JPMorgan appelé à la rescousse par Moscou pour contrer les agences de notation

Lénine pourrait s’en retourner dans son mausolée … les choses ont en effet bien changé depuis son époque. Jugez plutôt : le vice-ministre des Finances russe, Sergueï Stortchak a indiqué  vendredi que la Russie allait faire appel aux services de la célèbre banque américaine JPMorgan.
Objectif affiché ? Cette dernière aura pour mission de l’aider à améliorer son image auprès des agences de notations. Autre temps, autres « moeurs » …

Sergueï Stortchak  a ainsi indiqué à l’agence de presse russe Ria Novosti, s’être mis d’accord avec JPMorgan pour que cette dernière devienne  « partenaire officiel » de la Russie dans les relations avec les agences de notation.

Une annonce qui intervient alors qu’en début de semaine, le ministère des Finances russe avait indiqué  qu’une équipe d’une des trois principales agences internationales s’était rendue à Moscou pour réviser la notation de la Fédération russe.

Il pourrait  donc y avoir urgence, voire péril en la demeure …

Précisons en effet, qu’en cas d’abaissement de sa note souveraine, la Russie verrait grimper le coût de ses emprunts à l’étranger. Ce qui aurait des conséquences négatives sur son budget, alors   que les comptes du pays sont déjà lourdement affectés par le ralentissement de la croissance enregistré  depuis le début de l’année.
A l’heure actuelle, la Russie est notée BBB par Standard and Poor’s et Fitch, tandis que Moody’s lui attribue pour sa part la note de  Baa1, positionnant  ainsi le pays comme un émetteur de qualité moyenne.

En janvier déjà, Moscou  avait annoncé avoir engagé la sulfureuse banque américaine, Goldman Sachs, pour l’aider à améliorer son image auprès des investisseurs étrangers.

– La Russie dûment impactée par la situation chypriote

Alors que les mesures de taxation envisagées par la zone euro et le FMI en contrepartie du plan de sauvetage proposé à Chypre devraient durement impacter l’économie chypriote dans son ensemble, rappelons-nous que la Russie pourrait, elle aussi, grandement souffrir de la situation.

Selon des premières estimations , la taxe exceptionnelle sur les dépôts bancaires prévue dans le plan de sauvetage de Chypre devrait en effet gravement toucher les avoirs russes dans l’île.  Anatoli Aksakov, député et président de l’Association des banques régionales de Russie, a  ainsi indiqué que  selon des experts, les avoirs russes à Chypre pourraient atteindre 20 milliards de dollars (15,4 milliards d’euros).

Au 1er septembre 2012, l’agence de notation Moody’s avait estimé  pour sa part à 19 milliards de dollars (14,6 milliards d’euros) les seuls avoirs de sociétés russes placés à Chypre. Auxquels devraient s’ajouter12 milliards de dollars (9,2 milliards d’euros) d’avoirs de banques russes dans des établissements chypriotes. Selon les chiffres de la presse économique repris par Forbes, les avoirs de personnes physiques russes à Chypre se situeraient  quant à eux dans une fourchette comprise entre 8 et 35 milliards d’euros.

Simple hasard  ?   …. Revenons quelques instants en arrière.

– Quand la Russie proposait à Chypre un prêt, le gaz de Léviathan  en ligne de mire

Alors que les immenses champs gaziers au large de Chypre suscitent d’âpres convoitises, rappelons qu’en juillet 2012, Erato Kozakou-Marcoullis, alors ministre chypriote des affaires étrangères, affirmait que – parmi 27 compagnies – les deux géants gaziers russes Novatec et Gazprom avaient exprimé leurs intérêts vis à vis des 13 sites d’extraction offshores au large de l’île. « Expression d’intérêts » suivant de peu une information selon laquelle Nicosie était en attente de l’acceptation par Moscou d’un prêt de 5 milliards d’euros … Alors même que le président chypriote d’alors, Demetris Christofias, réputé «proche» du gouvernement Poutine avait jusque là laissé entendre que l’attribution de ce prêt «n’imposait aucune condition» et offrait «un meilleur taux d’intérêt» que l’offre européenne.

Par la suite, en septembre 2012, un porte-parole du ministère russe des finances déclarait que «ces discussions prendr(ai)ent du temps et « que rien n’a(vait) encore été décidé».

 – Quand notation de la dette  souveraine se mêle à des enjeux gaziers

A la mi-décembre 2012, alors même que nous laissions entendre ici-même que les licences d’exploitation de l’immense champ gazier de Leviathan au large de Chypre pourraient être « monnayées » d’une certaine manière via la notation de la dette souveraine du pays et l’accord d’un prêt de la Banque centrale européenne et du FMI, le gouvernement chypriote avait annoncé avoir mis fin aux négociations en cours avec un consortium franco-russe – alliant la branche ENP de Total et le russe Novatec – lequel s’était vu attribuer une licence d’exploration de gaz dans ses eaux territoriales en octobre 2012.

« Le gouvernement a décidé de mettre fin aux négociations directes car elles se sont avérées insatisfaisantes », avait ajouté le porte-parole du gouvernement chypriote, sans fournir de plus amples détails. Ajoutant toutefois que les autorités allaient désormais négocier l’attribution du bloc 9 avec un consortium établi entre le groupe pétrolier italien ENI et le sud-Coréen Kogas. Ce qui est désormais chose faite depuis janvier 2013.

– Quand Goldman Sachs prévoit un nouveau plan d’aide pour Chypre … pour contrer la Russie ?

Précisons enfin que dans un rapport publié à la mi-mars, l’ Institut de la finance internationale ,
lobby bancaire très influent, basé à Washington, avait indiqué que les pertes très importantes que devront supporter les déposants et les impacts du plan sur le secteur financier chypriote pourraient conduire à une récession de près de 20% entre 2013 et 2015.
Le lobby bancaire considérant au final qu’un nouveau plan d’aide pourrait à terme s’avérer nécessaire, obligeant Chypre à recourir à de nouveaux prêts …. et à se tourner vers le lobby  bancaire US et notamment   Goldman Sachs ? Allez savoir …  Ce ne serait pas la première fois  que la sulfureuse banque américaine jouerait sur les deux tableaux.

L’IIF avait par ailleurs indiqué que les créanciers de la troïka seraient bientôt les principaux détenteurs de la dette chypriote, une position leur garantissant un statut préférentiel en cas de faillite … et qui devrait – selon lui – limiter le nombre d’investisseurs disposés à acquérir de la dette chypriote.

Une manière comme une autre d’attirer la nouvelle brebis galeuse de l’Union européenne vers les banquiers US, tout en tentant de restreindre l’étendu d’éventuelles propositions (voire des prêts ? ) que  la Russie pourrait être tentée d’offrir en échanges de licences d’explorations d’hydrocarbures du gisement fort prometteur de Leviathan   située en off-shore au large de l’île chypriote, indiquions-nous d’ores et déjà. Rappelant que d’importants majors pétrolières et non des moindres – telles que  ExxonMobil, ConocoPhillips et Chevron – sont également engagées dans la « bataille ».

– La  notation de la dette souveraine : nouvelle arme fatale

Au final,  tant  vis à vis de Chypre, que vis à vis de la Russie,  la notation de la dette souveraine semble  belle et bien être devenue une arme fatale  des banques US. Lesquelles pourraient bien faire un peu plus la loi  chaque jour de part le  monde.  Moyennant en quelque sorte les notes attribuées à tel ou tel pays en difficulté  … et même désormais l’image  envoyé aux investisseurs,  le tout – fait nouveau – via des services de conseils,  facturés à des tarifs qu’on  imagine fort «rentables».

Elisabeth Studer – www.leblogfinance.com –  24 mai  2013


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