% par an, ce marché devrait peser entre 4 et 5 milliards d’euros d’ici à 2030, a calculé l’opérateur français Eutelsat. Dans un tel contexte, « il y aura largement de la place pour la solution LEO de Starlink et de OneWeb et les solutions GEO les plus performantes », estime son directeur général délégué, Michel Azibert.

Relais de croissance

Quelque 700.000 personnes sont déjà abonnées, majoritairement aux Etats-Unis, moyennant 50 euros par mois et l’achat du matériel à 480 euros. Et le service est déjà victime de son succès: dans certaines zones, le trop grand nombre d’utilisateurs ralentit le débit, au grand dam des clients historiques. D’où la nécessité pour Starlink, qui vise 12.000 satellites dans sa première phase, d’accroître ses capacités et de trouver des relais de croissance en Europe, en Afrique et en Asie du Sud-Est.

En France, où la commercialisation débute, le service a déjà conquis 6.500 personnes. L’américain y affronte Nordnet, la filiale d’Orange, qui distribue l’offre satellitaire d’Eutelsat. « Notre offre inclut aussi des chaînes télé, de la presse et une assistance technique », souligne Christophe Outier, directeur général délégué de Nordnet.

Starlink s’attaque aussi à la mobilité, avec une offre pour les propriétaires de bateaux et de camping-cars. Petit bémol, en cas de trafic important, priorité est donnée aux abonnés résidentiels. L’entreprise se place également sur le créneau du service d’urgence: dès l’an prochain, les abonnés de T-Mobile pourront bénéficier d’une connexion par satellite dans les zones blanches, à partir d’un téléphone portable standard.

« Limité pour l’instant à des utilisations bas débit, c’est intéressantpour les urgences, pour les personnes dans les zones non couvertes – alpinistes, navigateurs… », décrypte Stéphane Piot, analyste au cabinet Mason. Sur ce terrain, Star-link affrontera Apple, qui a réservé les satellites de GlobalStar pour que les propriétaires de l’iPhone 14 puissent joindre les secours.

Manque de transparence

Starlink séduit, mais à quel prix? Il ne dévoile ni le coût de fabrication de ses satellites et des antennes, ni le prix payé pour les lancements, mais toute l’industrie le soupçonne de vendre à perte. « Aucune constellation LEO n’a fait la preuve de sa rentabilité », rappelle Pierre Lion-net. Une fragilité soulignée par le Centre national d’études spatiales (Cnes), dans une note adressée en mai dernier au gendarme des télécoms. « L’Arcep devrait demander à Starlink a minima d’établir une transparence dans son modèle économique et rendre transparents l’existence et le niveau de réduction par rapport au coût de revient qu’il octroie lorsqu’il vend un kit », avertit le Cnes. Starlink facture 499 dollars un matériel qui lui coûte 1.500 dollars, a révélé le magazine Business Insider.

Dans une analyse de 2021, la banque Morgan Stanley estimait que la constellation coûterait 240 milliards de dollars, avec une rentabilité atteinte en 2030. Un scénario qui repose sur des hypothèses économiques extrêmement optimistes, souligne Pierre Lionnet. Et Musk compte sur ces bénéfices pour s’installer sur Mars.

Une décharge en orbite 
Quand, le 4 mars 2022, un objet a créé un nouveau cratère sur la Lune en s’y écrasant, les soupçons se sont portés sur Starlink. Finalement mis hors de cause, l’opérateur est au cœur d’une inquiétude partagée par tous les experts, qui voient l’espace se transformer en décharge. On y recense 23.000 débris de quelques centimètres à un mètre de diamètre et 150 millions de débris supérieurs à un millimètre. Les méga-constellations aggraveront la situation: Starlink prévoit d’envoyer près de 40.000 satellites dans l’espace. D’une durée de vie de cinq ans, ses engins sont, certes, conçus pour se désagréger en retombant dans l’atmosphère. Mais les risques de collision augmentent. En 2021, un satellite OneWeb a failli percuter un engin Starlink, pourtant équipé d’un système anticollision. Le retour dans l’atmosphère des satellites pose aussi un problème environnemental: en se désintégrant, ils risquent d’altérer la composition chimique de l’atmosphère.